Si la lutte contre le changement climatique passe par l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et l’atteinte de la neutralité carbone, la manifestation de certains effets du changement climatique et le niveau de réchauffement déjà atteint hissent l’adaptation au rang des priorités de l’action. Pour s’adapter à ces effets irrémédiables et gérer l’inévitable, chaque acteur concerné – public ou privé – doit mettre en oeuvre des solutions d’adaptation.
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L’adaptation devient un sujet prioritaire pour l’ensemble des acteurs de la société : décideurs publics, mais aussi citoyens, acteurs économiques, assureurs ou financeurs. Ces impératifs de l’adaptation appellent à un changement systémique de nos modes d’organisation collectifs. En ce sens, l’adaptation est l’occasion d’exprimer collectivement ce à quoi nous tenons et dont nous souhaitons assurer la préservation et, à l’inverse, les activités ou biens que nous sommes prêts à abandonner.
L’adaptation au changement climatique est aussi un défi économique et financier. Il est nécessaire d’évaluer avec précision les coûts et d’anticiper au mieux le montant des dépenses à engager aujourd’hui, pour éviter des coûts plus élevés demain en matière de réparation des dommages. Une étude de l’ADEME estime qu’un réchauffement climatique de 3,5 °C se traduirait par une perte d’activité économique de 10 points de produit intérieur brut d’ici la fin du siècle1. Certaines études ont tenté d’évaluer le coût de l’adaptation pour plusieurs filières économiques2. Ainsi, selon l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), il faudrait entre quelques centaines de millions d’euros et quelques milliards pour adapter le réseau routier et ferré aux aléas climatiques futurs, environ 1,5 milliard d’euros par an sur la prochaine décennie pour les principales cultures végétales françaises et entre 1 et 2,5 milliards d’euros par an pour le bâti neuf et plusieurs milliards d’euros pour le parc immobilier existant.
Cela étant, l’adaptation ne saurait se résumer à un débat économique. Elle relève aussi et surtout de choix politiques structurels qu’il faudra prendre, et ce dans tous les domaines de l’action publique. Ainsi, le choix de recourir à une solution d’adaptation plutôt qu’une autre doit être l’aboutissement de réflexions concertées quant à son coût, son efficacité, sa faisabilité technique et sa réplicabilité, son acceptabilité sociale et ses impacts3. C’est à l’aune de l’ensemble de ces critères que les solutions fondées sur la nature (SfN) révèlent tout leur intérêt.
Les solutions fondées sur la nature comme réponse au défi de l’adaptation
Certaines des solutions d’adaptation au changement climatique reposent sur les services offerts par les écosystèmes, et d’une façon plus générale par la nature. La restauration de zones humides pour lutter contre les inondations, la végétalisation d’espaces urbains pour faire face aux épisodes de canicule, la restauration de mangroves pour contenir l’élévation du niveau des mers sont autant d’exemples de ces solutions dites fondées sur la nature.
Ces SfN ont le double avantage de lutter contre les effets du changement climatique tout en préservant la biodiversité. Elles constituent des solutions sans regret, au sens où elles conservent leur bénéfice quelle que soit l’évolution du climat, et peuvent se développer en synergie avec d’autres actions existantes. Nombre de ces solutions ne font pas appel à des techniques innovantes, mais reposent au contraire sur des méthodes anciennes (végétalisation, semailles d’essences forestières, restauration, etc.). Ce qu’elles apportent de nouveau, en revanche, c’est un rapprochement des enjeux climatiques et de la biodiversité. Elles appellent les acteurs concernés à remettre la nature au coeur de leur stratégie de lutte contre le changement climatique.
Précisions autour du concept de SfN dans le cadre de l’adaptation au changement climatique
Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a formalisé et promu le concept, les SfN peuvent correspondre à trois types d’actions : la préservation d’écosystèmes fonctionnels et en bon état écologique, la restauration ou l’amélioration de l’état d’écosystèmes dégradés ou encore la création d’écosystèmes. Ces actions doivent alors répondre à la fois à des enjeux écologiques, économiques et sociaux.
Les SfN regroupent différents concepts et pratiques tels que la restauration écologique, l’ingénierie écologique, les infrastructures vertes ou encore la nature en ville (par exemple l’agriculture urbaine ou la gestion à la parcelle des eaux pluviales).
Plusieurs éléments doivent être pris en compte pour considérer une SfN comme une réponse à l’adaptation
• Le défi de l’adaptation au changement climatique, et plus encore la réduction du risque climatique, doivent être clairement visés. Chaque projet doit mettre en avant les critères permettant de s’assurer du lien avec l’enjeu d’adaptation.
