Les enjeux environnementaux et sanitaires auxquels les activités humaines nous confrontent exigent de disposer d’approches systémiques, c’est-à-dire à la fois « multi-impact » et « cycle de vie » permettant de s’orienter vers des solutions et projets présentant moins d’impacts négatifs pour l’environnement.
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Pour l’ADEME, il s’agit de savoir si un projet financé est toujours bénéfique, compte tenu de ses impacts directs et indirects. Répondre à cette question est complexe. Pour ce faire, il est nécessaire de disposer d’une méthode et d’un outil d’évaluation de l’empreinte environnementale des projets. Basée sur la philosophie de l’ACV conséquentielle, la méthode Empreinte Projet vise à permettre d’évaluer, selon une approche systémique, multicritère et cycle de vie, les impacts potentiels sur l’environnement de projets de toute nature.
L’ADEME et l’évaluation environnementale
En France, l’ADEME joue un rôle clé sur la question de l’évaluation environnementale par son implication dans l’élaboration de cadres méthodologiques de référence, dans le financement de projets portés par des tiers et pouvant couvrir un large spectre de secteurs d’activités ou de niveaux de maturité technologiques, ou encore dans l’accompagnement des politiques publiques. Il est alors nécessaire de disposer d’un cadre commun afin de concourir à une mise en œuvre harmonisée de l’évaluation environnementale.
Panorama des évaluations environnementales
L’ADEME a établi un panorama d’une vingtaine de méthodes d’évaluation environnementale. Elles peuvent être plus ou moins apparentées, répondre à des objectifs, contextes, périmètres ou temporalités différentes. Celles-ci sont ici classées suivant 3 caractéristiques.
- Situation versus action (axe vertical).
- Méthodes circonscrites versus méthodes englobantes (axe horizontal).
- Des liens de parenté entre les méthodes : 4 familles de méthodes.
Les familles de méthodes d’évaluation environnementale1
AE : Affichage environnemental (approche française)
EEIO : Environmentally extended input output analysis
EES : Évaluation environnementale stratégique
EIE : Étude d’impact sur l’environnement
EQRS : Évaluation quantitative des risques sanitaires
MIPS : Material input per service unit (sac à dos écologique)
OEF : Organisational environmental footprint (niveau européen)
PEF : Product environmental footprint (niveau européen)
Situation versus action
Une méthode ayant la caractéristique « situation » évalue un élément (un produit, un service, un projet, un organisme, etc.) en tant que tel. Il s’agit d’une photo des impacts de l’élément à un instant T. À l’inverse, une méthode dite « différentielle » (ou conséquentielle) offre la capacité d’évaluer un élément par rapport à une autre situation. C’est une comparaison.
Méthodes circonscrites versus méthodes englobantes
Une méthode circonscrite est une méthode qui va avoir un périmètre restreint, ou être monothématique. Monothématique signifie qu’un seul indicateur d’impact va être évalué. Un périmètre restreint signifie que toutes les phases d’une chaîne de valeur ou d’un cycle de vie ne seront pas analysées. À l’inverse, une méthode englobante pourra être quant à elle multiétape (analyse de toutes les phases d’une chaîne de valeur ou du cycle de vie), et pourra évaluer plusieurs indicateurs d’impacts.
Empreinte projet : passer de l’évaluation carbone à l’évaluation multicritère
Les méthodes d’évaluation environnementale existantes permettent d’estimer les impacts sur l’environnement d’un État, d’une organisation, d’un service ou d’un produit. Cela peut signifier évaluer selon une approche site ou cycle de vie, mono ou multicritère. Mais qu’en était-il du projet ?
Initialement, l’ADEME avait créé la méthode monocritère carbone QuantiGES en 2014, dont Empreinte Projet est la succession. Elle permet d’évaluer l’intérêt d’un projet du point de vue du réchauffement climatique. Par exemple, le remplacement d’une chaufferie gaz par une chaufferie bois est-il pertinent au regard du réchauffement climatique ? Puis on a souhaité évaluer la pertinence de ce projet en regard d’autres indicateurs, tels que la qualité de l’air ou bien la perte de biodiversité. Dès lors, quel indicateur prioriser ?
Pouvoir répondre à ce type de requête apparaît de plus en plus pour les projets des collectivités et entreprises. La réponse à ce type de question est bien souvent complexe et spécifique à chaque projet. Dans le cadre des nombreux AAP gérés par l’agence, l’ADEME est confrontée à ces questions, qui nécessitent d’évaluer les projets selon une approche progressive, cycle de vie et multicritère. En outre, cela permettrait de disposer d’informations complémentaires afin de déterminer si le financement de projet contribue positivement à l’environnement, et pour quels indicateurs environnementaux. Elle permet également au porteur de projet de définir des actions qui amélioreraient le bilan environnemental de son projet.
