Dossier

Les friches, une opportunité pour atteindre les objectifs de zéro artificialisation nette

L’artificialisation des sols, l’étalement urbain et la surconsommation du foncier représentent aujourd’hui des enjeux essentiels pour les territoires. L’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), apparu pour la première fois dans le Plan Biodiversité de juillet 2018, figure désormais dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, faisant écho aux travaux de la Convention citoyenne pour le climat.


Pour l’ADEME, cet enjeu est au cœur de plusieurs de ses missions : favoriser l’adaptation au changement climatique des espaces urbanisés et des territoires, évaluer la qualité des sols et la préservation des services qu’ils rendent à la société, travailler sur les formes urbaines, la reconquête des espaces vacants et/ou dégradés (dont les friches) et sur l’intégration de la nature en ville pour contribuer à la réalisation d’une ville dense, durable et désirable.

Territoires et artificialisation   

Les espaces artificialisés concernent d’abord les surfaces utilisées pour l’habitat, à hauteur de 42 %, puis celles dédiées aux infrastructures de transports (réseaux routiers, réseaux ferroviaires…), pour 28 %. Le reste se répartit de manière relativement équivalente entre l’agriculture, l’industrie, les loisirs ou les services.

L’artificialisation s’est également développée sur le littoral, en particulier sur la côte méditerranéenne et sur la façade atlantique, où la surface artificialisée dans les premiers 500 m le long de la mer avoisine 28 %. L’artificialisation croissante du territoire est liée à de multiples facteurs. Parmi eux, citons la prédominance de l’habitat individuel. Les Français aspirent en effet à se tourner vers la maison individuelle comme lieu de résidence principale. Une large majorité d’entre eux plébiscite ce modèle quitte à s’éloigner du centre-ville pour des raisons de coût immobilier, accentuant ainsi le phénomène de diffusion de l’habitat et de périurbanisation. La 3e édition de l’Observatoire des usages et représentations des territoires confirme cette tendance.

Estimer les coûts véritables de l’étalement urbain

Pour faire face à l’augmentation de la population et des activités économiques (industrielles, artisanales, commerciales, etc.), l’étalement urbain a été la solution privilégiée pour des raisons de facilité, de large disponibilité et de faibles coûts directs. Ce mode d’urbanisation est néanmoins synonyme de nouvelles infrastructures : réseaux d’eau, d’énergie, d’assainissement, nouvelles routes à créer, etc. Des extensions qui peuvent vite se révéler très coûteuses pour les collectivités et les aménageurs. L’étalement des réseaux conduit alors à des déséconomies d’échelle, contrairement au renouvellement urbain et à la densification. Il est en effet plus simple de densifier un réseau déjà existant que d’investir dans de nouvelles constructions. 

Par ailleurs, les impacts de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols sur l’environnement sont nombreux. Les espaces agricoles sont particulièrement menacés par la périurbanisation : leur superficie a décliné de 6,9 % entre 1981 et 2012, passant de 30,2 à 28,2 millions d’hectares. L’artificialisation des surfaces cultivables engendre également une recomposition des activités agricoles, les activités d’élevage se réduisant au profit des productions végétales. L’étalement urbain a un impact climatique par les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux transports qu’il entraîne, tout en renforçant la vulnérabilité des territoires aux aléas climatiques extrêmes, en particulier aux surchauffes urbaines et aux inondations, du fait notamment de l’imperméabilisation des sols. Enfin, l’étalement urbain a aussi un coût social dans la mesure où il peut aggraver des situations de précarité voire mener à une ségrégation sociale et spatiale.

Pour l’ADEME, une problématique au cœur d’enjeux croisés

L’ADEME a publié en 2021 un état de l’art analytique et contextualisé de l’objectif de ZAN, complété par une feuille de route sur ses priorités d’action pour la trajectoire d’atteinte de cet objectif, en lien avec la mobilisation des acteurs socio-économiques. En outre, l’ADEME conduit une expérimentation baptisée « Objectif ZAN », qui vise à accompagner les réflexions stratégiques à l’échelle de la planification et/ou les projets d’aménagement d’une vingtaine de territoires lauréats issus d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI). Des outils seront mis à disposition des collectivités et des aménageurs, notamment l’outil Bénéfriches, développé par l’ADEME avec le soutien du bureau d’études Arcadis et d’Efficacity sur la question du renouvellement urbain et de la densification. L’outil permettra de les aider à mesurer les retombées économiques, sociales et environnementales des projets de reconversion de friches en foncier, comparée à de l’extension sur des terres agricoles, naturelles ou forestières.

