Rencontre

Rencontre avec Noémie Pousse, Léa Houpert et Miriam Buitrago…

À la fois essentiels pour le bon état des forêts et vulnérables, les sols forestiers peuvent pâtir de pratiques sylvicoles inadaptées. Les travaux de recherche font émerger de nouveaux outils capables de contribuer à préserver ce capital commun.


Bio express

Pédologue au sein de l’ONF, NOÉMIE POUSSE travaille notamment à mieux appréhender la préservation des sols dans la gestion des forêts françaises.

Ingénieur Forêt à l’ADEME, LÉA HOUPERT intervient sur des sujets de recherche qui concernent l’ensemble des écosystèmes forestiers.

Ingénieur Sols à l’ADEME, MIRIAM BUITRAGO travaille sur la coordination des actions de soutien à la recherche sur les sols.

Pourquoi l’ONF s’intéresse-t-il à la préservation des sols forestiers ?
Noémie Pousse

Le sol forestier est un capital à part entière : il permet notamment aux arbres de trouver l’eau et les éléments minéraux indispensables à leur survie, mais aussi de s’enraciner pour résister aux évènements extrêmes (comme les coups de vent ou la sécheresse). Or, des pratiques sylvicoles inadaptées peuvent conduire à la dégradation du fonctionnement des sols et fragilisent la végétation forestière. Je pense particulièrement à la circulation des engins mécanisés lourds qui provoque un tassement du sol.

Le sol forestier est un capital à part entière ; nos recherches visent à tout mettre en oeuvre pour le préserver.

Noémie Pousse, Pédologue au sein de l’ONF
Quelles actions de l’ADEME et quel intérêt de la collaboration avec l’ONF sur cette thématique ?
Léa Houpert

Notre collaboration facilite le dialogue entre le monde de la recherche et celui des acteurs de terrain. L’ONF traduit les connaissances scientifiques issues de ses recherches et de collaborations avec des organismes comme INRAE, en outils et connaissances appliquées que nous diffusons largement. Cette transmission se fait par le biais de guides pratiques (par exemple Récolte durable de bois pour la production de plaquettes forestières ou la brochure Forêts et usages du bois dans l’atténuation du changement climatique) ou d’actions de formation comme celle issue du projet IPRSol porté par différents organismes forestiers, dont l’ONF. En plus de ces guides et formations, l’ADEME apporte un soutien aux entreprises réalisant des travaux forestiers pour investir dans des engins intégrant des critères pour limiter les impacts sur les sols.

Miriam Buitrago

L’ADEME finance également des travaux de recherche sur la multifonctionnalité des sols et les impacts des actions anthropiques, pour toutes les occupations des sols, agricoles, forestières ou urbaines ; elle a aussi développé un outil de sensibilisation : la Fresque du sol (construite en collaboration avec l’Association française pour l’étude du sol) qui permet à chacun·e de comprendre le fonctionnement des sols et les services écosystémiques qu’ils nous rendent.

N.P.

Le soutien de l’ADEME est précieux pour l’ONF à plusieurs titres : tout d’abord, l’Agence finance de nombreux projets de recherche appliquée que nous menons ; ensuite, elle entretient avec nous un dialogue technique constant et de qualité qui nous permet d’avancer ensemble sur des enjeux opérationnels.

Quels travaux de recherche menez-vous sur les sols forestiers ?
N.P.

Nous menons des recherches sur le tassement des sols forestiers. Nous travaillons sur le développement d’un service climatique couplant les données sur les caractéristiques des sols aux données de prévisions météorologiques à 14 jours ; il est capable de préciser aux opérateurs les meilleurs moments pour circuler sur leurs cloisonnements. L’objectif étant de limiter les circulations par temps humide pour maintenir leur praticabilité et éviter que les engins sortent des cloisonnements. Nous avons travaillé sur les impacts de la récolte par arbre entier, une pratique qui, par définition, exporte une grande partie des éléments minéraux, impactant ainsi la fertilité de l’écosystème. Nous travaillons également sur l’impact de la préparation mécanisée des sols avant plantation ou encore sur la sensibilité des sols aux sécheresses. En matière d‘outils appliqués, l’ONF a développé l’application mobile For-Eval (voir encadré page 5), en collaboration avec INRAE. À court terme, nous continuerons d’explorer l’impact du tassement des sols (qui est un sujet de préoccupation majeur) et les leviers d’adaptation au climat. Des formations découleront de ces travaux.

