Rencontre

« Restons optimistes : l’innovation aussi s’accélère ! »

L’atteinte des objectifs climat-énergie nationaux et internationaux nécessite de mobiliser l’ensemble des leviers existants. Parmi eux : la finance verte. La recherche est donc à pied d’œuvre pour rendre les investissements plus respectueux de l’environnement mais aussi plus durables au sens large. Entretien entre Jean-Michel Beacco, délégué général de l’Institut Louis Bachelier, Marie-Laure Guillerminet, économiste à la Direction exécutive de la prospective et de la recherche de l’ADEME et Édouard Fourdrin, ingénieur et coordinateur du programme ACT en France.


Pourquoi l’Institut Louis Bachelier (ILB) s’intéresse-t-il à la problématique du climat ?
Jean-Michel Beacco

La mission de l’ILB est de stimuler la recherche qui préviendra les crises futures ; dans la mesure où la prochaine crise pourrait être de nature environnementale (climat, biodiversité) ou sociale, il est légitime que nous travaillions sur ce sujet. Depuis sa création en 2009, l’ILB a été particulièrement actif sur la transition environnementale, la transition numérique (à savoir l’avènement de l’intelligence artificielle [IA] et des datas), la transition démographique et sociétale et la transition bancaire et financière. Ces travaux permettent d’alimenter activement la recherche française en matière de finance verte.

Comment la recherche française s’organise-t-elle sur ce sujet ?
J.-M. B.

Cette recherche a beaucoup évolué ces dix dernières années : en 2010, nous étions dans une posture de découverte. Les choses se sont accélérées après la COP21 (en 2015) ; l’ILB a alors regroupé sa soixantaine de programmes de recherche interdisciplinaires dans une optique transversale. Nous nous sommes également dotés de trois programmes de recherche interdisciplinaires pour accélérer la recherche sur les sujets « brûlants ». Depuis, nous avons gagné en régularité. Nous travaillons désormais selon le modèle : -scénarios, mesures d’impacts, données. Nous comptons aller plus loin en montant une fondation abritée qui nous permettra de regrouper les forces françaises sur le sujet et d’augmenter notre visibilité.

Comment l’ADEME et l’ILB coconstruisent-ils la recherche sur la finance verte ?
Marie-Laure Guillerminet

L’ADEME est le partenaire financier de deux chaires historiques de l’ILB, les chaires Économie du climat et Énergie et prospérité. Nous travaillons ensemble sur l’Observatoire de la finance durable dans le cadre du programme européen Finance ClimACT et sur des projets sélectionnés dans l’appel à projets de recherche ClimFi.

À quelles questions la recherche s’attelle-t-elle actuellement ?
M.-L. G.

Il y a d’abord les questions liées à la gestion du risque climatique (avec notamment des travaux en droit sur le risque juridique). Un deuxième groupe de travaux porte sur la rénovation de l’habitat des ménages et l’attention que ces programmes de rénovation doivent porter aux personnes les plus précaires et fragiles. D’autres questions concernent l’analyse environnementale et l’investissement à impact ; l’objectif est de pouvoir démontrer que, lorsqu’on investit dans un projet vert, ce projet est réellement vertueux et qu’il génère d’autres projets verts.

Édouard Fourdrin

Une autre thématique de recherche concerne le reporting extra-financier des entreprises. Il s’agit ici d’améliorer la divulgation des informations que possèdent les organisations et les entreprises sur leurs performances climatiques et financières. L’enjeu est d’aller vers plus de transparence et de conformité avec les exigences et les recommandations nationales et internationales. Il s’agit également d’aller vers une meilleure compréhension de ce que font réellement les entreprises sur ces sujets.

Les appels à projets de recherche (APR) lancés par l’ADEME abordent-ils ces questions ?
E. F.

