Face à une électrification croissante et un mix énergétique intégrant de plus en plus d’énergies renouvelables, la flexibilité électrique s’impose comme une solution indispensable. Mais comment fonctionne-t-elle ? Quel rôle pour le consommateur ? Décryptage d’un enjeu stratégique qui fait l’objet d’un nouvel avis de l’ADEME, s’appuyant sur ses scénarios prospectifs.
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Préparer un futur électrique et décarboné
L’électrification est l’un des principaux leviers pour décarboner notre économie : on prévoit 18 millions de véhicules électriques et 11,5 millions de pompes à chaleur en France d’ici 2035. « Nous allons avoir besoin de beaucoup plus d’électricité avec l’essor des véhicules électriques, l’électrification du chauffage et la transition industrielle vers des procédés moins carbonés » explique Pierre Sacher, ingénieur spécialisé sur le stockage de l’énergie à l’ADEME. Cette augmentation de la demande s’accompagne de la montée en puissance des énergies renouvelables, par nature intermittentes. « En 2050, la production issue des énergies comme l’éolien et le photovoltaïque occupera une place très importante dans le mix électrique » indique-t-il. Or, contrairement aux centrales nucléaires ou thermiques fossiles, qui peuvent être pilotées pour répondre aux besoins, « les énergies renouvelables produisent quand il y a du vent ou du soleil, ce qui rend leur maîtrise plus difficile » souligne Stéfan Louillat, responsable du service électricité renouvelable et réseaux à l’ADEME. Alors, comment assurer l’équilibre entre l’offre et la demande ? Réponse : en développant la flexibilité du système électrique.
Qu’est-ce que la flexibilité électrique ?
Cette approche repose sur la capacité à adapter la consommation d’électricité en fonction des fluctuations de l’offre et de la demande. « On peut voir ça comme une danse où il faut toujours être en synchronisation parfaite avec la musique » illustre Stéfan Louillat. Autrement dit, il s’agit de consommer moins et mieux. « Certaines industries ou entreprises acceptent de réduire temporairement leur consommation lors des pics de demande » poursuit Stéfan. Les particuliers sont aussi invités à décaler certains usages pour éviter les périodes de tension ou pour profiter des pics de production d’électricité renouvelable. On voit également se développer la recharge intelligente, qui consiste à charger son véhicule pendant les heures creuses afin de profiter d’un tarif plus avantageux sans accentuer le pic de consommation du soir, ou encore le Vehicule-to-Grid qui permet de décharger les véhicules dans le réseau lorsque la demande est supérieure à l’offre.
Les consommateurs en première ligne
Consommer l’électricité quand elle est abondante et la limiter en période de tension sur le réseau nécessite un pilotage précis. Pour autant, « si on veut que la flexibilité fonctionne sans effort pour les citoyens, il faut qu’elle soit automatique et intuitive. On ne va pas demander aux gens de se lever à 3h du matin pour brancher leur voiture quand l’électricité est moins chère ! » s’exclame Stéfan Louillat. « C’est là que les technologies intelligentes entrent en jeu » ajoute-t-il. L’ADEME formule donc des recommandations pour impliquer davantage les consommateurs :
- développer les « météos de l’électricité » comme Ecowatt, un outil qui indique les périodes favorables pour consommer ;
- proposer des offres tarifaires flexibles qui récompensent une consommation adaptée aux disponibilités du réseau ;
- inciter les consommateurs à s’équiper d’outils de pilotage automatique, permettant de programmer certains appareils pour optimiser leur utilisation en fonction des prix et de la disponibilité de l’électricité. « C’est ce qu’on appelle le concept de FlexReady® » indique Pierre Sacher. « Il y a 20 ans, on achetait des télévisions HD Ready pour être prêt lorsque la haute définition allait arriver. Aujourd’hui, on doit s’équiper d’appareils prêts à être pilotés intelligemment dans le futur ».
On a tous à y gagner
La flexibilité électrique est un outil puissant pour réussir la transition énergétique tout en maintenant la stabilité du réseau. En adaptant leurs habitudes de consommation, les Français pourraient non seulement réduire leur facture d’électricité, mais aussi contribuer activement à un système énergétique plus résilient et plus durable. « La flexibilité permet une meilleure intégration des énergies renouvelables en absorbant leurs pics de production, ainsi qu’une diminution des émissions de CO₂ » souligne Stéfan Louillat. Un constat illustré par Etienne Latimier, Coordinateur pôle Réseaux & Stockage au Service Électricité Renouvelable & Réseaux à l’ADEME, qui rappelle qu’« aujourd’hui, une partie de la production solaire est perdue faute de demande, celle-ci étant souvent concentrée en soirée. Par exemple, sur la journée du 28 juin 2024, plus de 3 GW de production photovoltaïque ont été perdus entre 13h et 16h, tandis que la production des centrales au gaz a augmenté de 400 MW à 21h30 pour couvrir le lancement des ballons d’eau chaude ». Ainsi, décaler une partie de la consommation vers le moment où l’électricité est produite permet de recharger les stockages déjà présents chez les consommateurs (véhicules électriques, ballons d’eau chaude) et ainsi réduire les coûts et les impacts environnementaux de la transition en limitant le développement de stockages dédiés. « L’ADEME a étudié l’impact de la flexibilité sur l’équilibrage du système électrique dans ses scénarios prospectifs Transition(s) 2050. Par exemple, si l’on suit le scénario S3 « Technologies vertes », qui mise sur le développement technologique et l’efficacité énergétique pour atteindre la neutralité carbone, on constate que le simple fait d’augmenter le recours à la flexibilité permet de diviser par 3 le besoin de développement de batterie sur le réseau » conclut Etienne Latimier.