Il est essentiel de ne pas dégrader l’important stock de carbone que renferment les sols forestiers.

Miriam Buitrago, Ingénieur Sols à l’ADEME
Quels autres verrous de recherche restent à lever ?
M.B.

Un verrou scientifique majeur concerne la modélisation de la dynamique du carbone de sol dans les forêts françaises, selon les modes de gestion, et tenant compte des impacts du changement climatique sur le fonctionnement des sols forestiers. In fine, notre objectif est de mieux appréhender le rôle que ce compartiment peut jouer dans nos exercices de prospective de neutralité carbone à l’horizon 2050 en fonction des scénarios de récolte de bois, et d’établir quels gestes privilégier pour ne pas dégrader le stock actuel et, donc, ne pas générer d’émissions de carbone dans l’atmosphère. Nous voulons par ailleurs poursuivre les travaux que nous menons sous un angle socio-économique. C’est un point important : notre intention est d’inciter les acteurs des filières à s’emparer des bonnes pratiques ; pour cela, nous devons les aider à rester performants quand ils appliquent ces méthodes et techniques. Les recherches devront permettre d’identifier les freins à l’action et les solutions pour les lever.

L.H.

Nous manquons également de connaissances sur les impacts des pratiques de gestion sylvicole sur la biodiversité, qui est essentielle au fonctionnement de l’écosystème forestier. En effet, les sols forestiers abritent une très grande diversité de micro-organismes et nombre d’entre eux sont encore méconnus, tout comme leur interaction avec le milieu. Outre le carbone et la biodiversité des sols, des recherches restent à poursuivre sur la fertilité chimique des sols et sa sensibilité aux pratiques de gestion tout comme l’étude des conséquences de la restitution des cendres de bois en forêt (une pratique pour l’heure interdite). Ces sujets sont d’autant plus complexes à appréhender qu’il importe de les envisager systématiquement en climat changeant et en tenant compte des différentes pratiques forestières. Notre ambition est donc de questionner ces enjeux en tenant compte de tout leur écosystème, ce qui est subtil à modéliser.

Les enjeux doivent être envisagés en climat changeant et en intégrant les pratiques forestières, ce qui est d’une grande complexité.

Léa Houpert, Ingénieur Forêt à l’ADEME
Deux textes sont en cours d’élaboration autour de ces enjeux : le plan d’action pour la préservation des sols forestiers en France et la directive européenne de surveillance et résilience des sols. De quoi s’agit-il et comment êtes-vous impliqués dans ces projets ?
M.B.

Lors des conclusions des Assises de la forêt et du bois de 2022, un plan d’action sur les sols forestiers a été annoncé par les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie. L’ADEME accompagne les ministères dans l’élaboration de ce document qui sera publié en 2024 ; pour ce faire, l’Agence a mis en place une méthode d’animation avec des ateliers de travail ouverts à tous les acteurs de la forêt. Cette initiative a fait émerger de nombreuses propositions d’actions, allant du développement de nouvelles connaissances et outils d’aide à la décision à l’accompagnement des bonnes pratiques. En parallèle, la Commission européenne a proposé, en juillet 2023, un projet de directive sur les sols qui est en cours de négociation. L’objectif ultime est de faire en sorte que l’ensemble des sols européens (dont les sols forestiers) soit en bonne santé d’ici 2050. Pour ce faire, un cadre harmonisé de surveillance de la santé du sol au niveau européen sera mis en place et nos travaux permettent d’accompagner ces réflexions pour intégrer pleinement les spécificités du sol forestier.

L.H.

Ces initiatives nous permettent de proposer de nouvelles actions et assurent aussi une continuité aux travaux déjà en cours : en matière d’écosystèmes forestiers, la recherche a besoin de s’inscrire dans la durée.

N.P.

L’élaboration du plan d’action pour la préservation des sols forestiers en France a été largement alimentée par les résultats des travaux de recherche des différents organismes de recherche et R&D, dont l’ONF RDI, et nos actions en matière de formation continue. Nous partageons par ailleurs totalement l’ambition de la proposition de directive européenne : le sol forestier est à la fois essentiel pour la vitalité des forêts, mais aussi très fragile. Il suffit de quelques minutes pour détruire un équilibre que le sol mettra des centaines d’années à reconstituer. C’est pourquoi nous oeuvrons avec constance à définir les meilleures pratiques de sylviculture possibles et à les faire adopter par les professionnels du secteur.