Les sols des territoires ultramarins constituent un réservoir de carbone d’une grande richesse. La mise en oeuvre de pratiques agricoles vertueuses permettrait d’en développer le potentiel. Mieux encore : elle contribuerait à renforcer l’autonomie alimentaire de ces régions.
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Il travaille sur la séquestration du carbone dans les sols tropicaux et a coordonné l’étude 4 pour 1000.

Il est également correspondant recherche de la direction régionale Guyane
Les premiers travaux portés par l’IRD (Institut de recherche pour le développement), l’INRAE et le CIRAD sur la présence du carbone dans les sols remontent aux années 2000. Notre intérêt ne portait alors pas sur le stockage, mais plutôt sur les liens entre la présence de carbone dans les sols et leur fertilité. Nous avons élargi notre approche il y a une quinzaine d’années afin d’explorer les liens entre le stockage de carbone, les pratiques agronomiques et les enjeux liés au changement climatique.
Les territoires d’outre-mer représentent 55 % du stock de carbone aérien des forêts françaises, et environ 20 % du carbone de l’ensemble des sols de l’Hexagone. Les quantités de carbone stockées dépendent de plusieurs facteurs : la nature des sols, les conditions climatiques et l’usage que les hommes font de ces espaces. Lorsqu’on croise ces éléments, il apparaît que les sols qui stockent le plus de carbone sont ceux des zones forestières ou des prairies permanentes (projet CARPAGG en Guyane), autrement dit, des zones constamment couvertes de végétation. À l’opposé, celles consacrées au maraîchage présentent les plus faibles niveaux de stockage. Entre ces extrêmes se situent les vergers ou les plantations de bananiers ou de canne à sucre.
Chaque territoire ultramarin a ses propres ordres de grandeur. Nos travaux ont montré que les prairies permanentes de La Réunion stockent plus de 250 tonnes de carbone par hectare sur les premiers 30 cm de profondeur, contre environ 100 tonnes sur les zones maraîchères. L’écart varie donc du simple au triple. Globalement, les stocks de carbone dans les sols sont deux à trois fois plus élevés dans les territoires ultramarins qu’en métropole.
Les stocks de carbone dans les sols ultramarins sont deux à trois fois plus élevés que dans l’Hexagone.
L’ADEME a soutenu la R&D sur cette thématique depuis une quinzaine d’années, notamment en finançant la thèse d’Amandine Courte et divers projets, entre autres portés par le CIRAD et l’IRD (projets AEPARS et CarSGuy). En Guyane, notre intérêt pour le carbone des sols s’est développé dans le cadre de travaux sur la biomasse, et plus particulièrement sur la collecte de bois issus de la défriche. Nous avons établi que l’utilisation d’engins mécaniques pour récupérer le bois avait des effets très délétères sur les sols. Notre objectif étant de limiter les rejets de CO2, il faut défricher le moins possible et à bon escient, en préservant la qualité agronomique des sols. Or, cette qualité est intimement liée à la présence de carbone : qui dit carbone, dit vie dans le sol. Et c’est cette vie qui garantit la qualité agronomique d’un sol.
L’intérêt de l’ADEME pour cette question ne s’est pas relâché et a notamment abouti au financement du 4 pour 1000 Outre-mer, dont l’objectif était de dresser un état des lieux de la connaissance et des sujets à approfondir. Nous avons ici exploré la situation en Guyane, aux Antilles, en Guadeloupe, en Martinique, ainsi qu’à La Réunion.
Qui dit carbone, dit vie dans le sol.
Oui, nous avons par exemple noté que les pratiques de maraîchage, notamment en Guyane, sont très destructrices pour les sols. Il apparaît donc nécessaire de les repenser afin de mieux préserver le stockage du carbone. Cette question est d’autant plus urgente qu’elle dépasse le seul cadre agronomique : le carbone libéré dans l’atmosphère contribue au réchauffement climatique. L’enjeu est donc double : agricole, mais aussi environnemental.
Les recherches ont montré que l’introduction d’arbres dans les systèmes agricoles – « l’agroforesterie » – a un effet positif sur le stockage de carbone dans les sols. D’autres pratiques sont tout aussi vertueuses : on peut citer ici le paillage, l’association de cultures pour limiter la concurrence des « mauvaises herbes » ou encore le remplacement des fertilisants minéraux par des amendements organiques.
Ces pratiques peuvent être appliquées dans tous les systèmes de culture (prairies, maraîchage, bananeraies, etc.). Elles contribuent à stocker le carbone dans les sols tout en améliorant le bilan en gaz à effet de serre (désastreux en cas d’utilisation de fertilisants minéraux). On note toutefois un point de vigilance lors de l’usage de fertilisants organiques : leur disponibilité peut rester limitée. Utiliser de la matière organique dans un système peut entraîner l’appauvrissement d’un autre si l’on ne raisonne pas à l’échelle du territoire. Il est donc essentiel d’adopter une approche globale et cohérente dans nos pratiques.
Une étude a montré que, parmi les actions recommandées, seule l’utilisation du compost est réellement mise en oeuvre. Cette situation s’explique notamment par la complexité que ces préconisations introduisent dans les systèmes agricoles. Il est nécessaire d’accompagner les agriculteurs et de les aider à constater les bénéfices concrets de ces pratiques pour qu’ils se les approprient à leur tour.
Il semble également indispensable de mieux mobiliser les outils existants, en particulier les dispositifs de financement public. Notre première recommandation serait d’intégrer dans les outils de programmation et de mise en oeuvre de la Politique agricole commune (PAC) la rémunération des services écosystémiques associés aux pratiques agricoles et forestières permettant un maintien ou une moindre diminution des stocks de carbone du sol.
Ce levier pourrait être actionné pour accompagner les agriculteurs dans la mise en oeuvre de solutions innovantes. La transposition aux territoires d’outre-mer du Label bas carbone est également intéressante pour soutenir le stockage via une incitation économique. Enfin, il me semble également utile d’encourager la recherche socio-économique et politique dans nos territoires. À ce jour, peu de travaux ont été menés dans le but d’identifier les leviers d’action encourageant le passage à l’action.
En particulier, il serait utile de créer des espaces de dialogue territoriaux et interterritoriaux entre le monde de la recherche, les décideurs et les acteurs agricoles et forestiers, afin de faciliter la mise en place des politiques publiques.
L’ADEME intègre désormais systématiquement la dimension socio-économique dans ses appels à projets de recherche. Nous cherchons à accompagner les changements de comportement avec des restitutions des résultats de recherche auprès des acteurs locaux. Cela a été fait pour chaque territoire autour de l’étude 4 pour 1000. Nous rédigeons des résumés systématiques avec les chercheurs afin de diffuser ces bonnes pratiques.
Par ailleurs, si l’on souhaite pouvoir anticiper efficacement, il est indispensable de mieux documenter nos connaissances des stocks de carbone, territoire par territoire. Nous avons en effet besoin de mieux connaître l’évolution du carbone aérien et du carbone des sols dans un contexte de changement climatique ; l’objectif est ici de comprendre comment maintenir, voire augmenter la capacité de stockage. En Guyane, cette montée en connaissance passe notamment par la relance de l’observatoire du carbone à laquelle nous travaillons avec la collectivité territoriale. Il s’agira de mieux suivre les stocks et les flux de carbone pour, in fine, mieux les appréhender.