La parole à

L’utilisation des dispositifs d’enquête pour l’action publique

Éric Pautard, sociologue au Commissariat général au développement durable et Hélène Clot, directrice stratégie, innovation et relations citoyennes à Grenoble-Alpes Métropole, nous parlent de leurs dispositifs d’enquête inspirés et complémentaires du baromètre de l’ADEME.


Après avoir travaillé une dizaine d’années dans l’évaluation des politiques publiques, notamment dans la politique de la ville, elle est aujourd’hui responsable d’une direction qui articule ces fonctions d’aide à la décision avec la participation citoyenne et la relation aux usagers, à Grenoble Alpes Métropole.

Éric Pautard est sociologue au CGDD. Depuis 20 ans, il travaille sur les questions environnementales et énergétiques. Au sein du service statistiques du ministère de la Transition écologique, il coordonne les enquêtes consacrées à l’appropriation sociale des enjeux environnementaux.

Hélène Clot, pouvez-vous nous parler de votre dispositif ?
Hélène Clot

Nous avons ressenti le besoin de compléter notre dispositif d’observation classique qui s’appuie sur des statistiques publiques et des données administratives, par la mise en place d’un baromètre, parce que nous avions tout un pan assez aveugle sur les connaissances et représentations des habitants de la métropole grenobloise sur le climat et nos actions. Nous avons été très intéressés par les résultats de votre enquête, et nous nous en sommes inspirés. Notre dispositif d’enquête, le baromètre des transitions, a démarré il y a 3 ans dans le cadre du programme Capitale verte de l’Europe. La première grosse enquête date de 2022, nous avons construit un questionnaire « pratiques écologiques » passé à un panel d’environ 700 répondants avec Grenoble École de Management, en particulier avec la chercheuse Fiona Ottaviani avec qui nous travaillons depuis longtemps sur la mesure du bien-être. L’idée est de combiner des questions de connaissances et de perceptions avec des questions les plus descriptives possible sur les pratiques écologiques et enfin sur la propension à changer. Nous faisons aussi des focus sectoriels sur l’eau, la consommation et les déchets, et dernièrement sur les questions d’inégalités socio-environnementales.

 

Et vous, Éric Pautard, quel dispositif d’enquête animez-vous au Commissariat général au développement durable (CGDD) ?
Éric Pautard

Au service de la donnée et des études statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD), nous sommes les héritiers des enquêtes de l’Institut français de l’environnement (IFEN) lancées dès le milieu des années 1990, qui sont historiquement plutôt centrées sur l’appropriation des enjeux environnementaux au sens large. Nous avons commencé à investir la question du changement climatique à partir du milieu des années 2000, c’est pourquoi nous avons toujours suivi avec énormément d’intérêt le baromètre de l’ADEME. Il est rare d’avoir une enquête d’aussi long terme et de pouvoir se reposer dessus. Comme nous nous appuyons sur les travaux de l’ADEME, nous investissons moins le sujet climat. Nous traitons des enjeux environnementaux plus largement. Nous avons eu un baromètre avec le CREDOC², depuis 2007 nous avons une enquête avec l’INSEE³ et nous venons de lancer une enquête avec Sciences Po Paris.

 

Ce baromètre permet de mieux comprendre l’acceptabilité des mesures et d’avoir une lecture plus nuancée de la société française.

Éric Pautard , sociologue au CGDD

Qu’est-ce qui vous a été le plus utile dans nos enquêtes, à l’un et l’autre ?
H.C.