En tant que fonciers disponibles dans tous les territoires, les friches constituent en effet de réelles opportunités pour inscrire les territoires dans une trajectoire de sobriété et de résilience nécessaire à l’atteinte de l’objectif ZAN. Or, la remise en état de ces friches est souvent un préalable coûteux (du fait des coûts de dépollution, déconstruction, désamiantage, etc.), parfois même supérieur à la valeur du terrain lui-même, ce qui contraint à l’abandon de nombreux projets de reconversion.  

La méthodologie Bénéfriches

En permettant d’évaluer les coûts et les bénéfices nets ­socio-économiques et environnementaux attendus de la reconversion des friches, versus l’inaction ou l’extension urbaine, Bénéfriches constitue un outil d’aide à la décision. Il permet d’éclairer les choix des acteurs de l’aménagement et de la reconversion des friches (collectivités, aménageurs, promoteurs, acteurs des énergies renouvelables, etc.) et d’aider à la concrétisation de projets.

La méthode repose sur les principes de l’analyse coûts-­bénéfices, qui a pour objet d’apprécier l’intérêt ou non d’un projet ou d’un investissement pour la collectivité. Elle est réalisée en analysant les effets du projet sur les différents types d’acteurs directement ou indirectement concernés, qu’ils soient positifs ou négatifs (par exemple : consommation d’espaces, de transports, émissions de carbone, valeur foncière, etc.). Les différents impacts ont été décortiqués à l’aide de la méthodologie d’analyse de cycle de vie (attributionnelle et conséquentielle) puis monétarisés (à l’aide, par ordre de priorité, de valeurs tutélaires, de résultats de méthodes de préférences révélées ou déclarées) afin d’être agrégés. Le bilan est réalisé pour une durée de cinquante ans, avec un taux d’actualisation de 4,5 %, ce qui est l’horizon temporel classiquement utilisé dans les évaluations d’infrastructures de transport ainsi que dans les analyses de cycle de vie des bâtiments. L’outil a progressivement été testé et enrichi par les collectivités qui l’ont utilisé.  

La figure 1 (ci-dessous) montre le bilan produit par l’outil, qui précise en outre quels sont les impacts qui se traduisent effectivement par des euros « réels » et ceux qui font uniquement l’objet d’une opération de monétarisation mais sans gain réel d’un point de vue économique et financier pour les acteurs. Au final, l’évaluation permet de confronter les bénéfices nets socio-économiques à l’éventuel déficit d’opération (recettes-dépenses).  

Quatre cas documentés pour mettre en place l’outil

À Sevran, en Seine-Saint-Denis, la reconversion de la friche industrielle Kodak en parc paysager à haute valeur écologique se solde par une évaluation des bénéfices nets socio-­économiques à 23,6 millions d’euros, dont 90 % reviennent aux riverains, qui voient leur qualité de vie mais aussi la valeur de leur bien immobilier augmenter.

Autre cas : la zone d’aménagement concerté (ZAC) Certé-­Océane-Acacia de Trignac (Loire-Atlantique), située en continuité nord du tissu urbain nazairien et en bordure est de la Brière. Cette ZAC de 20 hectares est une opération globale de restructuration urbaine, soutenue par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2007 puis par l’ADEME en 2009. L’ambition est de changer l’image dégradée du quartier (présence de friches, tours d’habitation et équipements des années 1970, enclavement par des infrastructures routières, etc.) en redéployant 590 logements, des commerces, des équipements publics, et en reconnectant le quartier à l’agglomération nazairienne et au territoire briéron. Ce projet est comparé à un équivalent (en termes de fonctions urbaines et de capacité) réalisé en extension urbaine à 20 minutes de trajet de Trignac (densité logement deux fois moindre). L’outil Bénéfriches a permis d’évaluer un bénéfice net de plus de 19 millions d’euros qui compense le déficit économique engendré par la remise en état des deux friches polluées. Là, ce sont les collectivités qui vont recueillir ce bénéfice, par le gain sur la maintenance des voiries et réseaux, tandis que les riverains vont bénéficier de l’amélioration du cadre de vie et de l’impact sur leurs temps de déplacement. 

En périphérie de Bordeaux, Bénéfriches a permis d’évaluer la remise en état d’une ancienne friche industrielle de 12 hectares, comparée à un projet équivalent (en termes de fonctions urbaines et de capacité), moins bien desservi en transports collectifs, sur une surface équivalente sur des espaces agricoles. Au final, la réalisation de l’écoquartier les Akènes, à Lormont, en renouvellement urbain, génère des bénéfices nets socio-économiques importants, de plus de 20 millions d’euros répartis principalement entre la collectivité et les riverains (amélioration du cadre de vie, moindre coût d’infrastructures, etc.).

