Réparer, louer, partager… une autre manière de consommer est possible. Mais comment changer nos habitudes ? Quels sont les freins actuels ? Entretien avec Pierre Galio, Chef du Service Consommation Responsable à l’ADEME.
Pierre, pourquoi est-il crucial de prolonger la durée de vie des produits ?
Pierre Galio La raison fondamentale est que la majorité des impacts environnementaux des produits se concentre dans la phase de fabrication. C’est à ce moment-là que l’on consomme le plus de matières premières et d’énergie, et que l’on génère le plus d’émissions de gaz à effet de serre. En prolongeant la durée de vie des produits, nous amortissons plus longuement ces impacts et nous repoussons la consommation de ressources et l’énergie nécessaires pour fabriquer du neuf. C’est là tout l’intérêt des pratiques de réemploi et de réparation.
Où en sommes-nous, aujourd'hui ? Qu’est-ce qui freine les Français dans l’adoption de ces pratiques plus durables ?
P.G. Le coût de la réparation reste un obstacle par rapport à l’achat neuf. Quant au réemploi, l’obstacle est plutôt d’ordre psychologique. Pour beaucoup de gens, un produit de seconde main est perçu comme inférieur, voire moins hygiénique, surtout lorsqu’il s’agit de jouets pour enfants. Il y a aussi des représentations culturelles fortes, notamment lors des occasions spéciales comme les cadeaux de Noël, où le neuf reste associé à la valeur et à la qualité. Changer ces perceptions est un défi. Il est crucial de convaincre que les produits réparés ou reconditionnés peuvent être de qualité équivalente aux neufs et que l’on respecte tout autant le récepteur du cadeau en offrant de la seconde main.
Justement, quelles initiatives sont mises en place pour encourager la réparation et le réemploi ?
P. G. L’État a mis en place le bonus réparation. L’objectif est de rendre la réparation économiquement attrayante par rapport à l’achat neuf et d’encourager les consommateurs à réparer et conserver leurs équipements plus longtemps. Depuis 2021, un indice de réparabilité est obligatoire pour de nombreux produits, avec une note sur 10 informant le consommateur sur le caractère réparable de son achat. Cet indice deviendra l’indice de durabilité en 2025. Le texte européen Right to repair introduit aussi des droits à la réparation pour les consommateurs dans le cadre de la garantie légale. Enfin, l’ADEME propose une plateforme en ligne pour réparer ou revendre plus facilement ses objets près de chez soi, intitulée Longue vie aux objets .
Et du côté des entreprises ?
P. G. Certaines entreprises s’orientent vers des modèles qui incluent la réparation et le reconditionnement, notamment dans le secteur des équipements électroniques, du textile ou du bricolage. Cependant, l’intégration de ces pratiques n’est pour l’instant qu’une réponse aux évolutions réglementaires ou aux préoccupations des consommateurs. La majorité reste attachée à un modèle économique basé sur la vente en volume. Il y a donc un enjeu majeur de bascule du modèle économique, notamment via l’économie de la fonctionnalité.
Dans ce cadre, quels sont les autres leviers envisageables pour changer nos habitudes de consommation ?
P. G. La sobriété est essentielle. Il s’agit de se demander si un achat est réellement nécessaire, de différencier « besoin réel » et « pression marketing ». Adopter cette approche permet de mieux gérer son budget et d’éviter le gaspillage. Elle encourage une consommation réfléchie, qui répond à un besoin réel et favorise l’utilisation de solutions alternatives, comme la location ou le partage. Cela permet non seulement de maîtriser ses dépenses, mais aussi de libérer de l’espace et du temps, tout en reprenant le contrôle de sa consommation face aux pressions publicitaires.
Les campagnes de sensibilisation ont-elles un impact ?
P. G. Les actions menées par l’État, les collectivités et les associations contribuent à la diffusion de messages mais c’est souvent l’effet de mimétisme social qui entraîne le changement : on suit les pratiques de son entourage ou des influenceurs à la mode sur les réseaux sociaux. On s’adapte aussi à l’inflation, à son niveau de revenu… beaucoup de facteurs déterminent nos habitudes de consommation, mais la quête de « sens » peut aussi jouer pour beaucoup.
Vous lancez prochainement la campagne « Épargnons nos ressources ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
P. G. Cette campagne vise à encourager les consommateurs à reprendre en main leur consommation de manière positive. Elle met l’accent sur une consommation qui reste un plaisir, mais qui doit être utile et juste, respectueuse des enjeux environnementaux et sociaux. Notre message est le suivant : adopter une consommation plus responsable permet non seulement de répondre aux enjeux environnementaux et budgétaires, mais aussi de soutenir des emplois locaux non délocalisables, notamment dans la réparation et le réemploi. La consommation responsable crée de la valeur et a un impact positif sur toute la société.