Rencontre

« La recherche peut faciliter l’aménagement d’un territoire »

Dans le cadre de l’APR MODEVAL-URBA 2019, un espace urbain a été plus particulièrement passé au crible, celui, très spécifique, des cours d’école. Si ce projet de recherche pose clairement les services que le végétal rend en milieu urbain dense, il liste également les indicateurs à prendre en compte pour mettre en place des espaces végétalisés capables de s’adapter durablement à l’évolution du climat.


Pourquoi et comment le bureau d’études TRIBU est-il venu interroger la place du végétal en ville ?
Sophie Blanc

TRIBU est mobilisé à la fois sur des projets urbains de la stratégie à l’opérationnel avec une spécialisation dans la conception et l’aménagement écoresponsable mais également sur de la recherche et développement aux échelles de la ville aux bâtiments. Le végétal a toujours été inclus dans nos problématiques de recherche, notamment avec son intégration à nos travaux en lien avec le confort thermique et la limitation de la surchauffe urbaine, et plus largement la question des ambiances urbaines. Notre approche écosystémique de la place du végétal en ville prend en compte l’ensemble des services rendus en termes de régulation thermique des espaces, de bien-être, de qualité de l’air, d’acoustique, de biodiversité, etc.

Comment travaillez-vous avec l’ADEME sur ces sujets ?
S. B.

Nous menons une activité R&D et plusieurs de nos travaux ont été soutenus par l’ADEME dans le cadre de l’appel à projets de recherche (APR) MODEVAL-URBA : le projet Oasis Urbaines en 2015 sur la qualité des oasis en milieu urbain et le projet RECRé (Renaturation des espaces des cours vers la résilience écologique) en 2019, sur le cas de la végétalisation des cours d’école parisiennes au sein d’une équipe interdisciplinaire de chercheurs issus de différentes spécialités (en l’occurrence, du Muséum national d’histoire naturelle, du Centre de recherche pour l’habitat – CRH –, et de l’agence d’architecture XLGD).
Une partie du travail de recherche vise à faire un état des savoirs et des pratiques croisant les questions de pédagogie et de nature urbaine. Le projet RECRé montre également l’importance de la renaturation progressive des cours d’école dans la consolidation d’un maillage écologique plus large d’une part, et les perspectives pour les habitants du quartier d’autre part, liées à l’ouverture des cours d’école le week-end, qui constituerait une opportunité de générer davantage d’oasis urbaines en ville.

Comment l’ADEME est-elle impliquée dans ces travaux de recherche ?
Élodie Briche 

Les recherches, interdisciplinaires et ancrées sur des territoires, soutenues par l’ADEME dans le cadre de l’APR MODEVAL-URBA auquel fait suite l’APR PACT²e (Planifier et aménager, face au changement climatique, la transition des territoires) ont pour objectif de développer et de capitaliser les connaissances sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique dans un objectif de planification stratégique dynamique reposant notamment sur l’évolution des documents de planification territoriale (ex. : SCOT, PLUi, etc.) . Elles visent aussi à développer, expérimenter et améliorer des solutions d’adaptation et d’atténuation au changement climatique (outils, méthodes, modes d’organisation, démarches, etc.) au sein de territoires expérimentaux aux échelles locales (ex. : îlot, quartier, projet urbain, etc.).

Soutenu par l’APR Modeval-Urba en 2019, le projet RECRé est en continuité avec les objectifs actuels de recherche au sein de la direction Adaptation, aménagement et trajectoires bas carbone (DAAT) de l’ADEME, en abordant dans un espace donné les cours d’écoles et la complexité de la nature en ville avec ses ambivalences. En effet, sur ces cours d’école, il est important d’intégrer les principaux usagers, les enfants, au cœur de la démarche avec un projet pédagogique sérieux et dynamique, tout en prenant en compte la nécessité de créer des îlots de fraîcheur pérennes et durables en centre-ville pour faire face aux canicules estivales de plus en plus fréquentes, denses et longues qui intensifient le phénomène d’îlot de chaleur.
Notre ambition est de poser des questions de recherche dans toute leur complexité, autrement dit d’envisager les bénéfices de la végétalisation, mais aussi ses aspects qui peuvent s’avérer problématiques. Il peut s’agir d’enjeux de santé publique notamment pour un public vulnérable comme celui des enfants, mais aussi de s’assurer de la pérennité des solutions proposées dans un contexte climatique changeant qui pourrait contraindre l’utilisation du végétal (en cas de raréfaction de la ressource eau, par exemple).

