Dossier

Les dispositifs de type Fabriques, Appels à communs et eXtrême Défi pour la transition écologique

Des logiciels libres aux jardins partagés, de la cartographie aux AMAP, les « communs » sont partout ! Mais d’où viennent-ils ? Comment les mettre en œuvre ? Que peuvent-ils apporter ? Examinons ces ressources, leur originalité et leur intérêt en faveur de la transition écologique dont les défis sont importants et complexes.


Les communs peuplent aujourd’hui notre quotidien. En France, l’ADEME, l’IGN avec sa Fabrique des géo-communs et d’autres acteurs s’engagent sur cette voie sur des sujets très divers, tels que la résilience, la santé, l’éducation ou encore la cybersécurité. Les communs sont des ressources matérielles ou immatérielles gérées collectivement par une communauté qui établit des règles et une gouvernance dans le but de les préserver et de les pérenniser. On peut aussi définir les communs comme la recherche par une communauté d’un moyen de résoudre un problème en agissant au bénéfice de l’ensemble de ses membres. La définition des communs est donc plurielle, à l’image de leur diversité. Ces communs ne sont pourtant pas une invention récente, ils font partie intégrante de l’histoire humaine depuis toujours. 

1 / LES COMMUNS : UNE HISTOIRE ANCIENNE

Pourquoi parle-t-on aujourd’hui d’un «retour des communs»?

Si la propriété privée est une construction juridique et politique, les hommes, en revanche, se sont toujours constitués en communautés pour exploiter et entretenir des ressources, notamment naturelles. En Europe, les communs s’imposent comme la méthode la plus pragmatique de gestion des ressources. Du moins jusqu’au mouvement des enclosures : de la Renaissance au siècle des Lumières, la construction des États-nations et l’essor du commerce international vont de pair avec le démantèlement des communs. L’histoire étant souvent cyclique, les communs font leur retour au XXe siècle sous l’effet de plusieurs facteurs. Le premier peut être attribué au travail du National Research Council qui, au début des années 1980, démontre à travers diverses études que, dans les pays du Sud, la privatisation de terres jusqu’alors cultivées en commun menace leur équilibre alimentaire. Parmi les économistes mobilisés, on trouve Elinor Ostrom, personnage clé de l’histoire des communs. Le second facteur repose sur l’essor d’Internet et la naissance du mouvement de l’open source, qui rompt avec le modèle économique du logiciel propriétaire. Un logiciel open source est un code conçu pour être accessible au public. Ce type de logiciel est développé de manière collaborative et décentralisée par une communauté, et repose sur l’examen par les pairs. En 2009, Elinor Ostrom reçoit le Nobel d’économie pour ses travaux démontrant l’efficacité économique des communs mis en place, parfois depuis des milliers d’années, par les collecteurs de caoutchouc d’Amazonie, les communautés de pêcheurs des Philippines et les paysans des Alpes suisses. Une récompense qui imposera désormais le terme « communs » dans les médias. Depuis, les communs ne cessent de se développer avec plus ou moins de succès selon les secteurs et les communautés qui les portent. 

Pourquoi vouloir créer un commun?

Tout d’abord, la volonté de mutualiser dans un contexte contraint est un moteur de création de communs : concurrence, manque de moyens, d’outils, de compétences… Le commun va permettre de créer ou de maintenir une ressource qu’on ne pourrait pas maintenir seule, de réduire les coûts de production, de faire face à la concurrence collectivement, d’assurer la résilience d’un actif clé, de créer un standard collectif permettant à chacun d’augmenter ou d’améliorer son offre, de créer un effet de réseau. Ce dernier peut être défini comme le mécanisme d’externalité économique par lequel l’utilité réelle d’une technique ou d’un produit dépend du nombre de ses utilisateurs. Par ailleurs, les communs sont propices à contribuer aux démarches d’intérêt général et de surcroît aux enjeux de la transition écologique. 

