La dernière édition du baromètre de l’ADEME révèle une attente particulièrement forte des Français à l’égard de mesures politiques ambitieuses, à la hauteur des enjeux climatiques. Dans le même temps, nous observons une légère démobilisation à l’échelle individuelle.
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En 2024, plus d’un Français sur deux déclare avoir déjà subi les conséquences du réchauffement du climat là où il habite ; un record. Pour y faire face, ils attendent plus d’actions de la part des pouvoirs publics, aussi bien à l’échelle nationale que territoriale. Tout se passe comme si, conscients de l’urgence climatique, ils ressentaient une forme de lassitude vis-à-vis des injonctions aux écogestes et préféraient déléguer davantage à la puissance publique des actions à la hauteur des enjeux.
Une adhésion pour des mesures politiques fortes qui s’accentue cette année…
Globalement, les Français se sont toujours montrés majoritairement favorables à une diversité de mesures de politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais cette année, on observe une forte hausse de leur adhésion, avec notamment un pic de soutien pour le développement des énergies renouvelables à 91 % (+ 14 points en 10 ans).
Les mesures réglementaires sont particulièrement plébiscitées : interdire la publicité pour les produits ayant un fort impact environnemental (souhaitable pour 84 % des Français) ; obliger les propriétaires à rénover et à isoler les logements (72 %) ; limiter la circulation des véhicules les plus polluants dans les grandes agglomérations (72 %) ; obliger la restauration collective publique à proposer une offre de menu végétarien, bio et/ou de saison (68 %). Mais ce sont les mesures de taxation qui profitent des plus fortes hausses : taxer le transport aérien pour favoriser le transport par le train (70 % de Français favorables, + 6 points en un an et + 27 % en 20 ans) ; + 7 points depuis 2023 pour taxer davantage les véhicules les plus émetteurs de GES (63 % favorables) et augmenter les prix des produits à fort impact environnemental (60 %).
Cette évolution atteint des valeurs élevées même pour des mesures qui se situent parmi les moins souhaitées, telles que densifier les villes en limitant l’habitat pavillonnaire (46 %, + 8 points en un an et + 15 points en 10 ans), abaisser la vitesse limite sur autoroute à 110 km/h (49 %, + 14 points en 4 ans).
Le baromètre révèle également que pour 7 Français sur 10, la priorité économique du gouvernement devrait être de soutenir exclusivement les activités qui préservent l’environnement plutôt que tous les secteurs de l’économie, au risque de conséquences négatives sur l’environnement (28 %). À l’échelle locale, 84 % des Français considèrent que leur territoire sera obligé de prendre des mesures importantes dans les décennies à venir pour s’adapter aux conditions climatiques.
… sous condition d’équité et de justice sociale
L’adhésion aux mesures de politiques publiques de transition dépend fortement de leurs conditions de mise en œuvre. Ainsi, parmi la liste de mesures destinées à limiter les émissions de GES proposée dans l’enquête, 51 % des Français considèrent comme souhaitable d’augmenter la taxe carbone (pour 15 % « très souhaitable »), en hausse de 6 points par rapport à 2023, sans retrouver le record de 2017 à 55 %. Leur opinion est encore plus favorable (69 %, + 4 points) en y ajoutant comme condition que « cela ne pénalise pas le pouvoir d’achat des ménages des classes moyennes et modestes, et que les recettes de la taxe soient utilisées pour financer des mesures de transition écologique, notamment sur les territoires ».
À titre personnel, 18 % seraient prêts à payer une taxation supplémentaire sur les carburants pour lutter contre le réchauffement climatique (+ 5 points entre 2023 et 2024), en y ajoutant des conditions de compensation par une baisse d’impôt, une redistribution aux catégories modestes et moyennes, ou l’utilisation des recettes pour la transition énergétique, ils seraient même 57 %.
Conscients de l’urgence climatique, près de 60 % des Français (stable dans le temps) considèrent qu’il faudra modifier de façon importante nos modes de vie. Toutefois, ils seraient prêts à accepter les changements nécessaires si les efforts étaient partagés de façon juste entre tous les membres de la société (66 %) et si ces changements étaient décidés collectivement (45 %).
Or aujourd’hui, les Français ont le sentiment que les États, pourtant jugés comme les acteurs les plus efficaces pour résoudre le problème de changement climatique, n’agissent pas à la hauteur de leur potentiel, tout comme les entreprises et les instances internationales, contrairement aux collectivités locales, aux associations et aux citoyens. Ils estiment avoir fait suffisamment d’efforts à l’échelle individuelle ces dernières années et cela pourrait expliquer que leur mobilisation s’essouffle.
Les évolutions des pratiques déclarées des Français témoignent d’une véritable inflexion des comportements sur la longue durée.
