Rencontre

Rencontre avec Delphine Bellanger et Marie Jeanmougin


Delphine Bellanger, Chargée de mission à l’Association pour une gestion durable de l’énergie (AGEDEN).

L’AGEDEN accompagne les collectivités et les particuliers de l’Isère dans leurs projets de rénovation énergétique.

Marie Jeanmougin, Cheffe de projet européen BAOBAP à l’ADEME.

BAOBAP est un projet européen financé par le programme LIFE et coordonné par l’ADEME, l’Agence de la transition écologique.

L’AGEDEN travaille à la rénovation des bâtiments publics en lien direct avec les usagers : pourquoi avoir choisi de les inclure ?
Delphine Bellanger

L’AGEDEN travaille de longue date sur des projets de rénovation énergétique et nous avons toujours souhaité connaître les avis des usagers. Mais jusqu’ici, nous les sollicitions en phase de réception, une fois la rénovation terminée, pour les aider à appréhender l’utilisation du bâtiment. Dans le cadre du projet européen BAOBAP (Boîte à outils pour bâtiments publics), nous cherchons à les impliquer en amont de la définition d’un projet afin de cerner au mieux leurs besoins (notamment à partir de leurs ressentis) et les usages réels d’un bâtiment.
Une rénovation est complexe à mener, c’est souvent le projet d’un mandat d’élu. L’AGEDEN est principalement sollicitée par des communes rurales de petite taille, de 2 000 habitants au maximum, qui rassemblent la majorité de la population de notre territoire. Dans ce contexte, nous devons répondre à des problématiques liées au climat, aux process constructifs spécifiques (comme la construction en pisé). Surtout, dans des communes de cette taille, les bâtiments collectifs ont de multiples usages : un espace peut successivement servir de gymnase, de salle polyvalente, accueillir la chorale, un mariage, etc. Nous devons donc comprendre comment celui-ci sera utilisé pour que les travaux de rénovation couvrent l’ensemble des besoins et assurent le bien-être des usagers.

Comme chaque bâtiment est unique, chacune de nos enquêtes est spécifique.

Delphine, Bellanger
Comment l’ADEME se positionne-t-elle sur ce projet ?
Marie Jeanmougin

L’ADEME soutient cette action dans le cadre du projet européen BAOBAP qu’elle coordonne, lui même inscrit dans le programme LIFE. L’un des volets du projet vise à mettre en place des expérimentations avec l’appui de structures implantées sur le territoire afin d’améliorer les services proposés aux petites communes rurales. Nous accompagnons donc l’AGEDEN en Isère, mais aussi différents partenaires présents dans d’autres territoires avec toujours la même intention : intégrer les usagers dans les projets de rénovation.

Quels usagers sollicitez-vous dans le cadre de cette réflexion ?
D. B.

L’acteur clé reste l’élu qui pilote le projet ; nous sommes donc d’abord en contact avec lui, mais nous sollicitons l’ensemble des personnes qui occuperont le bâtiment qui doit être rénové. Dans le cas d’une école, nous sonderons le personnel enseignant, les élèves, les intervenants en périscolaire, le personnel technique, etc. Comme chaque bâtiment est unique, chacune de nos enquêtes est spécifique. Nous accompagnons ensuite les élus à définir un cahier des charges sur mesure.

Quelle place l’AGEDEN donne-t-elle à la sobriété énergétique dans ses projets ?
D. B.

Elle doit être la première étape. Tous nos projets sont élaborés en nous appuyant sur les trois piliers de la démarche négaWatt : sobriété, efficacité, énergies renouvelables. La sobriété énergétique se distingue de l’efficacité énergétique, car elle implique d’interroger les besoins pouvant amener à des changements de comportement ou d’organisation collective.

Ces initiatives territoriales alimentent-elles les travaux de l’ADEME ?
M. J.