Tout à fait. Un premier APR (lancé en 2016) traitait de la quantification des émissions de gaz à effet de serre et de la stratégie de décarbonation des entreprises, des filières et de la consommation des ménages. Nous l’avons fait évoluer vers l’angle de la finance climat (en 2019) avec entre autres objectifs de rendre les investissements plus durables et plus résilients. L’un des enjeux est d’encourager les acteurs et les secteurs de l’économie à s’aligner sur une trajectoire bas carbone compatible avec les objectifs de l’accord de Paris et d’établir comment la finance peut aider concrètement la transition bas carbone.

Ces approches sont toutes transdisciplinaires ; comptez-vous poursuivre dans cette voie ?
J.-M. B.

La recherche en finance durable me semble de plus en plus sophistiquée, ce qui est logique car nous explorons des champs de plus en plus complexes et que nous y associons les acteurs financiers. Donc, oui, nous allons continuer à privilégier la transdisciplinarité. Concrètement, nous allons combiner des approches en économie, en mathématiques appliquées, en informatique, en statistiques, en IA, en machine learning et en économétrie ; et l’accès aux données se révèle crucial. C’est parce que notre approche sera sophistiquée que nous pourrons appréhender des problèmes qui le sont tout autant. Le deuxième grand sujet interdisciplinaire qui nous intéresse ouvre la porte aux sciences sociales ; il s’attellera aux enjeux majeurs que sont les inégalités et la pauvreté, car le social ne doit pas rester le parent pauvre de la recherche en finance.

E. F.

L’environnement ne peut pas être réduit au climat. D’une manière générale, notre vision doit intégrer des enjeux comme, effectivement, la biodiversité, la pollution de l’eau, mais, surtout pour l’ADEME, l’épuisement des ressources et les questions sociales dans toute leur complexité.

Selon vous, quels travaux de recherche devront être menés à l’avenir ?
E. F.

De nombreuses connaissances nous font encore défaut : par exemple, nous avons besoin d’améliorer les trajectoires de transition bas carbone sur lesquelles les entreprises et les organisations pourront s’appuyer pour respecter l’accord de Paris. Nous possédons bien sûr des trajectoires d’alignement, mais leur représentativité géographique à l’échelle locale/nationale ainsi que leur représentativité par sous-secteurs d’activité pourraient être renforcées. Et, a contrario, il nous manque des méthodes ou des modèles qui nous permettraient d’agréger l’ensemble des engagements sur le climat que prennent les acteurs non étatiques pour vérifier si le cumul de leurs contributions respecte (ou non) les engagements de la France et, plus globalement, l’accord de Paris.

J.-M. B.

Nous allons continuer à largement travailler sur l’alignement des flux financiers sur l’accord de Paris et sur la gestion du risque climatique. Nous misons aussi beaucoup sur les données vertes : l’une des premières actions de notre fondation abritée visera à mettre en commun les données vertes que possèdent nos partenaires pour pouvoir faire de nouveaux scénarios, mesurer les impacts, etc.

M.-L. G.

L’ADEME va prochainement lancer, à l’automne 2021, un troisième APR sur ce sujet. Notre défi est de dégager des méthodes scientifiquement correctes, mais aussi suffisamment simples pour que la puissance publique puisse s’en emparer.

Sommes-nous dans une situation d’urgence ?
J.-M. B.

Oui, il y a urgence, mais pour reprendre une formule célèbre, « allons doucement, nous sommes pressés ». Je pense que si nous restons attentifs, sérieux, concentrés, si nous travaillons bien et que nous encourageons la transversalité, il y a lieu de rester optimistes, car une chose est sûre : l’innovation s’accélère.

BIO EXPRESS

Diplômé de l’École nationale des ponts et chaussées et de l’université Stanford, Jean-Michel Beacco est délégué général de l’Institut Louis Bachelier (ILB) depuis 2009. L’ILB a pour objectif de favoriser le développement durable en économie et en finance ; dans cette perspective, il héberge actuellement plus de 60 programmes de recherche tous résolument transdisciplinaires et collaboratifs (entre acteurs publics, privés et académiques).