Face au défi du recyclage textile, une jeune entreprise industrielle du Nord fait le pari de la performance environnementale… sans compromis sur le prix. Dagobaire recycle les textiles usagés pour les transformer en fibres afin de fabriquer de nouveaux fils ou de l’isolant pour le bâtiment.
Partager
Comment est née l’idée ?
« Pendant le premier confinement, j’ai voulu entreprendre. Je venais du secteur du bâtiment, et je voulais fabriquer des matériaux à impact environnemental réduit en cherchant au maximum à éviter le surcoût par rapport aux matériaux conventionnels », explique Romain Mayaud, fondateur de Dagobaire. C’est ainsi que cet ingénieur s’intéresse aux textiles comme gisement de matière. Car si la fibre recyclée existe, rares encore sont les acteurs à proposer une approche industrielle combinant performance, compétitivité et simplicité logistique. Or, c’est justement là que Dagobaire se démarque. L’entreprise récupère tous types de textiles, qu’ils proviennent de déchets industriels ou de vêtements en fin de vie. En récupérant ces matières par l’intermédiaire de collecteurs spécialisés, l’entreprise les transforme en fibres recyclées de haute qualité.
Une ligne pensée pour accepter la complexité
Le procédé de Dagobaire repose sur une technologie connue : le recyclage mécanique[1]. Aucune rupture technologique ici, mais une optimisation fine du processus. « On a conçu une ligne capable de traiter des textiles très divers, sans être bloqués par les couleurs ou les compositions », souligne Romain Mayaud. Résultat : une capacité de traitement de 4 500 tonnes par an, déjà exploitée à hauteur de 2 800 tonnes depuis les débuts. L’approvisionnement en fibres usagées se fait en circuit court, autant que possible. Les textiles sont collectés auprès d’acteurs régionaux puis réutilisés par des industriels locaux. Ce modèle réduit les transports, renforce les filières régionales et favorise une économie industrielle durable.
Trois débouchés pour la fibre recyclée
La matière recyclée de Dagobaire nourrit trois marchés :
- L’isolation pour le bâtiment : la fibre recyclée est utilisée pour produire des isolants. Alternative aux laines minérales classiques, cet isolant à base de coton recyclé offre des performances thermiques et acoustiques compétitives, tout en réduisant l’empreinte environnementale des bâtiments.
- Les fibres qualité filature destinées à être filées. C’est l’un des points forts de Dagobaire : la capacité à produire des fibres recyclées capables d’être mélangées avec des fibres vierges dans la production de nouveaux fils textiles.
- Les non-tissés, utilisés dans l’ameublement, l’automobile ou les géotextiles.
Objectif prix : être compétitif par rapport aux matières vierges
Le coût reste le nerf de la guerre. Pour être compétitif, Dagobaire cherche à proposer ses fibres au même prix que les produits conventionnels. « On n’y arrive pas toujours, mais c’est notre cible », confie le fondateur. L’équation repose sur une redistribution des postes de coûts. Moins de transport international, mais plus de tri local. Plus de main-d’œuvre, mais moins d’empreinte logistique. Bref, une supply chain relocalisée, réorganisée, mais viable.
L’ADEME en renfort
C’est dans le cadre de l’appel à projets ORPLAST (Objectif Recyclage PLASTiques) de l’ADEME que Dagobaire a reçu un financement pour ses équipements industriels. Le textile synthétique étant du plastique, Dagobaire a pu être éligible. « n plus de ces fonds, nous avons aussi bénéficié de mises en relation très utiles » précise Romain Mayaud. Depuis 2016, l’ADEME soutient financièrement l’intégration de matières plastiques recyclées dans l’industrie. « En 2018, une seconde vague a été lancée pour répondre aux ambitions de développement de la filière plastique d’augmenter de 250 000 tonnes la consommation annuelle de matière première issue du recyclage du plastique » explique Camille Bouvet, Ingénieure Recyclage matières à l’ADEME. « 185 dossiers ont été déposés aux deux appels à projets ORPLAST, dont 125 retenus et 104 financés pour un montant d’aide de plus de 26 millions d’euros ». Le gain environnemental est conséquent. « Une tonne de plastiques régénérés et réincorporés en France dans un nouveau cycle industriel – en substitution d’un plastique vierge – peut permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 1 300 à 2 200 kg CO₂ éq., selon la résine » rappelle Nolwenn Touboulic, experte filière textile à l’ADEME.
Aujourd’hui, l’équipe compte 23 salariés, dont quatre ingénieurs. « Peu d’acteurs se positionnent sur des investissements aussi techniques. Dagobaire transforme des rebuts industriels et des déchets textiles post-consommation provenant de flux textile, linge de maison, textiles professionnels et techniques, en fibres prêtes à être réutilisées localement », souligne Camille Bouvet, avant d’ajouter que « le projet est cohérent à l’échelle du territoire. Il change aussi les pratiques des partenaires industriels en incitant à la collecte séparée des déchets textiles et à l’incorporation de matière recyclée. »
Vers de nouveaux matériaux
Si le marché exprime une forte appétence pour les matériaux recyclés, la bascule reste difficile. « Les chaînes d’approvisionnement sont encore très optimisées pour le neuf. Le recyclé demande plus de souplesse », explique le fondateur. Et demain ? L’entreprise prévoit d’explorer de nouveaux mélanges de fibres et d’élargir ses applications. « Mais pour l’instant, l’enjeu, c’est de savoir bien faire ce qu’on fait », conclut Romain Mayaud. Une approche ingénieure, méthodique, fidèle à son ADN.
L’appel à projet ORPLAST : 500 projets, 1 000 emplois créés
Il y a eu 500 projets soutenus, 159,2 M€ engagés, 1 000 emplois créés, et 35 entreprises lancées dans le cadre d’ORPLAST entre 2016 et 2022. Une étude de bilan révèle qu’un projet bien dimensionné crée jusqu’à 3,7 emplois par tonne de déchets recyclés (CAPEX[2]> 500 k€). Depuis janvier 2024, la destruction des invendus est interdite et la loi AGEC impose une part de recyclé dans les achats publics. En complément de ces mesures réglementaires, l’ADEME accompagne le secteur textile dans sa transformation au travers de plusieurs appels à projets (AAP TEXHABI, ORMAT, Recyclage plastiques composites et élastomères via France 2030), mais aussi des outils pratiques pour les entreprises et les citoyens. « Les industriels doivent apprendre à concevoir différemment, puis trier et valoriser. Mais les particuliers aussi ont un rôle à jouer, par exemple : prolonger la durée de vie des vêtements, réparer, trier, et choisir mieux au moment de l’achat », conclut Nolwenn Touboulic.
[1] Le recyclage mécanique est la méthode la plus ancienne parmi les différentes formes de recyclage. Il regroupe plusieurs procédés physiques comme la coupe, le défibrage, l’effilochage ou le broyage. Ces techniques servent à convertir les déchets en matières premières recyclées (MPR), sous forme de broyat, de fibres, de chiquettes ou d’autres formats.
[2] dépenses d’investissement.