Ces acteurs locaux permettent de mieux questionner les besoins des usagers. Pour y répondre, l’ADEME s’est rapprochée d’un groupe de travail mis en oeuvre dans le cadre du projet de recherche-action AMU-I, qui vise à évaluer l’impact des démarches participatives dans les bâtiments. Par ailleurs, nous travaillons avec un doctorant qui réalise sa thèse dans le cadre du programme ACTEE (Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique) que porte la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et avec le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Quand des besoins très spécifiques émergent, l’ADEME a la capacité de trouver des solutions, soit par un benchmark au niveau national pour vérifier si la solution existe ailleurs, soit par le lancement d’appels à projets de recherche. Les propositions de solutions sont ensuite testées dans les territoires. Cette approche concrète et collaborative permet de développer des solutions utiles. Elle est aussi précieuse aux acteurs de la recherche : la plupart d’entre eux manquent de structures pour tester leurs hypothèses et avoir des retours d’expériences. Notre ancrage solide dans les territoires leur offre des opportunités d’expérimentation en conditions réelles. Le fonctionnement du projet est aussi intéressant en ceci : il fonctionne dans une approche bottom up itérative. Autrement dit : l’ADEME n’impose ni sujet ni méthode ; elle fait confiance aux acteurs des territoires pour remonter leurs besoins, puis les accompagne afin d’obtenir des financements, assurer une mise en réseau au niveau national, et diffuser cette expertise dans les territoires pour que les communes rurales de l’Isère en profitent.

De quels outils aviez-vous besoin ?
D. B.

Principalement d’outils d’animation. Quand nous intervenons sur un projet, nous constatons que les élus ont une idée préétablie des travaux à mener. Des instruments pour les aider à requestionner et affiner leurs besoins sont donc nécessaires. C’est dans cette logique que nous avons créé Le Radar de la qualité des lieux. Il s’agit ici de faire déambuler les élus dans le bâtiment et de les questionner sur certaines thématiques (ressources à mobiliser, harmonie du lieu, espaces extérieurs et mobilité…). Puis nous recommençons l’opération avec les usagers ; il s’agit cette fois de parler du ressenti, du confort, de la facilité d’usage. Dans un troisième temps, nous rapportons ces deux regards complémentaires pour proposer aux élus un programme de travaux cohérent.

Notre ancrage solide dans les territoires leur offre des opportunités d’expérimentation en conditions réelles.

Marie, Jeanmougin
Y a-t-il des besoins de recherche dans l’approche originale que vous privilégiez ?
D. B.

Oui, particulièrement en sociologie. Nous privilégions des approches innovantes, loin des sentiers battus. Nous sommes également sensibles à des approches qui reconnaissent que la technologie seule ne nous sauvera pas et que le triptyque que nous avons évoqué – sobriété, efficacité, énergies renouvelables – est la pierre angulaire de la rénovation à venir. Les a priori sociologiques et culturels sont importants, notamment sur les énergies. Les échanges avec des experts d’horizons diversifiés contribuent à faire évoluer les connaissances et positionnements. Nous favorisons également l’intervention d’acteurs du monde de la culture ; l’objectif est ici de travailler sur la mise en récit afin de faire passer les messages. La recherche en sciences humaines, et notamment en sociologie, a donc de l’intérêt dans cette perspective de déconstruction des a priori.

Cette démarche est-elle transposable au-delà de l’Isère ?
M. J.

Oui. D’ailleurs, le partage des bonnes pratiques auprès du plus grand nombre est un prérequis du programme européen BAOBAP ! Plusieurs structures se sont déjà emparées de cette approche, je pense notamment à l’Agence locale de la transition énergétique du Rhône, au Syndicat de l’énergie et du numérique en Haute-Savoie (Syane) ou à l’Agence régionale énergie climat de l’Occitanie, qui développe un module pour sensibiliser les communes à l’intérêt de consulter les usagers, etc. À mesure que nous communiquons sur notre projet, les structures locales nous sollicitent pour développer un service sur cette thématique. C’est un objectif de BAOBAP : rendre public l’ensemble des outils et méthodes développés afin que les structures intéressées se les approprient et accompagnent un nombre croissant de collectivités dans cette démarche raisonnée de rénovation.