Rencontre

« Favoriser les entrées de carbone dans le sol et en limiter les sorties »

Les travaux de recherche ont permis de mieux évaluer le rôle du stockage du carbone dans le sol pour limiter l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Le sol joue ainsi un rôle clé dans l’atténuation du changement climatique. Aujourd’hui, l’enjeu est de partager les pratiques agricoles les plus vertueuses avec les professionnels du secteur afin d’inciter le plus grand nombre à les mettre en œuvre. Entretien entre Baptiste Soenen, chef du service Agronomie, économie, environnement au sein d’Arvalis-Institut du végétal et Thomas Eglin, coordinateur scientifique et technique, Agriculture, forêt et gestion durable des sols à l’ADEME.


Depuis quand Arvalis travaille-t-il sur le stockage du carbone dans les sols ?
Baptiste Soenen 

Nos premiers travaux remontent aux années 1960, avec des essais longue durée car, par nature, ce sujet s’inscrit dans le temps long. L’enjeu était alors d’évaluer différents effets des pratiques agricoles, dont le non-labour et les couverts, sur le stockage de carbone dans le sol ; cet essai est l’un des plus anciens en France sur ce sujet.

Nos travaux ont ensuite évolué : dans les années 2000, nous avons commencé des travaux de modélisation afin de créer un simulateur permettant d’étudier le stock de carbone dans le sol ; en 2010, nous avons initié des recherches sur des indicateurs permettant de qualifier finement l’activité biologique et les propriétés du carbone présent dans le sol.

Nos derniers travaux ont pour objectif de chiffrer la contribution de l’agriculture à l’atténuation du changement climatique, notamment via le stockage du carbone dans le sol.

Quand l’ADEME s’est-elle emparée de ce sujet ?
Thomas Eglin 

L’ADEME s’y est intéressée à partir des années 2000 et l’a d’emblée rattaché aux enjeux climatiques.

Nous savions que l’agriculture représente environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau national et que, s’ils sont mal gérés, les stocks de carbone présents dans les sols agricoles peuvent être la cause d’émissions supplémentaires.

Nous avons donc lancé des travaux pour mieux qualifier l’impact des pratiques agricoles sur le stockage de carbone, valoriser ces pratiques et fournir des outils d’aide à la décision pour, in fine, améliorer le stockage du carbone dans le sol et réduire les gaz à effet de serre.

Quels sont les principaux enseignements de ces travaux de recherche ?
T. E

L’une des principales avancées est d’avoir démontré dès 2013, contrairement à ce que de nombreux acteurs pensaient depuis des années, que l’arrêt du travail du sol ne favorise pas le stockage de carbone dans le sol dans nos contextes tempérés.

Son effet majeur porte sur la distribution du carbone dans le profil de sol, celui-ci s’accumulant en surface au lieu d’être réparti sur l’horizon de labour. Une autre avancée majeure porte sur les outils de quantification : aujourd’hui, nous pouvons dire quelle pratique présente quel potentiel de stockage dans un contexte défini, et ainsi aider à la mise en œuvre de politiques publiques pertinentes.

Par ailleurs, la tonne de CO2 a une valeur marchande qui intéresse les acteurs privés : pouvoir quantifier et qualifier précisément la quantité de carbone donne de la crédibilité aux actions des agriculteurs en faveur du climat.

 

Quelles bonnes pratiques ces travaux de recherche ont-ils mis au jour ?
B. S.

Le stockage du carbone dans le sol repose sur un jeu d’équilibre entre les entrées et les sorties de carbone. Tout ce qui permet de déplacer cet équilibre vers le haut (autrement dit, d’avoir plus d’entrées que de sorties) contribue à stocker du carbone.

Le retour au sol des résidus de cultures, les couverts végétaux d’intercultures ou les couverts associés, la plantation de haies en bordure ou l’agroforesterie en intraparcellaire ou encore les apports de produits organiques exogènes : tous sont autant de pratiques qui participent directement à l’apport de carbone dans le sol, et donc à son stockage.

