Comment provoquer un véritable déclic face au réchauffement climatique ? Comment passer de la prise de conscience à l’action bien réelle ? Pour Christian Clot, explorateur et fondateur de l’Human Adaptation Institute, la réponse passe par le corps. Sa capsule climatique, expérience sensorielle inédite de 30 minutes à 50 degrés, est une plongée dans la chaleur de demain, pour penser différemment aujourd’hui. Rencontre avec un agitateur d’idées et de sensations.
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Ce projet a émergé après plusieurs années consacrées à l’étude des effets de la chaleur extrême sur l’être humain et à la compréhension des leviers du changement de comportement. Ce que mon équipe et moi avons compris, c’est que sans ressentir physiquement et émotionnellement un problème, la prise de conscience reste théorique. On peut lire, entendre, regarder des vidéos, mais tant que nous n’avons pas un ressenti émotionnel, rien ne bouge vraiment.
Notre capsule se base sur les travaux menés par notre Human Adaptation Institute en collaboration avec des laboratoires en génétique, microbiote, cognition. L’expérience est rigoureusement calibrée : 30 minutes, pas 15 ni 45. Elle s’appuie sur dix ans de données pour provoquer une réaction mesurable sans entrer dans le traumatique. Elle est accessible à tous (sauf les femmes enceintes et les enfants) mais en priorité aux décideurs politiques et aux entreprises.
Les participants sont exposés à une chambre climatique chauffée à 50 °C, avec un taux d’humidité ajusté pour simuler de manière réaliste les conditions d’une canicule extrême. Pendant 30 minutes, ils doivent y réaliser des gestes du quotidien : se déplacer, réfléchir, manipuler des objets usuels. Une carte bancaire, une clé de maison, des lunettes en métal : à 50°C, ces objets deviennent brûlants, parfois impossibles à tenir. Les participants tentent aussi des exercices cognitifs, prennent des décisions simples, mais voient leur efficacité diminuer rapidement. Leurs constantes vitales sont suivies en direct : température centrale, rythme cardiaque, niveau de stress. L’ajout récent d’un système simulant le rayonnement solaire ajoute une dimension supplémentaire à la sensation éprouvée. Ce n’est pas un sauna : il n’y a ni repos, ni confort. C’est une expérience immersive qui met en défaut le corps et l’esprit, pour provoquer une prise de conscience radicale. Car vivre à 50°C, ce n’est pas supporter la chaleur d’une voiture au soleil : c’est perdre ses repères, sentir que même les gestes les plus simples deviennent dangereux ou inaccessibles.
Parce qu’elle court-circuite les filtres cognitifs. Une donnée climatique est interprétée selon notre expérience personnelle. Si je vous dis « 50 degrés », vous allez penser à la plage à Marseille, pas à la souffrance. En revanche, quand les sens sont en alerte, le cerveau entre en mode protection. Il réagit, sans passer par le langage. Tout l’exercice consiste à le faire sans violence, pour éviter l’amnésie ou la dissociation : 30 minutes suffisent pour provoquer un électrochoc sans effet post-traumatique.
C’est impressionnant. On s’attendait à ce qu’environ 50 % des participants réagissent fortement, mais on atteint 95 %. Même des personnes déjà sensibilisées nous disent : « je n’avais jamais perçu les choses de cette façon ». Des parlementaires, des dirigeants, des élus locaux en sortent bouleversés. Une participante nous a même dit que c’était la première fois qu’elle comprenait ce dont elle parlait !
Nous ne sommes pas en avance. On mise tout sur la technologie, alors que le besoin numéro un, c’est de planter des arbres. Et pas des arbres isolés : des forêts urbaines, des alignements denses, des zones d’ombre végétale continues. Il faut créer de véritables canopées urbaines qui créent un microclimat, abaissent les températures, ralentissent le vent, augmentent l’humidité. Et ce n’est pas qu’une question de confort : c’est de la survie. Supprimer des arbres pour les remplacer par des dispositifs artificiels ou des parasols, c’est aller à rebours du bon sens climatique.
Le Rwanda, par exemple, a des politiques d’adaptation très concrètes et très humaines. Parce qu’ils ont compris que l’adaptation, ce n’est pas uniquement technique, c’est sociétal. À la fin des années 1990, ils ont interdit les plastiques à usage unique pour protéger les sols et favoriser la végétation. Ils ont reclassé les braconniers en gardiens de forêt et créé une zone tampon autour de Nyungwe pour leur permettre de continuer leurs activités sans toucher à la forêt primaire. L’idée centrale, c’est d’impliquer les citoyens dans la protection de leur territoire, pas juste leur imposer des règles. Ce modèle d’écologie populaire, concrète, ancrée dans la culture, est aujourd’hui l’un des plus avancés au monde.
L’éducation. Tout se joue entre 5 et 13 ans. Il faut reconnecter les enfants à la nature. Créer du lien sensible, pas seulement de la théorie. Il faudrait aussi intégrer trois grands axes dans l’enseignement : les enjeux climatiques et environnementaux, les enjeux sociétaux (notamment l’égalité), et les enjeux technologiques. Les enfants doivent savoir ce qu’est l’empreinte d’une recherche Google ou ChatGPT, la consommation d’une vidéo. Ce n’est pas une éducation de plus, c’est une éducation à la réalité. C’est un levier essentiel si l’on veut voir une génération capable de faire autrement.
Oui, beaucoup plus qu’on ne le croit. Mais ils ne savent pas comment. Il manque deux choses : un récit positif du changement et du temps pour l’engager. On propose souvent des contraintes sans projet de société. Comme le Rwanda, où un vendredi par mois est consacré à des projets citoyens. Or, changer prend du temps. Il faut l’offrir partout en France, aux entreprises, aux collectivités, aux individus. Des lycées techniques, des associations de terrain ont testé la capsule avec des réactions incroyables. Le changement viendra aussi de là. Et pour toucher tout le monde, on a besoin de soutien.