C’est dans ce cadre que la méthode Empreinte Projet a été créée en 2021. Elle représente l’aboutissement d’années de recherche et d’évolution progressive des outils.
La méthode Empreinte Projet s’adresse à l’ensemble des organisations, entreprises ou collectivités déjà concernées ou non par des réglementations environnementales (par exemple relatives aux bilans GES, à la pollution de l’air, etc.), mettant en œuvre des projets susceptibles de réduire les impacts environnementaux de leurs activités et souhaitant s’assurer que c’est bien le cas.
Qu’est ce que la méthode d’évaluation environnementale « Empreinte Projet » ?
La méthode permet d’évaluer de manière systémique si la mise en place d’un projet par rapport à une situation dite « de référence » est bénéfique ou non pour l’environnement. En ce sens, elle s’appuie sur les concepts de l’ACV conséquentielle et sur le protocole de la méthode QuantiGES.
La méthode est centrée sur l’évaluation des projets et des plans d’action et propose un accompagnement poussé dans le cadrage de l’évaluation à réaliser. L’impact du projet est comparé à un scénario de référence, c’est-à-dire la situation dans laquelle le projet n’a pas lieu. Concrètement, cela revient souvent à comparer l’impact du projet avec un scénario représentatif du marché actuel (business as usual).
- Elle propose 5 niveaux d’approches avec des exigences plus ou moins fortes, permettant d’obtenir des résultats plus ou moins précis et robustes, d’un premier niveau seulement qualitatif jusqu’à une évaluation quantitative multicritère approfondie. L’utilisateur peut choisir l’approche la plus appropriée en fonction du stade d’avancement du projet à évaluer, de l’objectif de l’évaluation à réaliser et de ses capacités.
- La méthode permet d’évaluer de manière systémique – multicritère et cycle de vie – les bénéfices et les charges environnementales potentielles qui résultent d’un projet, et ainsi d’identifier les transferts d’impacts potentiels par rapport à une référence donnée.
- La méthode est adossée aux normes relatives à l’ACV (ISO 14040 et 14044), ce qui permet de renforcer la consistance2 des données employées, améliorant ainsi la capacité à additionner ou à comparer des résultats d’impacts.
- La méthode accompagne l’utilisateur dans l’interprétation des résultats obtenus, lui permettant de déterminer s’ils sont significatifs au regard de la qualité des données qui ont été utilisées pour la quantification. Il s’agit d’une démarche pratique et itérative par étape qui aide l’utilisateur à caractériser le projet visé, à établir l’arbre des conséquences du projet puis à poser et réaliser les calculs permettant la quantification des impacts dans plusieurs catégories à sélectionner. Cette méthode permet à la fois de traiter la quantification des impacts environnementaux en ex ante, à mi-parcours et en ex post.
Les 5 niveaux de la méthode
NIVEAU 1 : Qualitatif
Conclusions possibles : Identification préliminaire des enjeux environnementaux
Compétences nécessaires : Peu de compétences spécifiques
NIVEAU 2 : QuantiGES
Conclusions possibles : Conclusion sur une première estimation des émissions de GES
Compétences nécessaires : Compétences basiques en comptabilité carbone
NIVEAU 3 : Multicritère simplifiée
Conclusions possibles : Conclusion sur les catégories d’impacts pertinentes et la tendance observée sur ces indicateurs
Compétences nécessaires : Compétences en ACV nécessaires
NIVEAU 4 : Multicritère intermédiaire
Conclusions possibles : Première conclusion sur l’intérêt environnemental. Valeurs d’impact quantifiées avec note de fiabilité
Compétences nécessaires : Expertise en ACV nécessaire
NIVEAU 5 : Multicritère approfondi
Conclusions possibles : Conclusion sur l’intérêt environnemental et sur des valeurs d’impact quantifiées, communicables, justifiées et revues
Compétences nécessaires : Expertise en ACV nécéssaire
Niveau 1 – Qualitatif
Il s’agit d’une évaluation qualitative permettant d’appréhender les principales conséquences du projet évalué. Ce niveau permet de s’imprégner de la pensée systémique et de pouvoir donner les contours d’une future quantification.
Niveau 2 – QuantiGES
Il s’agit d’une évaluation simplifiée des émissions de GES du projet issue de la méthode QuantiGES.
Concernant les niveaux 3 à 5, les exigences vont s’intensifier en termes de temps et de moyens consacrés à l’évaluation du projet.
Niveau 3 – Multicritère simplifié
Ce niveau permet d’obtenir une première idée de la tendance des impacts environnementaux du projet évalué.
Niveau 4 – Multicritère intermédiaire
Ce niveau est adapté pour une quantification en cours ou en fin de projet, mais dont les résultats ne sont pas destinés à être communiqués en externe.
Niveau 5 – Multicritère approfondi
Ce niveau est adapté pour une quantification ex post dont les résultats sont destinés à être communiqués en externe.
Comment cette méthode est-elle utilisée à l’ADEME ?
