Rencontre

Rencontre avec Sophie Bonin et Thomas Eglin

Créé en 2008, le programme ITTECOP entend mettre en oeuvre une relation plus positive entre les êtres vivants et les infrastructures de transports. Depuis 2024, il questionne également les potentiels des infrastructures d’énergie dans les territoires en transition. Il associe le ministère en charge de l’écologie, l’ADEME, l’OFB, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), le Club des Infrastructures Linéaires et Biodiversité (CILB), ainsi que plusieurs entreprises comme RTE, la SNCF ou ENGIE.


Sophie Bonin

Maître de conférences, enseignante-chercheure au Laboratoire de recherche en projet de paysage à l’École nationale supérieure de paysage, SOPHIE BONIN préside le Conseil scientifique du programme ITTECOP1 depuis 2020.

Thomas Eglin

Ingénieur agronome et docteur en écologie, THOMAS EGLIN coordonne le pôle « Sols, paysages et impacts environnementaux » du service en charge de la planification énergétique au sein de la Direction bioéconomie et énergies renouvelables de l’ADEME.


En quoi consiste le programme ITTECOP ?
Sophie Bonin

ITTECOP a été créé en 2008 par le ministère de l’Écologie afin de mieux articuler les politiques de transport et d’aménagement du territoire avec celles de l’écologie. Il associe aussi l’ADEME, l’OFB, la FRB, le CILB, ainsi que plusieurs entreprises comme RTE, la SNCF ou ENGIE. L’un de ses enjeux clés a d’emblée été d’améliorer les pratiques et le dialogue entre les opérateurs des infrastructures (comme RTE, la SNCF, EDF, etc.) et les acteurs publics dans cet objectif : mieux prendre en compte les enjeux écologiques, sociétaux et paysagers dans les infrastructures de transport ou d’énergies. En 2024, ITTECOP a élargi son champ d’action en travaillant avec les opérateurs des énergies renouvelables. Cet élargissement nous a paru aller de soi, car nous notons un rapport entre le développement des énergies renouvelables et celui des réseaux de transports (à titre d’exemple, le travail de RTE sur les lignes à haute tension est directement influencé par le développement des énergies renouvelables ; le développement des EnR implique la construction d’infrastructures routières, un enjeu souvent oublié). Surtout, ces deux secteurs, transport et énergie, sont à relier dans les projets de transition énergétique des territoires. Enfin, notre expertise des infrastructures de transport nous a paru transférable aux EnR, ce que les réponses à notre appel à projets de 2024 confirment.

D’autres programmes de recherche existent déjà sur ces sujets (EnR, biodiversité) ; en quoi ITTECOP est-il spécifique ?
S.B.

ITTECOP croise ces questions avec les approches politiques et les sciences sociales, tout en ancrant chaque réflexion dans un territoire. Prenons comme exemple l’étude de l’impact du développement photovoltaïque sur les pollinisateurs. Des travaux peuvent être soutenus financièrement par d’autres programmes existants pour proposer des inventaires écologiques en fonction des types de panneaux et examiner leur influence sur la biodiversité. ITTECOP soutiendra le même inventaire s’il prend également en compte le contexte territorial dans lequel le panneau s’insère, l’histoire des lieux, la disposition paysagère, les pratiques des autres gestionnaires (agriculteurs ou forestiers par exemple), les relations aux acteurs du territoire, etc. In fine, il s’agira de penser un projet de territoire en réfléchissant au paysage que l’on veut avoir à l’avenir. ITTECOP accompagne donc des projets de recherche interdisciplinaires et localisés.

L’enjeu est de penser un projet de territoire en réfléchissant au paysage que l’on veut avoir à l’avenir.

Sophie Bonin, Maître de conférences, enseignante-chercheure

L’ADEME soutient ce programme depuis sa création et approuve sa récente ouverture aux énergies renouvelables : pourquoi cette constance ?
Thomas Eglin

L’ADEME est de plus en plus questionnée sur les impacts environnementaux et paysagers des énergies renouvelables, a fortiori dans un contexte où celles-ci sont appelées à se massifier. Les questions que nous recevons sont aussi bien énergétiques qu’écologiques, sociales, etc., et s’ancrent dans des territoires diversifiés. Participer au programme ITTECOP nous permet de répondre à ces enjeux territoriaux – ce que ne font pas les autres APR, plus concentrés sur des enjeux par filières.

En 2024, ITTECOP a lancé l’APR « Défis des infrastructures dans les territoires entre changements globaux et déclin de la biodiversité » : en quoi cet APR impulse-t-il un tournant ?
T.E.