• Il doit s’agir d’une mesure qui dépasse le simple respect d’une obligation réglementaire (ex : séquence ERC : éviter, réduire, compenser).
• La SfN ne doit pas aggraver le changement climatique à défaut de pouvoir l’atténuer.
• La solution ne doit pas altérer la nature de manière artificielle, comme les organismes génétiquement modifiés (risque de modification non maîtrisée et irréversible des écosystèmes…).
• La solution ne peut se résumer à une action de biomimétisme (la définition de biomimétisme n’inclut en effet pas d’exigences en matière de réponse aux enjeux d’adaptation au changement climatique et de biodiversité ni de recours à des actions sur les écosystèmes).
• La SfN doit, en plus de réduire le risque climatique, fournir des bénéfices à la biodiversité.
Précisions autour du concept de trajectoires d’adaptation
Le concept de trajectoires d’adaptation est en pleine émergence et de plus en plus d’acteurs, publics comme privés, s’en saisissent. Cette approche inscrit l’adaptation dans une réflexion stratégique de long terme visant à déployer des actions à même d’évoluer au fil du temps, à mesure que les effets du changement climatique apparaissent concrètement. L’approche par trajectoire correspond ainsi à un processus itératif qui exige des ajustements continus des actions mises en œuvre par les principaux acteurs (décideurs, acteurs économiques, société civile, etc.) au fur et à mesure de l’acquisition de connaissances nouvelles. À cet égard, l’enjeu n’est pas, et ne peut pas être, d’identifier une seule et unique solution valable, mais bien de mettre en œuvre plusieurs solutions aux bénéfices multiples et capables elles-mêmes de s’adapter face aux incertitudes du climat de demain tout en restant performantes.
L’approche par trajectoire combine ainsi :
• des actions de court terme pour faire face aux aléas climatiques actuels et à venir permettant de préserver le fonctionnement de la société le temps de sa transformation. Face au recul du trait de côte, par exemple, il pourrait être acceptable dans un premier temps de renforcer les dunes existantes le temps d’étudier les meilleures solutions à mettre en œuvre à plus long terme ;
• une vision à long terme partagée par l’ensemble des acteurs concernés et prenant en compte des objectifs socio-économiques et environnementaux. C’est à ce stade qu’il faut penser, par exemple, le développement de l’activité quatre saisons d’une station de ski, la plantation d’essences adaptées aux températures à venir, la relocalisation des habitations les plus vulnérables, etc. ;
• des points de bascule qui apparaissent en fonction de l’évolution des températures et de la matérialisation des aléas climatiques, où les actions mises en œuvre doivent évoluer et où le plan d’adaptation doit être réorienté.
La trajectoire d’adaptation permet de passer d’une logique incrémentale de l’adaptation à une approche transformationnelle. L’adaptation incrémentale vise à maintenir l’organisation de nos sociétés (modes de production, de consommation, de déplacement, de logement, etc.) par une gestion réactive au changement climatique en se concentrant sur le maintien des conditions actuelles. L’adaptation transformationnelle vise à l’inverse un changement systémique, et intègre le long terme et l’incertitude dans les politiques publiques.
Les SfN à l’appui des trajectoires d’adaptation
Les SfN peuvent constituer des solutions pertinentes pour structurer une démarche de trajectoire d’adaptation. Elles sont conçues pour être adaptatives et réversibles, ce qui est un avantage dans le contexte d’un climat sans cesse changeant. Elles peuvent, de plus, se développer en synergie avec d’autres actions existantes, car elles n’entravent pas la recherche ni le déploiement d’autres solutions en parallèle de leur mise en œuvre. Une SfN peut très bien se combiner avec des solutions lourdes, des solutions d’accommodation, de relocalisation, etc.
Elles sont, comme on l’a vu, des solutions sans regret au sens où elles conservent leur bénéfice quelle que soit l’évolution du climat, dans une certaine limite de réchauffement. Un récif coralien en bonne santé, par exemple, atténue la puissance des vagues et, parce qu’il croît verticalement, s’adapte continuellement à l’élévation du niveau de la mer et peut jouer son rôle en matière d’adaptation sur le long terme. On parle généralement d’adaptation naturelle d’ajustement des écosystèmes aux aléas climatiques, ce qui en fait des alliés clés pour l’adaptation.