Dernier exemple : le parc photovoltaïque du terril Wendel, situé dans le département de la Moselle, sur les communes de Forbach et Petite-Rosselle. Le projet de construction d’une centrale photovoltaïque est comparé à la situation de maintien en l’état. Le projet va permettre d’exploiter le potentiel du territoire en termes de ressources énergétiques et de valoriser un terrain ne se prêtant à aucun autre usage économique. 

Sur ces quatre cas, Bénéfriches a permis de mettre en évidence les bénéfices nets socio-économiques générés par la reconversion de ces friches et pouvant compenser le déficit économique de l’opération.

Une nouvelle version de loutil en préparation

Huit porteurs de projets sont actuellement accompagnés dans la mise en œuvre de l’outil sur neuf cas de reconversion de friches.

Le premier enjeu réside dans l’appropriation de l’outil. Laure Lenguema, du bureau d’études Arcadis, qui accompagne ces pionniers, explique : « Le premier objectif est d’expliquer en quoi consiste l’évaluation socio-économique d’un projet de reconversion. À la fois on prend des effets directs, mais aussi indirects : les imperméabilisations évitées et les bénéfices qui en découlent (préservation des espaces naturels et des capacités de stockage de carbone des sols), localisation des activités dans un milieu urbain dense plutôt qu’en zone périurbaine, ce qui va permettre d’éviter des déplacements donc de gagner du temps et d’éviter des émissions de polluants. Et surtout, il faut comprendre les limites de l’outil, c’est-à-dire identifier quels autres effets ou usages pourraient être valorisés que Bénéfriches ne prend pas aujourd’hui en compte. » Ensuite, l’outil permet de tester différentes configurations de scénarios, par exemple à Corbeil-Essonnes (Essonne), où le projet de reconversion d’imprimerie en logements a pu se faire dans deux formats différents ; ou à Balaruc-les-Bains (Hérault), où l’étude de la reconversion de la friche autour de la création d’un parking relais, d’un champ photovoltaïque et d’un espace paysager peut se traduire par deux versions, en chiffrant dans chacun des cas, le coût et le bénéfice attendu.  

C’est ainsi que trois nouvelles dimensions sont en cours d’intégration dans l’outil : le développement de projets d’agriculture urbaine (projet Arcueil, projet myTERREhappy en Alsace), la réhabilitation de bâtiments existants versus la construction neuve (projet myTERREhappy), et le recours à une phase d’urbanisme transitoire, c’est-à-dire autour d’une occupation temporaire de la friche dans l’attente de sa reconversion (projet « Magasins généraux » de KETB à Reims, projet de Novaxia à Corbeil-Essonnes). 

Par ailleurs, complète Laurent Chateau, chargé de mission Friches à l’ADEME : « Au départ de la création de l’outil, on avait imaginé couvrir les principaux cas, actuels ou pressentis, de reconversion d’une friche, à savoir la création de logements, la renaturation et l’implantation de parcs photovoltaïques. Du fait des problématiques posées par les projets dans le cadre de l’accompagnement des huit porteurs, on a pu proposer trois nouveaux types d’usages (cf. supra). Au-delà, on a été confrontés à des questionnements intéressants liés à de nouveaux cas de figure, tels que la restructuration de zones d’activités. Et là, on s’est demandé : comment l’outil peut intégrer ce cas, ou s’il ne peut pas, comment le faire évoluer en ce sens ? »

Deux collectivités du panel (Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées, Communauté d’agglomération Melun Val de Seine) s’interrogeaient : lorsque l’on dispose déjà d’une zone d’activités (commerciales, industrielles), comment la restructurer pour, d’une part, éviter d’aller créer de nouvelles zones ailleurs et, d’autre part, retrouver de l’attractivité vis-à-vis d’entreprises cherchant à s’implanter sur le territoire ? Par exemple, quand le déficit d’entretien devient problématique, que les entreprises commencent à quitter la zone, et que globalement l’attractivité diminue, comment la collectivité peut-elle agir pour corriger ce problème ? 

C’est en s’assurant que les zones d’activités restent dynamiques, que les aménités restent adaptées (dessertes, réseau, etc.) et que le foncier reste attractif, que l’on peut aussi éviter l’apparition de nouvelles friches. En effet, « les friches ne constituent pas un stock qui va peu à peu régresser. On peut certes espérer en créer moins grâce à la diminution de l’étalement urbain mais il s’en crée toujours, notamment du fait de défaillances d’entreprises. En témoigne la Métropole européenne de Lille, qui mène une politique volontariste de reconversion des friches, et qui néanmoins depuis vingt ans se trouve encore confrontée à environ la même superficie », précise Laurent Chateau. L’outil doit donc pouvoir prendre en compte tous ces questionnements.