The Shift Project, l’association négaWatt et l’ADEME proposent chacun des scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais, pour un non initié, il est difficile de les comparer. Les trois organismes ont donc créé un site, Comprendre2050.fr, qui rend lisible la complexité et la pluralité de leurs points de vue. Explication avec Pauline Denis, chargée de projet Prospective chez The Shift Project.
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Beaucoup de journalistes exprimaient le besoin de comprendre la dizaine de scénarios prospectifs publiés ces dernières années autour de la transition écologique. Ils n’ont pas forcément de formation scientifique et, surtout, ils n’ont pas le temps de lire tous les rapports techniques, de les assimiler et d’en comparer les résultats. Il leur fallait un outil qui fournisse rapidement des réponses à leurs questions, qui leur explique notamment pourquoi, sur un même thème, les rapports de l’ADEME, négaWatt et The ShiftProject proposent des visions différentes du futur, et pourquoi RTE (Réseau de Transport d’Electricité français) en propose d’autres encore. Nous avons donc décidé de tous nous mettre autour d’une table pour clarifier et rendre lisibles nos convergences comme nos divergences.
Nous avons intégré les plus de 5 000 pages de scénarios et, à partir de là, nous avons rédigé 150 décryptages. Nous avons vulgarisé tous les thèmes clés de la transition écologique (mobilité, biomasse, etc.), ainsi que les impacts environnementaux, économiques et sociaux des différents scénarios. Quel que soit le sujet, la représentativité de toutes les visions est assurée par la validation d’un comité d’orientation, regroupant des représentants de The Shift Project, de négaWatt et de l’ADEME, mais aussi du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et des journalistes.
En réalité, il y a beaucoup plus de choses sur lesquelles nous convergeons. Ainsi, nous sommes tous d’accord – c’est même notre point de départ – sur la nécessité d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 et sur le fait que cela ne pourra se faire sans réduire la demande énergétique. La seule décarbonation des énergies ne suffira pas. Il faut aussi questionner leurs usages (c’est-à-dire engager une véritable démarche de sobriété) et améliorer l’efficacité énergétique de tous les équipements, afin de pouvoir répondre à cette hausse des besoins avec des énergies décarbonées, disponibles en quantité limitée. Quasiment tous nos scénarios prévoient une augmentation de la consommation d’électricité, du fait de l’abandon des énergies fossiles, et jugent indispensable de développer les énergies renouvelables pour y répondre, quelles que soient les décisions prises vis-à-vis du nucléaire. Ils montrent par ailleurs que la production d’hydrogène à partir d’électricité est nécessaire, a minima pour remplacer les intrants fossiles dans la production d’engrais ou d’acier.
Au final, les différences entre nos scénarios ne sont pas réellement des divergences. Elles s’expliquent surtout par le fait d’avoir posé des hypothèses différentes sur l’évolution des modes de vie, des politiques énergétiques ou des technologies.
Aucune des visions proposées du futur ne sont des prédictions. Il s’agit d’hypothèses, de paris sur l’avenir. On se demande ce qui arriverait si on choisissait d’aller vers beaucoup de nucléaire, du 100 % énergies renouvelables ou un mix plus partagé. Ou encore ce qui arriverait si la société évoluait vers plus de sobriété, ou optait pour le techno-solutionnisme. Nous y racontons ce qu’il se passe pour les filières économiques, mais aussi pour les ménages, pour l’emploi, etc., avec un maximum de réalisme et de crédibilité scientifique. Et, pour que nos décryptages soient accessibles au plus grand nombre, y compris à des non experts, nous les avons enrichis de définitions, de graphiques, de chiffres clés et d’ordres de grandeur.
Nous incitons les journalistes à utiliser le site pour contextualiser leurs articles. Mais la plateforme s’adresse à un public plus large : des enseignants, par exemple, mais aussi des acteurs de l’investissement responsable ou des législateurs. Il contribue à ce que chacun puisse se faire une idée, à éclairer les débats et les décisions publiques.
Nous sommes en train de lancer un projet à l’échelle européenne, avec les principaux prospectivistes des différents pays du continent. Il s’agit d’une réflexion collective sur la manière d’améliorer nos travaux. Et, dans ce cadre, on se rend compte que la France est plutôt en avance sur le fait de faire des scénarios physiques, qui ne se concentrent pas seulement sur la dimension énergie/climat ou sur les conséquences économiques de la transition écologique, mais s’intéressent aussi à d’autres paramètres : impact sur les sols, la biodiversité, la santé… En parler avec nos confrères européens nous a confortés dans notre ambition d’aller plus loin encore, notamment sur l’impact de la transition écologique sur les modes de vie.
« Un scénario, ce n’est que des conditionnels »
« Les scénarios servent à imaginer ce qui peut se passer plus tard. Mais ce ne sont pas des prévisions. L’avenir sera ce qu’il sera, mais il ne correspondra à aucune des trajectoires présentées. »
Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, lors du lancement du site.