Rencontre

« L’approche multidisciplinaire permet de saisir le sujet dans toute sa complexité »

L’évaluation de la qualité de l’air intérieur requiert une expertise métrologique, de la science des données, mais aussi une approche humaniste pour appréhender ce qui relève des pratiques des occupants. En conséquence, seule une recherche multidisciplinaire permet d’embrasser le sujet dans sa globalité.


Depuis quand l’Institut Mines-Télécom (IMT) s’intéresse-t-il à l’impact des comportements sur la qualité de l’air intérieur ?
Marie Verriele-Duncianu 

L’IMT travaille sur les sources de la pollution atmosphérique depuis plusieurs dizaines d’années. Depuis quinze ans, il s’intéresse plus particulièrement à la qualité de l’air intérieur dans l’intention d’aider les occupants des logements, les pouvoirs publics et l’industrie à repérer et à mettre en place des actions visant à l’améliorer. L’implication citoyenne étant un levier d’action important, l’IMT a engagé depuis trois ou quatre ans des travaux multidisciplinaires avec des experts en sciences humaines.

Chantal Derkenne

L’ADEME s’est également emparée de ce sujet… L’un de nos objectifs est de contribuer à améliorer la qualité de l’air intérieur. Nous partons du constat que, à l’instar des industriels ou des acteurs publics, les habitants ont eux aussi une partie de la solution. Ainsi, en plus des projets qui permettent de caractériser les émissions liées aux matériaux mis en œuvre ou à l’utilisation de produits dans les logements, nous soutenons des projets qui décrivent les modes de vie des occupants, qui examinent leurs comportements, pour les accompagner et les aider à modifier leurs pratiques. Ce sujet reste sensible, car le logement est un refuge, un cocon, et il peut être difficile d’envisager que des pratiques que nous pensons bénéfiques pour l’occupant (comme diffuser de l’huile essentielle pour purifier l’air) sont en fait nocives pour la santé.

Quels travaux de recherche menez-vous actuellement sur ce sujet ?
Marie Verriele-Duncianu 

Après avoir étudié l’impact de produits de consommation comme les huiles essentielles sur la qualité de l’air intérieur, nous travaillons actuellement à acquérir des données sur les émissions liées aux produits ménagers. Nous projetons désormais de travailler avec des agents de ménage qui sont surexposés à ces produits et dont les pratiques influent sur l’exposition des occupants des bâtiments qu’ils nettoient (comme les écoles, les crèches, etc.). La façon d’utiliser un produit – et on ne le sait pas assez – joue en effet autant que sa composition sur la qualité de l’air. Nous devons travailler sur ce projet en partenariat avec des mairies qui gèrent le personnel de ménage en charge du nettoyage des infrastructures de la ville. Nous travaillons également à créer un indice d’exposition en environnement intérieur, à l’instar de ce qui existe pour l’air ambiant. Ce travail consiste d’abord à sélectionner la meilleure combinaison de micro-capteurs capables de détecter les sources de pollution dans un environnement intérieur. Les données collectées sont ensuite interprétées par des experts en métrologie et en sciences des données pour créer un indice d’exposition. Le sujet est complexe, car cet indice devra prendre en compte des critères sanitaires tout en restant suffisamment simple et pédagogique pour que l’occupant qui l’utilise repère facilement ses pratiques les plus polluantes et les diminue. Nous sommes guidés pour cela par des chercheurs en sciences humaines afin de trouver la meilleure voie d’information pour les occupants, sans les culpabiliser, ni les inquiéter. Le point commun à tous ces travaux est d’aborder spécifiquement la question du comportement des occupants.