Nous avons repris certaines des questions telles quelles, pour voir s’il y avait une spécificité du territoire par rapport aux réponses nationales. Les préoccupations ne sont par exemple pas dans le même ordre : chez nous, la pollution de l’air arrive en seconde position. Cette spécificité montre que la prise de conscience est bonne et que l’on peut donc communiquer sur les solutions (changement des chauffages au bois non performants, ZFE…), il y a un potentiel d’engagement, contrairement à d’autres sujets où l’on n’a pas encore le seuil de conscientisation ou de concernement et pour lesquels on devra donc avoir une communication plus amont. Autre point particulièrement instructif, ce sont les conditions sous lesquelles les gens accepteraient de changer : comme dans l’enquête nationale, la justice sociale et le partage équitable des contraintes ressortent beaucoup. Le climatoscepticisme exprimé dans l’enquête nationale est un point qui nous fait réfléchir. Le changement climatique n’est plus dans le futur : nous vivons déjà des inondations, des canicules, etc., mais plutôt que générer de la surmobilisation, cela engendre une démobilisation ou une maladaptation. Ce fossé entre la connaissance et l’action nous amène à réduire le temps dédié aux explications des causes du changement et à mettre en avant les solutions, les parcours usagers et leurs bénéfices.

É.P.

Ce baromètre montre que nous avons tendance à penser que l’opinion n’évolue pas alors que si. Le climat est devenu un enjeu et le baromètre le montre assez bien. Cela permet de mesurer le chemin parcouru. Nous sommes très intéressés par ce baromètre, par sa longévité et par ses focus, qui permettent de mieux comprendre les capacités des gens à agir et l’acceptabilité des mesures. Cela nous permet de mieux saisir où en sont la population, les jeunes, les parlementaires et les chefs d’entreprises sur ces sujets, pour construire des politiques publiques adaptées et ajuster la communication. Cela nous permet d’avoir une lecture plus nuancée de la société française.

Ces enquêtes nous aident à comprendre les motivations, représentations et marges de manoeuvre des individus par catégories.

Hélène Clot , Responsable chez Grenoble-Alpes Métropole

Comment ces données sont-elles utilisées pour aider à l’action publique ?
H.C.

Ces enquêtes et retours de citoyens sont précieux car aujourd’hui, ils font partie intégrante de la fabrique des politiques publiques qui ne sont plus envisagées sans prendre en considération non seulement à qui elles s’adressent, mais également comment elles sont conçues. Nous sommes en train de mettre en place une zone à faible émission (ZFE). Les enquêtes ont été indispensables pour concevoir et ajuster le dispositif d’accompagnement. Par exemple, nous venons de conduire une évaluation et nous nous rendons compte que la ZFE reste très peu connue et est perçue comme nécessaire mais inéquitable par la plupart des gens, quel que soit leur niveau de motorisation. Le lien avec la qualité de l’air est très peu fait et le clivage entre les pour et les contre se joue essentiellement sur la place de la voiture en ville. Ce type de retour nous aide à réfléchir et à prioriser, à revoir le dispositif sur les critères d’attribution, la façon de la présenter, etc. Je dirais donc globalement que ces enquêtes nous aident à comprendre les motivations, représentations et marges de manoeuvre des individus par catégories. La classification selon l’âge, la CSP et le lieu de résidence nous invite à affiner nos dispositifs et nos messages, et à prioriser nos cibles d’intervention.

É.P.

Ces enquêtes nous permettent d’alimenter le débat public avec des données de référence. Par exemple, nous sommes en charge de réaliser tous les 4 ans un rapport complet sur l’état de l’environnement dans le pays, qui est une obligation internationale que la France a prise dans le cadre de la Convention d’Aarhus. Nous considérons que l’information en matière d’environnement est un droit et que celle-ci doit être neutre, objective et sourcée ; nous nous appuyons donc sur les statistiques et utilisons le baromètre de l’ADEME pour parler des enjeux du climat. L’expertise ministérielle sur ces sujets est aussi très demandée par les collectivités locales, les acteurs de l’éducation à l’environnement, etc. Ce que nous avons aussi vu apparaître, c’est l’importance que les gens donnent aux risques provoqués par les phénomènes extrêmes. Le baromètre montre bien qu’ils ont compris le lien entre dérèglement climatique et catastrophes naturelles. C’est pourquoi nous devons travailler sur l’adaptation.

2. Baromètre sur la sensibilité environnementale dans le dispositif d’enquête conditions de vie du CRÉDOC
3. Baromètre avec l’INSEE : pratiques environnementales des ménages