La méthode Empreinte Projet a notamment été utilisée sur 8 études, 7 appels à projets (Perfecto 2021, 2022, 2023, Graine, Econum, ECOSYSH2, Entrepôts Logistiques, Low-tech Normandie, Aides au réemploi des emballages et des contenants Normandie) dont un appel à projets opéré dans le cadre de France 2030, pour des niveaux de 1 à 4 sur des thématiques différentes (mobilité, énergie, numérique, plastiques, low-tech, EFC, réemploi, etc.).
Elle est identifiée par de nombreux organismes (SGPI, PEXE, Inria, Alliance Tenerrdis…) et commence à être demandée par certains, comme dans le challenge TechSprint de la Caisse des Dépôts et Consignations, à 29 porteurs de projets (numériques).
Les AAP qui ont permis de tester la méthode
La méthode Empreinte Projet a été testée avec succès auprès des porteurs de projets de l’APR Perfecto, un APR transversal à l’ADEME dédié à l’amélioration de la performance environnementale des produits, technologies, services et procédés dès la phase de R&D en suivant une démarche d’écoconception. Cet APR cible particulièrement les équipes de R&D des entreprises. En page 8, l’article « La parole à » présente une autre situation de test de la méthode.
La particularité de l’APR Perfecto réside dans le fait que, depuis la première édition en 2004, les lauréats doivent réaliser une ACV attributionnelle de leur technologie ou procédé. Mais selon les bureaux d’études, les cadrages réalisés et les méthodes de calcul utilisés, les résultats peuvent différer. La méthode a été introduite progressivement dès 2021, comme un enrichissement de cette première exigence, et pour atteindre un même niveau de qualité des ACV et à terme les rendre plus facilement comparables entre elles. En 2021, il a été demandé aux candidats de remplir le niveau 1 en cours de projet, en 2022, le niveau 3 a été exigé pour les lauréats, et en 2023, le niveau 1 était obligatoire au dépôt du dossier et le niveau 3 obligatoire en fin de projet.
Cette expérimentation a été bien accueillie par les lauréats. Elle a permis une montée en compétences en écoconception et en ACV de l’ensemble des équipes projet. De plus, elle leur a permis de mieux structurer leur projet et d’en avoir une vision plus complète. Elle leur a aussi permis d’identifier une diversité de risques plus tôt dans leur projet. Le niveau 1 a guidé les porteurs de projet (majoritairement des PME) dans leur projection depuis un niveau de maturité technologique TRL 5 vers la mise sur le marché de leur solution écoconçue.
Dans le niveau 3, les étapes optionnelles d’interprétation ont montré une réelle plus-value pour les lauréats. Le cadrage de la méthode permet en effet de mieux mettre en valeur les ordres de grandeur des impacts dans la quantification des ACV, et de diffuser auprès des lauréats une meilleure compréhension des résultats d’ACV et des conditions d’application de ces résultats. Le parcours itératif et la mise en œuvre évolutive de la méthode (du niveau 1 vers le niveau 3) stimulent une compréhension commune de l’ACV par les différents métiers de l’entreprise. En fin de projet, même dans le cas où il est impossible de conclure à un bénéfice environnemental, les porteurs de projet en comprennent mieux les résultats et peuvent reconsidérer les hypothèses sur lesquelles reposent les scénarios, ou modifier leur projet.
Le niveau 5 n’est pas adapté pour des projets de recherche à bas TRL car il demande trop de données quantifiées (indisponibles ou avec trop d’hypothèses) à ce stade d’avancement des projets de développement.
Pour l’ADEME, la méthode a montré son utilité pour pouvoir mieux suivre les projets qui, par nature, peuvent être extrêmement différents. Elle a également été utile pour se projeter dans le temps et identifier plus en amont du développement technologique des conséquences potentiellement négatives du déploiement de ces technologies sur l’environnement.
Quelles sont les perspectives de déploiement de la méthode ?
Pour contribuer à la montée en compétences générale sur la transition écologique, l’ADEME souhaite que la méthode Empreinte Projet devienne un référentiel de standard de la transition écologique et que son déploiement s’accélère. Dans l’optique de rendre les utilisateurs le plus autonomes possible, l’ADEME œuvre pour fournir des ressources efficaces et adaptées aux différents acteurs concernés.
- La mise à disposition d’une formation à la méthode.
- La mise à disposition d’un outil web pour appliquer la méthode.
- La mise à disposition de données via la Base Empreinte3 mise à jour en continu.
1 – Guide d’aide à la sélection des méthodes d’évaluation environnementale
2 – Terme utilisé en ACV pour décrire l’homogénéisation des données et des hypothèses de modélisation.
3 – La Base Empreinte® est la base de données publique officielle de facteurs d’émission et de jeux de données d’inventaire nécessaires à la réalisation d’exercices de comptabilité carbone des organisations et d’affichage environnemental des produits et services de grande consommation.