Alors que nous avions constaté un pic pour beaucoup d’actions en 2023 (notamment moins consommer, limiter sa consommation de viande, ne pas prendre l’avion ou encore privilégier les achats de seconde main), cette année, la dynamique d’évolution des pratiques individuelles pour réduire l’impact des modes de vie est en baisse, laissant supposer une forme de démotivation quant à l’effort que les Français sont prêts à faire.
En effet, nous notons un basculement entre ce que les répondants déclarent faire et ce qu’ils ne font pas ou plus, mais pourraient faire facilement (2024 vs 2023) : ne pas prendre l’avion, – 7 pts ; veiller à acheter des légumes de saison, – 6 pts ; trier ses déchets, – 4 pts. Cette baisse s’observe particulièrement chez les CSP+.
Par ailleurs, 64 % des Français déclarent qu’ils pourraient faire plus d’efforts pour réduire leurs émissions de GES (+ 4 points), et seulement 31 % estiment faire leur maximum.
Tout se passe comme si, conscients de l’urgence climatique, ils ressentaient une forme de lassitude vis-à-vis des injonctions aux écogestes et préféraient déléguer davantage à la puissance publique des actions à la hauteur des enjeux.
Au-delà de la disposition à faire des efforts, la capacité à s’investir est fortement dépendante des ressources des ménages : 44 % d’entre eux qui déclarent « s’en sortir très difficilement » ont le sentiment de « faire leur maximum » et 29 % qu’ils « pourraient en faire plus ». Alors que les proportions s’inversent quand les ménages « s’en sortent très facilement » : 23 % estiment « faire leur maximum » et 60 % qu’ils « pourraient en faire plus ». Certaines pratiques restent très difficiles à mettre en place, notamment dans le domaine de la mobilité quand elles sont dépendantes des infrastructures. Au-delà de la qualité, les solutions alternatives n’existent bien souvent tout simplement pas.
Les limites de l’écocitoyenneté
Éclairage de Maël Ginsburger, maître de conférences en sociologie, université Paris Cité
Les résultats du 25e baromètre Les représentations sociales du changement climatique documentent la perception qu’ont les Français des pratiques de consommation qu’ils sont enjoints à mettre en oeuvre pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Ceux-ci confirment la centralité des « petits gestes » dans la liste des actions mises en œuvre : malgré une légère baisse, 79 % des personnes interrogées déclarent trier les déchets, et plus des deux tiers affirment mettre en oeuvre des gestes de modération des dépenses énergétiques. À l’inverse, les pratiques relevant d’une logique de modération de la consommation, en particulier lorsqu’elles touchent au domaine des transports, sont bien plus rarement déclarées (49 % déclarent ne pas prendre l’avion pour leurs loisirs, 33 % expliquent utiliser les transports en commun plutôt que la voiture). De telles pratiques dépendent bien évidemment du contexte de leur mise en œuvre, ce que les termes d’« effort » voire d’« action » tendent à invisibiliser : s’agit-il d’un effort de ne pas prendre l’avion pour un ménage n’en ayant pas les moyens ? Étiquetterat- il cette non-utilisation des transports aériens comme une action mise en oeuvre positivement en faveur de l’environnement ? Ce contexte est non seulement matériel (la proximité des infrastructures de transport en commun ou des producteurs locaux, le budget à disposition du ménage pour accéder à des produits disposant d’écolabels), mais aussi social. Les résultats comparés du baromètre entre 2023 et 2024 suggèrent en outre une forme de « repolitisation » des solutions écologiques, avec un recul dans l’adhésion aux actions individuelles – dont les plus émettrices demeurent encastrées dans des faisceaux de contraintes (budgétaire, résidentielle, familiale, liée à la disponibilité des infrastructures) inégales selon la classe sociale et le lieu de résidence – et un soutien croissant en faveur de mesures politiques ambitieuses.
Une montée du climatoscepticisme à surveiller
Le changement climatique fait désormais partie du quotidien des Français. Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux (52 %, + 7 points – un record) déclare avoir déjà subi les conséquences du réchauffement climatique là où il habite. Et près de 8 Français sur 10 considèrent qu’ils ressentent déjà ou ressentiront d’ici seulement une dizaine d’années les conséquences du désordre climatique dans leur vie.
Sur la durée, depuis le début de notre baromètre, l’évolution de l’opinion sur le phénomène de changement climatique est plutôt positive. En 2001, un tiers seulement des répondants estimaient que « les désordres du climat [étaient] causés par l’effet de serre », aujourd’hui ils sont 56 %, après un pic à 64 % en 2022. 49 % ne savaient pas se prononcer sur les vraies causes du désordre du climat en 2001 ; aujourd’hui, ils sont seulement 15 %. Le scepticisme vis-à-vis de la cause anthropique du changement climatique n’a pas beaucoup bougé pendant plusieurs années : autour de 15 % jusqu’en 2014, puis autour de 20 % jusqu’en 2023.