Elles ont de multiples bénéfices et oeuvrent aussi sur le volet atténuation de la lutte contre le changement climatique (santé humaine, services écosystémiques, stockage du CO2, développement économique et social, tourisme, approvisionnement en eau, etc.).
Enfin, ces SfN procèdent d’un certain (ré)aménagement des territoires et viennent structurer nos habitats et nos mobilités. En ce sens, elles peuvent accompagner les changements structurels d’organisation des territoires, conformément à la logique des trajectoires d’adaptation.
Bien entendu, les SfN à elles seules ne peuvent pas résoudre le défi de l’adaptation au changement climatique, notamment pour des territoires particulièrement vulnérables tels que les Outre-mer. Une SfN peut en effet devenir obsolète et perdre de son efficacité en matière de réduction du risque climatique au-delà de certains seuils de réchauffement. Restaurer une mangrove, par exemple, est une SfN utile pour réduire la houle et lutter contre l’élévation du niveau de la mer, mais au-delà d’un certain niveau d’élévation des températures, de force des vagues et d’intensité des tempêtes, la mangrove ne sera plus en capacité d’assurer ce rôle.
Le défi principal est donc de penser un ensemble d’actions de façon séquencée et qui peuvent se combiner dans le temps, en gardant à l’esprit que certaines vont perdre de leur efficacité en matière de réduction du risque climatique et que d’autres ne sont pas encore disponibles. Les SfN ne font pas obstacle à cette approche et permettent de répondre aux défis d’aujourd’hui tout en préparant les réponses de demain.
L’exemple du projet Carib-Coast à travers ses actions de suivi et d’atténuation de l’érosion côtière dans un contexte caribéen illustre bien l’ensemble des cobénéfices des SfN dans le cadre de l’adaptation. Les Antilles seront confrontées, dans les prochaines décennies, à une augmentation globale du niveau des mers, ainsi qu’à une intensification de la puissance des cyclones. S’inscrivant dans le cadre du projet interrégional Carib-Coast, l’action s’appuie sur des solutions d’adaptation fondées sur la nature (SafN) pour réduire les risques côtiers engendrés par l’érosion et les cyclones ou tempêtes touchant les plages de deux sites pilotes en Guadeloupe.
Il s’agit d’évaluer et de renforcer la capacité des écosystèmes côtiers caribéens à diminuer l’érosion et les risques de submersion marine et, donc, de réduire le risque climatique, mais aussi de protéger et d’améliorer le potentiel socio-économique de ces écosystèmes en rétablissant l’équilibre écologique rompu par la fréquentation et de restaurer la végétation des plages, de sensibiliser les publics et de préserver les espaces remarquables (sites de ponte de tortues). C’est à l’ensemble de ces défis environnementaux et sociétaux que les SfN peuvent contribuer.
Comment accentuer le recours aux SfN ?
Des freins à lever
Le projet Life ARTISAN, coordonné par l’OFB et pour lequel l’ADEME est un bénéficiaire associé, a conduit à la publication d’une étude sur les freins et leviers des SfN. Nous proposons ici une synthèse des principaux enseignements.
Les freins apparaissent à tout moment de la vie d’une SfN, de la conception à la mise en oeuvre, du déploiement à la pérennisation.
Dès la conception (étape autour de laquelle est définie opérationnellement la solution), des freins peuvent apparaître limitant son émergence. C’est le cas en particulier lorsque les mesures semblent insuffisamment efficaces par rapport aux solutions grises, lorsque leur articulation avec l’existant n’est pas démontrée, lorsqu’elles sont mal définies, mal comprises ou lorsqu’elles se heurtent à des réglementations. Les restaurations hydromorphologiques des cours d’eau par exemple sont confrontées à tous ces types d’obstacles (difficultés réglementaires, cloisonnement des services administratifs qui ne permettent pas d’envisager correctement la solution, incompatibilité avec des normes…).
Ensuite, la réalisation des SfN peut se heurter aux difficultés d’accès au foncier (par exemple en ce qui concerne des projets de végétalisation de la ville ou de restauration de zones humides), au manque de main-d’oeuvre pour la réalisation des ouvrages nécessaires ou à la difficulté d’évaluer les bienfaits de la solution. Le manque d’indicateurs pertinents, ou bien l’insuffisant partage de retours d’expérience ou de bilans autour de l’expérimentation sont en cause.D’une façon générale, les acteurs qui se mobilisent sur l’adaptation au changement climatique n’ont pas le réflexe d’envisager les SfN comme des réponses plausibles. Il est donc nécessaire d’activer les différents leviers à disposition des acteurs concernés.