La recherche sur ce sujet avance désormais très vite : comment l’expliquez-vous ?
B. S.

Cela s’explique par le fait que les travaux s’appuient beaucoup sur la modélisation et que celle-ci nous permet de simuler rapidement les changements de stock sur plusieurs décennies. Le domaine de validité de ces modèles s’élargit progressivement, intégrant davantage de leviers, de contextes, de types de cultures, etc.

Les politiques publiques se sont-elles emparées de ces enjeux ?
T. E.

Oui, et cela se traduit notamment au niveau national par leur prise en compte dans la Stratégie nationale bas-carbone, qui vise à limiter le déstockage de carbone et à encourager les pratiques « stockantes ».

L’un des leviers de cette stratégie est le Label bas-­carbone qui donne un cadre officiel au financement de projets de réduction des émissions de GES et de séquestration de carbone.

Un deuxième axe concerne la politique agricole commune (PAC) et ses financements. Il s’agira ici d’envisager comment une part des aides pourra s’adresser particulièrement aux agriculteurs sur la base de leur contribution à la lutte contre le changement climatique.

Comment assurez-vous le transfert des bonnes pratiques auprès des agriculteurs ?
B. S.

Il s’agit pour nous d’un enjeu primordial puisque le rôle d’Arvalis est précisément de transposer les résultats issus des travaux de recherche en outils utilisables par les agriculteurs. Dans cette perspective, nous pilotons un consortium Label bas-carbone Grandes Cultures, qui regroupe les instituts techniques de grandes cultures et Agrosolutions.

Nous avons rédigé une méthode qui quantifie les effets d’un changement de pratique agricole sur le stockage de carbone dans le sol. Ce dispositif permet de faire reconnaître et de financer le service rendu par l’agriculture à l’atténuation du changement climatique.

Parallèlement, nous voulons diffuser les connaissances qui existent sur l’analyse des sols et donner aux agriculteurs les conseils leur permettant d’améliorer leurs pratiques.

Avez-vous identifié d’autres besoins de recherche ?
B. S. 

Les besoins de recherche sont encore nombreux et couvrent trois domaines. Tout d’abord, nous avons besoin de changer d’échelle et de passer de la parcelle à une approche plus macro afin de définir des outils et des méthodes qui seront utiles dans le cadre de la PAC ou en vue d’améliorer les inventaires internationaux et notamment ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

La recherche à très grande échelle passera notamment par la télé­détection ; des travaux sont déjà en cours sur ce sujet. Dans le même temps, nous voulons initier des travaux sur les aspects économiques, car l’un des freins majeurs au déploiement des différents leviers que nous avons cités est d’abord économique.

Le Label bas-carbone est une première réponse, mais il reste à présent à calculer les coûts de production de la tonne de carbone, à établir quels leviers peuvent être mis en œuvre, à quel prix, etc. Enfin, des questions techniques pointues sont encore à étudier comme, par exemple, la question des couverts permanents, mal pris en compte par nos modèles.

T. E.

Les travaux de recherche à venir permettront également de déterminer comment les acteurs privés interagissent avec ceux des filières externes et des tiers (comme les collectivités) pour, in fine, définir des modèles d’affaires autour des paiements pour services environnementaux, dont le stockage de carbone mais aussi la préservation de la biodiversité.

Les besoins en formation pour les acteurs du secteur sont par ailleurs très importants. Pour conclure, j’aimerais souligner que nous avons pu avancer ces dernières années grâce à des essais mis en place voilà plus de… soixante ans.

Pour suivre l’impact des pratiques et préparer des solutions d’avenir, il est indispensable que ces sites expérimentaux de longue durée soient maintenus.

Bio express

Baptiste Soenen est chef du service Agronomie, économie, environnement au sein d’Arvalis-Institut du végétal. Créé il y a soixante ans pour produire, pour les acteurs du secteur agricole, des informations, des outils et des services qui s’appuient sur des références scientifiques, Arvalis initie donc et accompagne de nombreux travaux de recherche dont les résultats sont ensuite transférés aux agriculteurs, conseillers du secteur, etc.