Toutefois, en 2024, on relève une hausse de ce climatoscepticisme. Près de 30 % des Français considèrent que les désordres climatiques et leurs conséquences sont des phénomènes naturels, comme il y en a toujours eu. Une augmentation de 7 points par rapport à 2023 et de 12 points depuis 2020. Ce pic aujourd’hui fait ainsi doubler la part des personnes qui estiment que les désordres du climat sont des phénomènes naturels comme la Terre en a toujours connu en l’espace de plus de 20 ans (15 % en 2001 à 29 % en 2024).
Il existe plusieurs sortes de climatosceptiques :
• ceux qui nient complètement la réalité du changement climatique : 2 % de la population ;
• ceux qui n’ont pas d’idée précise et ne se prononcent pas : 6 % ;
• et ceux qui considèrent que c’est un phénomène naturel comme il y en a toujours eu : 30 %.
Pourtant, un tiers seulement n’est pas convaincu de l’unanimité de la communauté scientifique sur la question. La confiance dans les scientifiques reste d’ailleurs stable au fil des ans. Depuis l’origine du baromètre, environ deux tiers des personnes interrogées considèrent que la théorie selon laquelle l’augmentation de l’effet de serre entraînerait un réchauffement de l’atmosphère est une certitude pour la plupart des scientifiques. De même, la confiance qu’ils leur accordent pour évaluer les risques évolue peu au fil des ans : 71 % considèrent que les scientifiques « évaluent correctement les risques du changement climatique ».
Ainsi, ni les désordres climatiques subis en France et à travers le monde ni les rapports du GIEC qui pointent l’unanimité scientifique sur le sujet ne renforcent l’idée, auprès de la population, que l’effet de serre et les activités humaines en sont la cause. Tout se passe comme s’il y avait une sorte de sidération vis-à-vis de l’ampleur des désordres climatiques et qu’on en oubliait la cause réelle. La médiatisation de ces images de catastrophes – mettant davantage l’accent sur les conséquences de ces désordres climatiques que sur les causes et les solutions – renforce probablement encore ce sentiment d’une nature devenue folle.
En effet, alors que 40 % des Français considèrent que l’on parle suffisamment du changement climatique, et qu’un tiers trouve que l’on n’en parle pas assez, le pourcentage de personnes estimant que l’on évoque trop ce sujet dans la presse ou à la télévision augmente. Il atteint aujourd’hui 26 % ; une minorité qui, comparée aux chiffres de 2011 (16 %), prend de l’importance, laissant penser à une possible saturation dupublic devant l’avalanche d’images de canicules, d’incendies ou d’inondations dans les médias de grande diffusion.
Comment expliquer le climatoscepticisme ?
Éclairage d’Amélie Deloffre, cofondatrice de Parlons Climat
Si l’existence du changement climatique fait aujourd’hui consensus au sein des Français (seulement 2 % estiment qu’il n’existe pas), des zones de doutes portent sur ses causes. Ainsi, près d’un tiers des Français déclarent qu’il s’agit d’un phénomène naturel comme la Terre en a toujours connu, et une même proportion estime que les scientifiques exagèrent les risques de celui-ci. Sur la base de ce constat, nous avons mené chez Parlons Climat une série d’entretiens auprès de climatosceptiques qui mettent en lumière une grande variété de doutes allant de la méconnaissance à l’ambiguïté, en passant par l’incapacité à trancher entre cause anthropique ou naturelle.
Paradoxalement, le nombre de climatosceptiques semble en augmentation ces dernières années alors même que le sujet est de plus en plus médiatisé (33 % des Français trouvent que l’on ne parle pas assez de climat, en baisse constante depuis 2017 avec – 10 points). Alors que d’importants efforts d’information et de pédagogie ont été déployés par les médias et les associations pour sensibiliser et donner les clés au grand public, nos entretiens ont révélé que ce n’est pas tant l’absence de connaissances sur le sujet qui explique le climatoscepticisme, mais qu’il s’agit surtout d’une posture défensive face à la transition écologique, celle-ci générant des crispations sociales, économiques et politiques auprès d’une partie de la population la jugeant « trop politisée », avec des solutions « peu adaptées » ou « financièrement inaccessibles ».