Des leviers à activer
Pour qu’une solution d’adaptation se déploie, il faut tout d’abord que les cibles puissent se l’approprier, ce qui signifie, en plus de formations, que les critères la définissant doivent être évidents et partagés, ainsi que les indicateurs de suivi et de résultats qui la décrivent. La solution en elle-même doit faire l’objet d’une coconstruction avec les acteurs impliqués.
Il faut aussi communiquer autour de la solution en la rendant visible et lisible auprès de divers publics afin de mieux faire connaître ses différents bénéfices. L’enjeu consiste aussi à développer des connaissances nouvelles afin de démontrer le potentiel des SfN pour réduire le risque climatique et mettre en lumière l’ensemble de leurs cobénéfices.
Certains leviers reposent par ailleurs sur la montée en compétences des acteurs. Une aide doit alors être apportée aux porteurs de projets, tant méthodologique qu’administrative (fournir en particulier des cahiers des charges type) et la structuration d’une offre SfN, accompagnée par l’État et mobilisant les régions, serait particulièrement utile.
Enfin, d’autres facteurs concernent la question des coûts de ces solutions, qu’il faut à la fois identifier, évaluer, mais également limiter en jouant sur différents tableaux (programmer, mutualiser entre différentes opérations, anticiper notamment sur le volet foncier, etc.). Notons à ce stade que le coût d’une SfN est généralement porté par une collectivité publique, mais les bénéfices qui en découlent profitent à l’ensemble des acteurs du territoire. C’est par exemple le cas du projet des arbres de pluie, porté par la Métropole de Lyon. Pour refléter l’ensemble des avantages économiques d’une SfN, il faut privilégier une évaluation par coût global, ou cycle de vie, qui intègre les cobénéfices de ces solutions, notamment en matière de services écosystémiques, conformément aux conclusions du rapport Évaluation économique des solutions d’adaptation fondées sur la nature mené dans le cadre du projet Life ARTISAN. Les approches comptables classiques ne prennent pas toujours en compte les externalités négatives de certaines solutions grises ni les avantages complémentaires rendus par les SfN. Cette approche modifie la comparaison entre SfN et solutions dites grises, à l’avantage des premières.
Par ailleurs, il faut simplifier les normes et faire évoluer les réglementations concernant les SfN, en particulier pour qu’elles puissent intégrer la commande publique.
Ces leviers ne sont pas exhaustifs, mais ils donnent une idée des enjeux à relever pour massifier le recours au SfN et soulignent le fait qu’à chaque étape du processus, des actions peuvent être adoptées pour renforcer le recours à ces solutions.
Le projet Life ARTISAN : l’ADEME mobilisée pour accroître le recours aux SfN dans le cadre de l’adaptation au changement climatique
Financé à 60 % par la Commission européenne, le projet Life ARTISAN (Accroître la résilience des territoires aux changements climatiques par l’incitation aux solutions d’adaptation fondées sur la nature) est piloté par l’Office français de la biodiversité. Doté d’un budget total de 16,7 millions d’euros sur une durée de 8 ans (2020-2027), il s’appuie sur 28 bénéficiaires associés (dont l’ADEME). Il participe à la mise en oeuvre du deuxième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-2), du Plan biodiversité de la France, et contribue aux réflexions en cours en vue de l’adoption du PNACC-3.
Le projet ARTISAN se consacre ainsi à :
• démontrer et valoriser le potentiel des Solutions d’adaptation fondées sur la nature ;
• sensibiliser et faire monter en compétences les acteurs sur cette thématique ;
• accompagner et amplifier les projets de SafN sur tout le territoire national (dont l’Outre-mer).
À travers la mise en oeuvre de près d’une centaine d’actions (rapports, sites démonstrateurs, formations, guides de bonnes pratiques, mallette technique, groupes de travail, forum national, etc.) le projet Life intégré ARTISAN doit permettre la création d’un cadre propice au déploiement à toutes les échelles des Solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la nature.
Les 10 et 11 juin derniers a eu lieu à Toulouse le second Forum du projet ARTISAN : le forum Alliance Nature et Adaptation. À cette occasion, les trophées de l’adaptation au changement climatique ont été remis à des porteurs de projets exemplaires en matière de solutions fondées sur la nature.
2. Anticiper les effets d’un réchauffement de +4°C : quels coûts de l’adaptation ?
Avril 2024, I4CE.