Les controverses et les limites autour de la notion des communs

Le commun sous-tend de nombreuses questions, notamment d’ordre juridique et économique. Son rapport à la propriété privée interroge. La propriété privée se définit par une logique d’exclusion. Les communs, au contraire, reposent sur un principe d’inclusion. Là où rien n’oblige le propriétaire à faire usage de sa propriété, l’utilisation d’un commun par ses usagers apparaît comme la condition essentielle. Autre question, quelle est la valeur économique d’un commun ? Si la valeur sociale et humaine des communs semble évidente, leur valeur économique est souvent remise en question pour une raison très simple : réaliser des bénéfices n’est pas leur but premier, ce qui les expose de fait à un certain manque de crédibilité économique. Pour autant, « commun » ne signifie pas forcément « gratuité ». Il est possible de construire un modèle économique du commun, tout en conservant son accès libre. En effet, la communauté qui gère le commun peut tirer de multiples profits à s’impliquer financièrement pour le pérenniser : éviter des développements internes en s’appuyant sur des communs déjà existants, mutualiser une veille, entreprendre un changement de culture interne à moindre coût… Ce sont de tels exemples d’externalités positives qui permettent de bâtir de nouveaux modèles économiques autour du commun.

2 / LES COMMUNS ET LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Par leur potentiel de création de valeur pour l’intérêt général et leur caractère innovant et inclusif, l’ADEME a souhaité explorer dans quelles mesures les communs pouvaient être le moteur de la transition écologique. C’est en 2013, lors d’un séminaire réunissant plus d’une centaine de décideurs du domaine de la mobilité, que la question des communs a concrètement émergé pour l’ADEME, autour d’une problématique : comment favoriser la collaboration plutôt que la concurrence entre les différents types d’acteurs (industries, collectivités, État, start-up et laboratoires) et ainsi mettre en place de nouveaux produits et services de mobilité durable à grande échelle ? 

La Fabrique de la mobilité

L’appel à projets « La Fabrique des mobilités, solutions de rupture pour des mobilités durables » a été lancé par l’ADEME en octobre 2015, avec l’objectif d’organiser et de mettre en œuvre des coopérations entre acteurs hétérogènes autour de problématiques concrètes. L’idée était d’aller vers une logique de coopération ou de « coopétition ». Dix projets ont été sélectionnés sur les trente-neuf projets candidats, selon plusieurs critères comme la composition de l’équipe dirigeante, la vélocité et l’agilité du projet, son caractère innovant, la capacité à contribuer aux communs. Les premiers enjeux identifiés par la Fabrique concernaient l’interopérabilité des bases de données et les preuves de covoiturage, répondant à un besoin identifié de longue date.

Le commun preuve de covoiturage

Ce commun a été mis en place pour favoriser le covoiturage. En effet, l’un des freins au développement de cette pratique est le faible intérêt financier pour le covoitureur et le covoituré. Les autorités organisatrices du transport peuvent décider d’inciter financièrement au covoiturage, mais ont souvent des réticences à s’engager en raison des fraudes. Le registre de preuve de covoiturage permet à tout opérateur de covoiturage de faire converger vers une plateforme unique les preuves de trajets effectués en covoiturage par ses utilisateurs.

La Fabrique s’est ensuite constituée en association, avec un objectif partagé : produire des communs utiles à un écosystème industriel pour accélérer les transitions. À ce jour, 843 communs ont été déposés autour de 403 projets et 77 communautés. 16 communs sont en cours de réalisation. L’évaluation de la Fabrique de la mobilité réalisée en 2017 montre que l’une des difficultés majeures de la production de communs réside dans la gestion de la concurrence entre acteurs de nature variée, notamment celle des droits entre différents types d’acteurs (grands groupes, start-up, collectivités) et dans des temporalités différentes, mais aussi dans des enjeux d’organisation qui nécessitent une culture commune initiale. Des exemples montrent que certains membres peuvent adopter un comportement de « prédation » en tirant profit de leur position dans la communauté, en particulier s’ils en sont de gros financeurs, afin de s’approprier une partie des données. L’exemple de la Fabrique de la mobilité montre qu’il y a un besoin de s’acculturer à la coopération pour l’intérêt général. Comme le rappelle le manifeste de la Fabrique des mobilités, « pour chaque ressource, les conditions d’accès doivent être définies pour qu’elle soit utilisable, manipulable par un maximum d’acteurs. Il s’agit de gérer un compromis ».