Par ailleurs, en travaillant à partir des données de l’ADEME, nous avons déterminé que près d’un tiers des climatosceptiques sont de potentiels alliés du climat dans la mesure où ils acceptent le consensus scientifique, l’adaptation future de leur territoire, mais aussi les politiques climatiques, au même niveau que le reste de la population française. Cette distinction nous permet d’établir que les convictions sur les causes du changement climatique ne sont pas forcément déterminantes en matière d’engagement et de posture face à la crise climatique.
Les personnes âgées de plus de 65 ans sont plus nombreuses à estimer que l’on en parle trop (70 %), tout comme celles qui se situent « à droite » de l’échiquier politique : 82 % (contre 36 % « très à gauche »). A contrario, les moins de 25 ans sont plus nombreux à penser que l’on n’en parle pas assez.
Ces convictions sur le changement climatique sont pour partie liées à l’âge, au niveau d’études, mais surtout à la proximité politique. Ainsi, cette montée du climatoscepticisme se cristallise très certainement dans la polarisation politique autour de l’écologie et du changement climatique qui s’est considérablement accrue ces dernières années. On observe une forme de radicalisation des plus réfractaires au discours écologique. Quand 79 % de ceux qui se classent « très à gauche » sont convaincus du caractère anthropique du changement climatique, ils sont seulement 49 % parmi ceux qui se classent « à droite ». Les personnes qui ont beaucoup de sympathie pour les mouvements écologistes ne sont que 7 % à considérer que c’est un phénomène naturel, alors qu’ils sont 50 % chez ceux qui n’ont pas du tout de sympathie pour ces mouvements. De même, 91 % des répondants « très à gauche » estiment que les risques sont correctement évalués par les scientifiques, contre 57 % des « très à droite ». Concernant l’âge, on observe depuis des années que les très jeunes, 15-17 ans, sont convaincus que le changement climatique est dû aux activités humaines, contrairement aux seniors qui se montrent plus sceptiques. Chez les 18-24 ans et les 25-34 ans, le climatoscepticisme vis-à-vis de la cause anthropique – mais aussi de la réalité même du changement climatique – se renforce ces dernières années : quand 18 % des 15-17 ans considèrent que c’est un phénomène naturel, ils sont 30 % parmi les 18-24 ans et même 45 % parmi les 25-34 ans. Il faut toutefois rappeler que deux tiers des Français sont convaincus de l’impact des activités humaines sur le changement climatique, qu’une minorité émet des doutes envers les scientifiques et que l’environnement et le changement climatique restent une préoccupation forte (dans le top 3). Dès lors, l’enjeu n’est pas tant de convaincre les Français, mais de leur donner les moyens d’agir en portant des mesures politiques ambitieuses à la hauteur des enjeux, et permettant de faire évoluer les modes de vie.
La polarisation partisane accrue des attitudes à l’égard de l’environnement
Éclairage de Simon Persico, professeur de science politique à Sciences Po Grenoble, UGA et au laboratoire Pacte
Alors que la vie politique française est polarisée en trois blocs, dans les urnes comme à l’Assemblée nationale, cette polarisation affecte l’opinion des Français en matière d’environnement et les différences se sont accrues dans le temps. Le baromètre de l’ADEME, qui documente depuis 2010 le parti politique dont les répondants se sentent le plus proches, et depuis 2014, leur positionnement sur l’axe gauche-droite, montre que les attitudes à l’égard de l’écologie ont toujours été structurées par l’appartenance partisane et que les différences s’accroissent. Ainsi, dans la dernière vague, les électeurs qui se positionnent à gauche sont 44 % à considérer que l’environnement fait partie des 3 enjeux les plus importants, contre 14 % des électeurs qui se positionnent à droite. Dans le temps long, on s’aperçoit que, si l’attention accordée à l’environnement a crû chez tous les électorats, cette hausse est encore plus significative dans celui de gauche (+ 19 points depuis 2015) que dans celui de droite (+ 6 points). La différence entre répondants de gauche et répondants de droite se retrouve dans d’autres questions évaluant la diffusion des positions climatosceptiques (ceux qui considèrent que le changement climatique n’existe pas ou qu’il n’est pas d’origine humaine) ou mesurant le sentiment que l’on parle trop du changement climatique. À chaque fois, la différence entre personnes interrogées de droite et de gauche est de l’ordre de 20 points, avec les centristes ou les personnes qui refusent de se situer dans une position intermédiaire. Les électeurs de droite et d’extrême droite sont les plus climatosceptiques et les moins intéressés par l’écologie. Il s’agit d’ailleurs des seuls électorats qui ne se sont pas écologisés au cours des quinze dernières années. Cela correspond à la trajectoire des responsables politiques de droite et d’extrême droite qui sont de plus en plus nombreux à remettre en cause des politiques environnementales jadis consensuelles comme le développement des énergies renouvelables, la suppression des passoires thermiques ou l’arrêt de l’artificialisation des sols.