Regards croisés sur la directive européenne sur la surveillance des sols

La directive européenne sur la surveillance des sols devrait être votée au Parlement puis formellement adoptée par le Conseil de l’UE à l’automne. Longtemps négligé, ce patrimoine commun, vivant et fragile, s’impose enfin au coeur des politiques européennes. Baptiste Perrissin Fabert, directeur général délégué en charge de l’expertise à l’ADEME, et Esther Goidts, bioingénieure et docteure en sciences, oeuvrant à la direction de la Protection des sols du service public de Wallonie – croisent leurs regards sur les ambitions de ce texte fondateur.


Baptiste Perrissin Fabert , Directeur général délégué en charge de l’expertise à l’ADEME

Docteur en économie du climat, Baptiste Perrissin Fabert a travaillé au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, au Commissariat général au développement durable et à France Stratégie. Il a également contribué à la loi antigaspillage. Après une mission sur la « finance bleue » pour la ministre de la Mer début 2021, il rejoint l’ADEME comme directeur exécutif de l’Expertise et des Programmes. Depuis octobre 2023, il est directeur général délégué à l’expertise de l’ADEME.

Esther Goidts , Bioingénieure et docteure en sciences, oeuvrant à la direction de la Protection des sols du service public de Wallonie

Bioingénieure et docteure en sciences, Esther Goidts oeuvre depuis plus de 15 ans à la direction de la Protection des sols du département des Sols et des Déchets du service public de Wallonie. Elle est chargée du financement de la recherche et du développement des bases juridiques dans le domaine de la protection des sols. Elle participe également aux discussions européennes via différents réseaux (SOILveR, Common Forum…) et copilote la position belge sur les questions relatives aux sols, notamment la proposition de directive sur la surveillance des sols.

Pourquoi les sols suscitent-ils aujourd’hui un tel intérêt au niveau européen ?
Baptiste Perrissin Fabert

Les sols ont longtemps été considérés comme un patrimoine privé, contrairement à l’air ou à l’eau, reconnus comme des biens communs. Aujourd’hui, on redécouvre leur rôle stratégique pour la souveraineté alimentaire, la régulation de l’eau, le stockage du carbone et le maintien de la biodiversité. Le Pacte vert de 2019 et la crise du Covid ont accéléré la prise de conscience de l’interdépendance des trois grandes crises environnementales – changement climatique, pollution et perte de biodiversité – et du rôle décisif des sols dans chacune d’elles. Il y a urgence à agir : entre 60 et 70 % des sols européens sont dégradés.

Esther Goidts

Le Pacte vert a replacé les sols au coeur des politiques européennes. Une directive avait déjà été proposée en 2006, mais elle avait échoué, car jugée trop contraignante. Aujourd’hui, la prise de conscience est plus forte et les États sont mieux préparés. On comprend qu’il est impossible de réussir la transition écologique sans protéger les sols, qui se trouvent au carrefour du climat, de la biodiversité et de la santé humaine.

Quels sont les grands principes de cette directive européenne ?
E.G.

L’objectif est de parvenir à des sols en bonne santé d’ici 2050 en s’appuyant sur trois axes. Le premier vise à évaluer l’état des sols grâce à un suivi harmonisé des paramètres physiques, chimiques et biologiques, avec une marge d’adaptation aux circonstances locales. Le texte fixe ensuite des principes pour limiter l’artificialisation des terres, en mettant l’accent sur l’imperméabilisation et la destruction des sols, selon le principe « Éviter, réduire, et compenser », sans objectifs contraignants. Le dernier axe concerne la gestion des sols pollués, avec la création de registres publics et une approche fondée sur les risques. La directive combine surveillance harmonisée, amélioration continue et transparence.

B.P.F

C’est un vrai progrès, même si, sur la sobriété foncière, la directive reste moins ambitieuse que la loi Climat et Résilience, qui impose un objectif de zéro artificialisation nette en 2050. Elle fixe néanmoins un cadre nécessaire pour la surveillance et la gestion durable des sols. C’est une première étape, qui pourra être renforcée dans le futur.

Comment les États membres vont-ils mettre en oeuvre ce texte ?
B.P.F

Chaque pays devra transposer la directive et mettre en place, adapter ou renforcer son réseau de surveillance. En France, le programme Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMQS), qui évalue l’état et l’évolution de la qualité des sols sur le long terme, fournit une base précieuse mais encore incomplète au regard du maillage des points d’échantillonnage nécessaires pour se conformer aux attentes de la directive. L’enjeu, pour répondre aux exigences européennes, sera aussi d’élargir le suivi à de nouveaux indicateurs, comme certains polluants émergents ou pesticides.

E.G.

La faisabilité et la souplesse ont été des enjeux majeurs lors des négociations. La directive prévoit trois ans pour la transposition et des cycles de surveillance de six ans. Les États pourront s’appuyer sur leurs réseaux existants, avec le soutien technique de la Commission et de la communauté scientifique. L’ambition est forte, mais réaliste.

Comment dépasser la vision très technique des sols et générer une véritable prise de conscience citoyenne ?
B.P.F

Les sols sont un patrimoine commun, vivant et fragile, essentiel à notre quotidien. Il est crucial de sensibiliser dès le plus jeune âge, avec des activités pédagogiques qui rendent visibles les liens entre sols, société et environnement. La Fresque du sol, portée par l’ADEME et développée avec l’aide de l’AFES (Association Française pour l’Etude du Sol), a déjà sensibilisé plus de 10 000 personnes, et nous travaillons à sa diffusion à l’échelle européenne. Il faut également montrer des exemples concrets : reconversion de friches, cours d’école « oasis », etc. Cette prise de conscience doit être relayée auprès des décideurs et des acteurs de terrain, afin que la protection des sols devienne un critère central des politiques d’aménagement.

E.G.

Il faut partir de ce qui parle aux gens : alimentation, jardin, et biodiversité. Le potager, par exemple, est une porte d’entrée idéale, qui incite à s’interroger sur la fertilité ou l’infiltration de l’eau. L’approche doit être simple, ludique et positive : valoriser les services rendus par les sols plutôt que leurs problèmes. L’objectif est de redonner « le goût de la terre » : on protège ce que l’on aime.