Les impacts des pratiques agricoles sur la qualité des sols ou de l’eau font l’objet de nombreux travaux de recherche, mais restent moins étudiés sur la qualité de l’air. Pourtant, cette question mérite d’autant plus d’attention que le nouveau Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) ainsi que la prochaine stratégie française pour l’énergie et le climat fixeront certainement de nouveaux objectifs en la matière.
Pourquoi et comment les Chambres d’agriculture et l’ADEME travaillent-elles ensemble ?
Antoine Pierart Les collaborations régionales et nationales se font naturellement car nos missions sont complémentaires. L’ ADEME est financeur de la recherche et a vocation à faire émerger des connaissances nouvelles ; l ’ Assemblée permanente des Chambres d’ agriculture (APCA) est un partenaire de qualité sur les sujets en lien avec le monde agricole. Elle nous aide à faire remonter les besoins de recherche du terrain, à mener des travaux au sein du réseau des Chambres d’ agriculture et enfin à diffuser les enseignements et les bonnes pratiques issus des travaux de recherche auprè s des conseillers agricoles et agriculteurs. Notre interaction est donc trè s riche, sur des sujets allant au-delà de la qualit é de l’ air.
La qualité de l’air est-elle une problématique importante pour les Chambres d’agriculture ?
Edwige Kerboriou
La qualit é de l’ air est un enjeu national majeur. L’ APCA et son réseau de Chambres d’ agriculture contribuent à la mise en œuvre de solutions de terrain pour les agriculteurs. L’ enjeu est de tester des pratiques agricoles pour ensuite développer des machines et faire évoluer les pratiques afin, par exemple, de limiter les émissions de polluants lors des épandages. L’ agriculture est également impactée par la pollution de l’ air, notamment celle à l’ ozone, néfaste pour les cultures.
Comment partagez-vous les enseignements issus de la recherche ?
E. K. Les Chambres d’ agriculture disposent d’ un maillage de conseillers dans les territoires qui accompagne les agriculteurs dans ces évolutions. Ils leur proposent également des formations pour s’ approprier ces nouvelles pratiques, ainsi que des guides, comme le dernier sur les techniques d’épandage moins émissives en ammoniac.
Comment les agriculteurs perçoivent-ils la problématique de la qualité de l’air ?
E. K. Nous sommes à une étape de prise de conscience. C’ est une problématique d’ autant plus complexe à percevoir qu‘ il s ’ agit d’émissions volatiles, et donc difficiles à appr éhender. La prise de conscience se fait à mesure que les impacts de la pollution (à l’ ozone et aux particules fines qui découlent de l’ utilisation de l’ ammoniac, notamment) sont perceptibles.
Cette problématique doit être conciliée avec d’autres enjeux environnementaux, comme le climat ou la biodiversité : quelles difficultés cette approche globale soulève-t-elle ?
A. P. La question de la qualité de l’ air et des pratiques agricoles s’ inscrit dans un systè me d’ une grande complexité qui dépasse largement la question de la production de denrées alimentaires. En effet, les agriculteurs doivent à la fois produire des aliments, des bioressources non alimentaires ou de l’énergie ; ils doivent stocker du carbone, protéger la biodiversité, l’ eau et respecter des réglementations exigeantes alors mê me que l ’évolution climatique complexifie leur métier et la mise en place des bonnes pratiques. La recherche est donc tenue d’ aborder ces sujets dans leur globalité. C ’ est ce que nous faisons dans le dernier appel à projets de recherche AQACIA : pour la premiè re fois, nous traitons simultanément les enjeux liés à la qualit é de l’ air et au changement climatique en les appréhendant dans une vision de plus long terme.
E. K.
La difficulté est de raisonner sur le global de l’ exploitation. La réglementation impose des dates d’épandage pr écises pour améliorer la qualité de l’ eau… mais ce calendrier est si resserré que la concentration des épandages altère la qualit é de l’ air. Le législateur doit donc veiller à coordonner les réglementations pour qu’ elles ne s’ annulent pas les unes les autres et tiennent compte de la réalité des exploitants agricoles.
Quels enseignements tirez-vous des réflexions prospectives de l’ADEME ?
A. P. L ’ ADEME a men é un travail de prospective nommé Transition(s) 2050. Une premiè re analyse qualitative permet de comprendre comment l’évolution de différents secteurs (et notamment le secteur agricole) impacterait la qualité de l’ air. Des r ésultats préliminaires tendent à montrer que faire évoluer les systè mes productifs agricoles sur la base d’ une évolution des régimes alimentaires (ici, consommer moins de viande et davantage de vég étaux) pour atteindre les objectifs de neutralité carbone impactera favorablement la qualité de l’ air. Selon les scénarios, les émissions d’ ammoniac li ées à ces nouveaux modes de consommation et de production pourraient chuter de 35 % à… 75 %.
E. K. Cette réflexion sous-tend de penser ce que sera l’ agriculture franç aise demain. On anticipe effectivement moins d’élevage et plus de vég étal, ce qui aurait un effet positif sur les émissions d’ ammoniac. Mais pour grandir, une plante a besoin d’ azote, que l ’ on peut lui apporter sous forme minérale (donc chimique) ou organique. Ces fertilisants organiques sont issus de la production animale et des cultures intermédiaires. Or moins d’élevage signifie moins d’ engrais organiques disponibles. L’équilibre est donc compliqué à trouver.
Selon vous, quels sont les prochains travaux de recherche à envisager ?
A. P. La mise à jour du PREPA et la discussion en cours sur la nouvelle stratégie fran ç aise pour l’énergie et le climat amè neront certainement de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les prochains travaux de recherche devraient donc tenir compte de ces évolutions réglementaires tout en intégrant les multiples enjeux auxquels les agriculteurs doivent faire face.
E. K.
Nous avons également besoin de mieux connaître les flux de produits phytosanitaires (en particulier dans l’ air) et leur dangerosité. Pour l’ heure, la réglementation ne prévoit rien de spécifique à ce propos et les études les abordent trè s peu. Pourtant, ces produits constituent et constitueront un enjeu important du secteur agricole.
A. P. Quel que soit le sujet abordé, il faut le poser dans sa complexité et ne pas oublier le rô le décisif des consommateurs dans ce que sera l’ agriculture de demain. La réduction de certains cheptels telle que l’ envisagent les scénarios prospectifs se base d’ abord sur une évolution des régimes alimentaires et des modes de la consommation de la population. Ce qui veut dire que si le consommateur veut une agriculture plus durable pour l’ environnement et pour les hommes et les femmes qui la produisent, c’ est aussi à lui, dans ses choix, d’ impulser et soutenir cette agriculture. Nous sommes donc au cœur d’ un enjeu à la fois environnemental et de sociét é. Dans un avenir proche, le secteur agricole restera au centre des questions de production alimentaire et non alimentaire, mais son implication dans les problématiques de stockage de carbone et de préservation de la biodiversité va s ’ accentuer. L ’ enjeu est donc important et il y a un vrai bén éfice à chercher et à proposer des solutions qui rendront ces systè mes durables.