À quels enjeux de recherche l’ADEME s’intéresse-t-elle plus particulièrement ?
Chantal Derkenne

Pour n’en citer que deux, je parlerai d’abord de l’importance de développer un « compteur » des polluants, qui permettra de rendre visible la pollution et aidera les occupants à connaître rapidement la qualité de leur air intérieur. Le sujet est plus difficile à mettre en œuvre qu’il n’y paraît, car les polluants sont nombreux et que nous devons prioriser ceux qui doivent être ciblés pour des raisons sanitaires. Dans le même temps, nous travaillons sur de l’innovation sociale afin d’accompagner les ménages dans l’évolution de leurs comportements, par exemple dans le cadre de dynamiques collectives. En effet, l’information est une condition nécessaire mais non suffisante pour changer les habitudes. Nous voulons également établir des cadres méthodologiques à destination des élus et des acteurs des politiques publiques pour mobiliser les citoyens et les rendre acteurs du changement.

Ces travaux sont menés par des équipes multidisciplinaires : en quoi est-il pertinent de faire travailler ensemble des chercheurs en sciences dures et en sciences humaines sur ces questions ?
Marie Verriele-Duncianu 

Reprenons l’exemple des capteurs et des indices. Il ne sert à rien de remettre ce type d’équipements à des ménages sans leur fournir des explications claires et facilement compréhensibles. Pour que notre démarche fonctionne, les occupants ont besoin d’être accompagnés. Nous travaillons donc avec une sociologue et des géographes qui interviennent en amont de l’étude (pour la designer et la concevoir), pendant les entretiens puis lors du dépouillement et de l’interprétation. Ils nous aident notamment à confronter de façon pertinente la mesure et le ressenti des occupants, deux données à prendre en compte.

Chantal Derkenne

Le regard du sociologue révèle notamment les contraintes auxquelles les occupants sont soumis, leurs modes de vie et la manière dont ceux-ci influent sur leurs pratiques. Par exemple, si les personnes se trouvent en situation de précarité énergétique ou en grande difficulté sociale, nous devons prendre en compte ces préoccupations qui vont bien évidemment reléguer la problématique de la qualité de l’air intérieur à l’arrière-plan. Les travaux menés en ingénierie sociale pourront proposer un dispositif public adapté aux différentes populations et le dérouler dans le temps. Il est évident que certaines personnes auront besoin d’être plus accompagnées que d’autres.

Vous menez plusieurs de vos travaux en partenariat avec des collectivités locales : pourquoi ce rapprochement ?
Marie Verriele-Duncianu 

Mettre un capteur à disposition des occupants en permanence n’est pas pertinent ; en revanche, proposer des prêts courts étayés par un accompagnement solide permet un bon recueil de données et un changement pérenne des comportements. Nos projets confirment la pertinence du concept de captothèque, comme c’est déjà mené avec succès en région, par exemple par ATMO Auvergne-Rhône-Alpes.

Chantal Derkenne

Cette captothèque permet à des ménages d’accéder à des capteurs étalonnés par des professionnels et de les utiliser pendant deux mois. Le bénéfice du prêt est double : il permet d’observer précisément ses pratiques tout en limitant la consommation de capteurs dont la fabrication est consommatrice de ressources et d’énergie.

Marie Verriele-Duncianu 

On peut avoir tendance à penser que la technologie à elle seule réglera le problème… or c’est faux. Dans le cas présent, le capteur est un outil au service de l’accompagnement humain, et seul un dialogue constant entre sciences dures et sciences sociales permet de prendre en compte les nombreux enjeux à l’œuvre dans notre sujet de recherche et de l’explorer dans sa passionnante complexité.

BIO EXPRESS

Chimiste de formation, Marie Verriele-Duncianu est enseignante-chercheuse à l’Institut Mines-Télécom Nord Europe. Ses activités de recherche s’appuient sur des connaissances en physico-chimie de l’atmosphère appliquées pour sonder deux problématiques socio-économiques et sanitaires : la qualité de l’air intérieur et les nuisances olfactives environnementales. Ses travaux portent notamment sur
la compréhension des principaux moteurs de la qualité de l’air intérieur et la recherche de solutions de dépollution, et privilégient l’approche multidisciplinaire.