Il permet de passer d’une approche en filières à une approche plus globale du déploiement des EnR au sein des territoires. Quelques projets lauréats aident à cerner la variété des enjeux qui seront traités : une équipe développera un outil capable de quantifier les effets cumulés des infrastructures EnR et routières sur les chauves-souris et les oiseaux à l’échelle d’un territoire, une autre impliquant juristes, écologues, sociologues et économistes travaillera sur l’efficacité des autorisations environnementales à partir de cas d’études de terrain ; un projet piloté par des paysagistes analysera les relations entre agriculture, paysages et projets d’énergies renouvelables. Enfin, un autre projet conduit par des éthologues sur une cohorte d’aigles dans le bassin de la Durance aura le double objectif suivant : caractériser le comportement de vol des oiseaux à proximité du réseau de transport d’électricité et évaluer l’efficacité des dispositifs déployés pour réduire les collisions, etc. Le champ d’investigation est vraiment large.

La récente loi d’accélération de la production d'énergies renouvelables fait-elle émerger de nouveaux besoins auprès des collectivités ?
T.E.

Absolument. Les communes ont été appelées à s’impliquer davantage dans le déploiement des énergies renouvelables, notamment par la définition des zones favorables. Or, toutes ne sont pas outillées pour mener une telle planification, prenant en compte les différents enjeux. Les projets de recherche financés par le programme pourront contribuer à l’amélioration des démarches de planification.

Notre objectif est de développer des outils pour aider les collectivités à mettre en oeuvre une planification énergétique solide.

Thomas Eglin, Ingénieur agronome et docteur en écologie

Selon vous, quels verrous de recherche restent à lever ?
S.B.

Les pratiques interdisciplinaires (qui sont au coeur de notre approche) restent encore difficiles à mettre en œuvre et, même s’ils sont curieux des autres disciplines, les chercheurs travaillent souvent en silo. Mais la première question à laquelle nos équipes sont confrontées est celle de la temporalité ; c’est un point important : un projet d’énergie, un suivi scientifique demandent du temps, et cette temporalité est rarement celle du projet politique. Actuellement, nos travaux sont programmés sur trois ans, alors qu’idéalement, par exemple pour suivre un projet d’EnR de la décision à l’installation, et évaluer ses conséquences sur la biodiversité, il nous en faudrait six.

Comment les enseignements issus de vos travaux se déclinent-ils en outils opérationnels ?
S.B.

Dans la mesure où chaque projet associe des partenaires territoriaux et veille à renforcer le dialogue avec les gestionnaires, il développe nécessairement des outils directement utiles aux acteurs de terrain. Je pense notamment à un logiciel qui identifie les habitats potentiels le long d’un linéaire afin d’atténuer l’impact des grandes infrastructures (Graphab), ou encore à un outil qui aide les gestionnaires à évaluer l’impact de leurs actions en matière de biodiversité (RENATU, un indicateur synthétique). Tous ces outils sont disponibles librement sur notre site web.

T.E.

Des entreprises, comme RTE, la SNCF, TotalEnergies ou ENGIE qui font partie du comité opérationnel du programme, sont des utilisateurs directs des résultats de nombreux projets. Ils participent donc activement à la diffusion de la connaissance issue de la recherche. L’ADEME est aussi très impliquée dans cette diffusion. L’Observatoire des énergies renouvelables et de la biodiversité, que nous avons récemment mis en place avec l’OFB, relaie cette connaissance auprès des acteurs de l’énergie et des collectivités ; enfin, au-delà du programme ITTECOP, l’ADEME accompagne depuis 2020 les « Plans de paysage transition énergétique » qui aident les collectivités à créer un projet paysager cohérent avec la transition énergétique. Il s’agit là d’un outil très opérationnel qui rencontre un franc succès et qui pourra se nourrir des résultats des travaux de recherche.

S.B.

Pour approfondir cette question, j’invite à lire l’ouvrage que nous avons publié en 2024, Infrastructures de transport créatives (aux éditions Quae). Nous montrons comment les infrastructures créent des poches et des corridors de biodiversité inattendus : mieux le comprendre est un levier d’amélioration des aménagements. Nous proposons également des scénarios pour mettre en oeuvre une relation plus positive entre les êtres vivants et les constructions humaines avec, en toile de fond, l’enjeu de la décarbonation.

1 Infrastructures, territoires, transports, énergies, écosystèmes et paysages.