À force de l’entendre, on pourrait finir par y croire. Or, une récente étude de l’ADEME vient de montrer que ce n’était pas forcément le cas, en s’appuyant sur les retours d’expérience de 17 initiatives. L’objectif était de repérer des indicateurs de bien-vivre liés à la sobriété. Quand les politiques environnementales et celles portant sur la qualité de vie sont pensées conjointement, il peut même y avoir des bénéfices croisés. Cela demande de changer certaines de nos pratiques.
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Le PIB ne fait plus le bien-vivre
À l’époque des Trente Glorieuses, l’expansion économique et la consommation ont pu être associées au bien-vivre. C’était une époque de progrès matériel. L’électroménager a facilité la vie des femmes, et l’automobile a permis d’aller plus loin. À partir des années 1970, on observe en revanche un décrochage entre le sentiment d’être heureux et la croissance du PIB. Certes, un minimum de ressources est requis pour répondre à nos besoins essentiels. Mais des démarches comme la mesure du Bonheur national brut (BNB), initiée au Bhoutan, puis reprise dans d’autres régions du monde, à la Réunion, par exemple, montrent que le bien-vivre repose aussi sur des composantes immatérielles : la santé, la protection sociale, les relations sociales, l’accès à la nature…
Le bien-vivre n’est pas dans le SUV
Les publicités continuent de nous faire croire que nous serons plus heureux en achetant tel ou tel produit, et que nous aurons gagné un statut social en ayant un SUV ou en prenant l’avion. Or, c’est une question de récits. La société doit aujourd’hui partager de nouvelles représentations et normes sociales, qui donnent envie d’aller vers des modes de vie plus sobres. Il y a des gens qui vont très bien en choisissant de ne pas avoir de voiture et de ne pas manger de viande. Au lieu de répondre à leur besoin d’identité et de statut via la consommation, ils se réalisent autrement, par exemple en ayant des engagements associatifs ou au sein de leurs collectivités.
Précaire, ou sobre ?
« Au-delà d’un seuil de décence, nous ne pouvons plus réduire la satisfaction des besoins à la seule notion d’argent, souligne Marianne Bloquel, chargée d’études et recherches sur les pratiques de sobriété à l’ADEME. Selon la représentation que chacun se fait du bien-vivre, une même situation peut être ressentie positivement par les uns, et négativement par d’autres. » Par exemple, le taux de pauvreté peut amener à qualifier comme précaires des personnes qui vivent une situation de sobriété choisie qui leur convient. Inversement, des ménages, qui ne sont pas considérés comme pauvres par les indicateurs socio-économiques classiques, peuvent être en situation de mal-être. S’ils n’ont pas choisi de vivre sans voiture, mais en sont empêchés faute de moyens, ils peuvent ressentir une privation, voire un déclassement.
La sobriété peut contribuer au bien-vivre
L’actualité le montre : le changement climatique est là, et les dégâts économiques et matériels causés par les inondations, les feux ou la sécheresse sont bien plus punitifs que les efforts demandés par la transition écologique. La sobriété, parce qu’elle vise à limiter le réchauffement, doit éviter l’emballement des catastrophes. Par ailleurs, elle améliore plusieurs des composantes du bien-vivre, telles que la santé ou l’accès à des espaces naturels. En atténuant les crises environnementales, dont les plus pauvres sont souvent les premières victimes, la sobriété contribue à une justice sociale plus importante. En nous poussant à trouver des solutions collectives (économies du partage et de la fonctionnalité, etc.), elle contribue à intensifier les liens sociaux. L’amélioration de la qualité de l’air et de l’eau réduit les risques de maladies. « La possibilité d’adopter des pratiques de sobriété devient même un moyen de bien vivre pour qui cherche à être cohérent avec ses valeurs », ajoute Marianne Bloquel.
Le bien-vivre favorise la transition écologique
Imposées sans explication ou sans tenir compte des difficultés des habitants, les mesures de sobriété peuvent être mal perçues. Pour être comprises et acceptées, elles doivent intégrer des indicateurs de bien-vivre. Par exemple, l’indice de situation sociale développé par l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), en Belgique, fait le lien entre santé et mobilités douces : le vélo, en plus d’être bon pour la transition écologique, peut améliorer la santé des usagers en les faisant bouger et en limitant les pollutions. Mais le changement de comportement est favorisé par la construction d’une piste cyclable bien séparée de la route, qui rend les trajets plus sécurisés, avec un revêtement clair, pour plus de fraîcheur en été, ainsi que par la mise en place de garages à vélo dans les entreprises, de formations pour apprendre à faire du vélo, de vélos en libre-service, etc.
Sortir des silos
Plutôt que d’intégrer après coup des composantes environnementales à une démarche sociale, ou inversement, l’idéal serait de travailler sur les deux dimensions conjointement. En favorisant l’accès à la rénovation thermique des plus précaires, on lutte à la fois contre le changement climatique et les injustices sociales. En développant des transports adaptés pour les personnes âgées dans les milieux ruraux, on réduit en même temps leur isolement et le recours à la voiture individuelle. En incitant à réparer les objets plutôt qu’à en acheter de nouveaux, on favorise l’emploi local. La ville d’Amsterdam s’est ainsi appuyée sur la théorie du « donut » pour définir sa stratégie 100 % circulaire pour 2050 : elle a fixé un plancher d’acceptation sociale et un plafond de soutenabilité environnementale entre lesquels inscrire ses mesures. À l’ADEME, de plus en plus de programmes sont également pensés en tenant compte de ces deux dimensions : promotion d’un urbanisme favorable à la santé (UFS), campagne de sensibilisation sur les cobénéfices sanitaires de la marche, etc.
Quelles sont les dimensions clés du bien-vivre pour la sobriété ?
C’est à cette question que tente de répondre le rapport « Indicateurs de bien-vivre et cobénéfices de la sobriété », publié en octobre. Les auteurs se sont appuyés sur 17 initiatives de construction d’indicateurs de bien-vivre, en France et à l’étranger. « Cela nous a ouvert des pistes, mais nous devons encore affiner nos connaissances sur ce qui fait le bien-vivre en relation avec les limites de la planète », indique Marianne Bloquel, qui a piloté l’étude.