L’Appel à communs résilience des territoires

En 2021, forte du bilan très positif de l’expérience de la Fabrique des mobilités, l’ADEME met en place l’Appel à communs (AAC) résilience des territoires, qui a permis de soutenir techniquement et financièrement vingt communs apportant des solutions rapides et opérationnelles aux neuf défis de la résilience, retenus dans cette première édition, pour un budget de 1 M€. L’AAC poursuit l’exploration des principes de coopération renforcée et d’accompagnement de projets reposant sur des communautés, conjugués à la création de licences ouvertes, afin de favoriser :

  • La réplication et la capitalisation. Tout acteur peut se saisir de briques d’intérêts d’un commun pour lancer un projet similaire à son échelle et ensuite redonner de la valeur au commun en partageant son retour d’expérience ;
  • La standardisation. Le libre accès aux communs peut permettre leur adoption massive et ainsi déboucher sur la création de standards. Par exemple, la standardisation d’un diagnostic de résilience territoriale pourrait permettre de fluidifier les échanges entre les collectivités et ainsi d’améliorer la cohérence territoriale ;
  • L’interopérabilité. La transparence qu’offrent les licences ouvertes permet à plusieurs communs de créer des liens entre eux, comme la mutualisation des données. 

Un exemple de commun développé dans l’AAC : Pas de vacances pour la vacance

Ce commun est une application Web, libre d’accès, gratuite, qui s’appuie sur des données open source provenant de l’INSEE, LOVAC, Sitadel2, le CEREMA, et le RPLS. En un clic, il permet de visualiser la vacance des logements sur le périmètre d’une collectivité et d’identifier le patrimoine bâti disponible par commune ainsi qu’à l’échelle du territoire (intercommunalité, département, région).

PDVPLV fait le pari que la mise à disposition enrichie et ergonomique de ces données de vacance contribuera, entre autres, aux objectifs de sobriété immobilière et foncière et donc à la lutte contre l’artificialisation des sols dans le cadre de l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN) défini par la loi Climat et résilience. Depuis sa création en mars 2022,
PDVPLV a déjà fortement évolué grâce à sa communauté (amélioration de la cartographie, ajout de nouveaux indicateurs…), tel que préconisé par l’Appel à communs.

La seconde édition de l’Appel à communs 

Sur la base du bilan extrêmement positif de cette première édition, l’ADEME s’apprête à lancer une seconde édition portant sur la sobriété et la résilience des territoires, avec quelques évolutions majeures : 

  • S’allier à de nouveaux partenaires aux compétences complémentaires de l’ADEME. Ainsi, l’IGN est partie prenante pour le développement de communs relatifs aux données géographiques ; 
  • Développer une offre de formation interne et externe visant la montée en compétences sur les sujets des communs. En effet, le retour d’expériences de la première édition pointe le fait que la faiblesse du niveau d’acculturation aux communs est une limite majeure pour le dispositif ;
  • Définir un cadre d’évaluation permettant d’objectiver les impacts et les bénéfices apportés par les communs aux enjeux de la transition écologique.

L’eXtrême Défi

L’eXtrême Défi (XD) est une démarche collective dont l’objectif est de contribuer à réduire la dépendance à l’utilisation de l’automobile thermique dans les territoires ruraux et à réduire les consommations énergétiques des mobilités rurales, en s’appuyant sur des véhicules intermédiaires plus efficients que l’automobile sur le plan de l’énergie et des matières. Pour cela, il s’agit de concevoir et diffuser une collection de véhicules intermédiaires adaptée aux besoins des utilisateurs. 

Exemple de commun développé dans l’XD : le véhicule Vhélio

Le Vhélio est un utilitaire solaire à trois roues capable de transporter deux adultes, deux enfants et des bagages (soit 280 kilos), de manière aussi autonome et confortable que possible, pour un coût global raisonnable. Déposé sous licence libre, il est conçu pour être autoconstruit totalement ou partiellement, et il sera également possible de l’acheter déjà monté. Il sera facile à entretenir et économique à l’usage (environ cinq fois moins cher que les véhicules apportant le même service actuellement). L’homologation du véhicule a été soutenue par l’ADEME.

Ces dispositifs de type Fabriques, Appels à communs et XD ont vocation à créer un environnement inédit de collaboration entre industriels, start-up, associations et territoires pour faciliter l’émergence de nouveaux produits et services, basés notamment sur l’open source et l’effet de réseau. Face à la complexité des enjeux et à l’urgence de la transition écologique, aucun acteur ne peut traiter seul de manière satisfaisante l’intégralité des questionnements. À travers la production de communs, des acteurs confrontés aux mêmes problématiques sont encouragés à mutualiser les moyens et les idées, pour développer plus rapidement, et à moindre coût, des solutions plus performantes que si chacun s’y attelait individuellement. Les expérimentations actuellement menées et leurs évaluations permettront de préciser à quelles conditions, dans quels contextes et pour quels usages ces dispositifs sont les plus appropriés pour amplifier la transition écologique.