Quels enseignements tirez-vous du projet RECRé ?
S. B.

Concernant le volet socio-pédagogique du projet, les enquêtes sont éclairantes et font évoluer certains a priori. Elles montrent qu’une école peut être très végétalisée, disposer de grands espaces verts, mais que les enfants seront contraints de jouer et de se déplacer dans les couloirs bituminés ; dans ce cas, leurs interactions avec la nature sont très limitées, voire inexistantes. Elles montrent aussi qu’en fonction des pratiques d’entretien retenues, les espaces seront plus ou moins pérennes et les interactions avec ces espaces également.
Les projets de végétalisation ou de renaturation fonctionnent lorsque l’ensemble des acteurs (les enfants, les parents, les enseignants, les directeurs, les maîtrises d’ouvrage…) sont parties prenantes et placent l’enfant qui joue dans la cour d’école au centre de leur approche.

RECRé a également permis de développer un outil d’aide à la décision : comment fonctionne-t-il ?
E. B.

L’un des volets des recherches du projet RECRé est de proposer un outil d’aide à la décision pour choisir un scénario possible d’aménagement et de renaturation d’une cour d’école choisie. Cet outil open source applicable sur un logiciel destiné aux architectes (Autocad) et aussi sur SIG prend en considération des indicateurs pertinents tels que l’impact carbone de l’aménagement d’une cour, les essences à privilégier en fonction du climat, la perméabilité des sols, l’impact des surfaces sur la régulation thermique de la cour, etc. Ce projet très appliqué montre comment la recherche peut trouver des applications concrètes dans les projets d’aménagement opérationnel et apporter une vision critique et transversale à une question donnée. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de nos APR : accompagner une recherche interdisciplinaire et appliquée.

Quels enjeux de recherche vous semble-t-il pertinent d’envisager à l’avenir ?
E. B.

La dimension économique des solutions d’adaptation au changement climatique n’est pas toujours correctement appréhendée. Quand les collectivités s’engagent dans la désimperméabilisation et la renaturation d’une cour d’école ou même d’autres types d’aménagement en lien avec l’adaptation au changement climatique, le coût d’investissement est généralement amorti. Néanmoins, le coût d’entretien est souvent négligé et certaines solutions sont parfois progressivement abandonnées par la suite. L’outil RECRé propose une approche globale des coûts. À terme, il serait intéressant d’aller plus loin encore et d’établir le coût de l’inaction comparé au coût global d’une solution donnée. Cette approche économique pourrait bien être un argument d’acceptabilité politique à part entière… Par ailleurs, en termes d’enjeux de recherche pour l’APR PACT²e, il est indispensable de requestionner la place du végétal en ville et les ambivalences qu’elle peut produire en lien avec la démarche d’urbanisme favorable à santé.

 

Bio express

Architecte DE, diplômée de l’école d’architecture Paris-La Villette et de l’École d’urbanisme de Paris, Sophie Blanc est chef de projet Urbanisme au sein du bureau d’études TRIBU. Basé à Paris et Lyon, TRIBU s’est spécialisé dans « l’approche développement durable appliquée aux bâtiments et aux projets urbains ». Il regroupe des experts capables d’intervenir sur des champs très précis, mais aussi d’avoir une approche globale pour répondre aux exigences les plus pointues en matière environnementale, énergétique et bioclimatique.