Décryptage

« Les co-bénéfices d’une ville repensée pour les piétons sont nombreux »

Longtemps parent pauvre des politiques publiques, la marche apporte pourtant des réponses à de nombreuses questions très actuelles. Bien des collectivités remettent d’ailleurs le piéton au centre de leur stratégie. Et si l’avenir désirable n’était qu’à quelques pas ?
Le point avec Christelle Bortolini, coordinatrice Planification Mobilité, au pôle Aménagement des Villes et des Territoires de l’ADEME, et Marie Stephan, coordinatrice Mobilités Actives et Partagées, au service Transport et Mobilités de l’ADEME


Juste après avoir publié un guide à leur attention, l’ADEME boucle son premier appel à projets pour les collectivités désirant replacer le piéton au cœur de leur stratégie de mobilité et d’aménagement. Pourquoi cet intérêt soudain pour la marche ?
Christelle Bortolini

Il n’est pas soudain. Nous sommes depuis longtemps convaincus des vertus de la marche. Nous étions d’ailleurs prêts à « bondir » quand s’est ouverte la fenêtre d’opportunité du confinement. Largement privés de ce droit naturel, nos concitoyens ont réalisé combien leur bien-être en dépendait. Immédiatement, nous avons lancé plusieurs études pour préparer le guide À pied d’œuvre, publié en décembre dernier. Nous avons questionné des disciplines habituellement peu sollicitées sur ce sujet : des urbanistes sonores, des penseurs de l’art en ville ou du genre… Car la marche n’est pas qu’un mode de déplacement parmi d’autres. C’est le plus souple, le plus agile, le plus économique, le seul à pouvoir relier les autres transports, bref, le plus indispensable pour « vivre » l’espace public.

Marie Stephan

Au moment du Covid, il y a eu une sorte d’effervescence, avec de nombreuses expérimentations audacieuses. Parfois montées en quelques jours, elles ne pouvaient prendre en compte tous les enjeux d’un nouveau partage de l’espace public. C’est pourquoi elles ont rarement été pérennisées. Mais la conscience de l’importance de la marche est restée. D’où ce premier appel à projets national à l’attention des collectivités. Il s’inscrit dans le programme ID-Marche (Initiative pour le développement de la marche), lancé en 2023 avec un budget de 4 millions d’euros. Ce programme, co-animé par le ministère de la Transition écologique, l’ADEME, le Cerema et le Club des villes et des territoires cyclables et marchables, va nous permettre de soutenir une dynamique plus durable.

Devant l’urgence climatique, ne serait-il pas plus pertinent de concentrer l’effort public sur d’autres moyens de transport, plus… problématiques ?
C. B.

Le potentiel immédiat de décarbonation de la marche n’est peut-être pas aussi évident que celui de l’automobile. Cependant, les co-bénéfices d’une ville repensée pour les piétons sont bien plus nombreux : sécurité, désartificialisation des sols et renaturation, amélioration de la qualité de l’air, convivialité, inclusion, attractivité touristique et commerciale… et surtout santé. Quand le surpoids juvénile explose, ne faut-il pas faire en sorte de remettre les enfants et les adolescents sur le chemin de l’école, plutôt que les déposer à sa porte, même en véhicule électrique ? Se préoccuper des piétons, c’est aussi se rappeler nos différences. Notre société ne se compose pas que de gens pressés de se rendre d’un point à un autre. N’oublions pas les personnes âgées ou en situation de handicap, les familles avec de jeunes enfants ou les simples flâneurs, qui ont d’autres besoins, d’autres envies…

M. S.

Même en tant que transport, la marche a des atouts à faire valoir. Il faut en moyenne douze minutes à un piéton pour parcourir un kilomètre en ville. Combien de temps, et combien d’argent, pour le faire en voiture, feux, bouchons et stationnement compris ? C’est pourtant ce que choisissent nos concitoyens dans près de 50 % des cas. Il y a quelques belles idées reçues à battre en brèche. L’appel à contributions pour les deuxièmes Rencontres nationales de la marche en ville, qui se tiendront à Reims en novembre, vient d’être lancé. Nous attendons une nouvelle moisson d’idées pour faire bouger les lignes.

Concrètement, comment crée-t-on une ville marchable ?
C. B.

D’évidence, en réduisant la place et la vitesse de l’automobile. Nous touchons les limites de nos villes, organisées pour et autour de la voiture. Il est urgent de redistribuer la voirie au profit de nouveaux usages, d’inciter à une meilleure prise en compte des piétons dans les politiques publiques. Aucune généralité n’est de mise car chaque ville a sa géographie, son histoire, son urbanisme, sa population… et presque sa sensibilité !

M. S.

L’essentiel, c’est de ne pas faire l’économie d’une phase préalable de concertation et de réflexion, pour choisir la stratégie adaptée à la réalité du terrain et des besoins. Nous encourageons vivement les collectivités à s’engager dans cette démarche de long terme et à élaborer leur document de référence. En parallèle, elles peuvent avancer sur les phases d’expérimentation, d’animation et de communication. Nous donnons quelques pistes dans le guide, comme fermer temporairement des rues à la circulation automobile, pour favoriser les sociabilités et les événements de quartier, ou fermer les rues scolaires aux heures d’entrée et de sortie. L’imagination est permise, pourvu que toutes les parties prenantes soient autour de la table. 166 décideurs locaux ont participé au webinaire de présentation de l’appel à projets. Et nous recevons chaque jour de nouvelles sollicitations. Ça va bouger !

40 % des trajets quotidiens

effectués en voiture en ville sont inférieurs à 3 km
(source : ministère de la Transition écologique)

+ de 147 milliards d’euros

c’est le coût social du bruit en France
(source : ADEME et Conseil national du bruit, 2021)

40 000 décès prématurés

attribués chaque année aux particules fines en France
(source : Santé publique France, 2021)