Depuis plus de dix ans, Théo Le Vigoureux, plus connu sous le nom de Fakear, trace sa route dans la musique électro. Mais pas seulement. Engagé sur les questions écologiques et sociales, il milite pour une profonde transformation de son milieu avec des propositions concrètes pour accélérer cette transition.
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C’est quelque chose que j’ai toujours eu en moi. Mes parents et mes grands-parents défendaient déjà ces valeurs-là. Ça fait partie de mon éducation, mais je ne savais pas trop quoi en faire au début de ma carrière. À l’époque, dans l’électro, ce n’était pas un sujet très développé. Et puis je ne me sentais pas légitime. Je n’étais pas prêt à en parler publiquement. Il m’a fallu du temps pour me sentir à l’aise et pour construire un discours qui tienne la route. Le déclic, ça a été le confinement. L’urgence climatique, la situation sociale… Tout ça m’a rattrapé. Je me suis dit : « OK, maintenant, il faut y aller ». Ma rencontre avec Camille Etienne a aussi été un déclencheur. Sa façon de s’engager est inspirante et surtout très spontanée. Elle m’appelle 48h avant une action et j’y vais. Pas besoin de planifier. On se bouge, on agit, point. Ça m’a beaucoup aidé à désacraliser le côté « engagement politique ». On peut agir avec nos tripes et notre énergie ; c’est déjà énorme.
D’un côté un discours, de l’autre des actes. Je ne suis pas un homme politique, donc je fais ce que je peux et je me concentre sur mon milieu, celui de la musique. Je vous donne un exemple, en ce moment on travaille sur un merchandising plus propre avec mon équipe : sourcing en France, vêtements en seconde main… Ce sont des actions faciles à mettre en place. Et je pense que c’est ça, la clé : faire bien ce qu’on sait faire, plutôt que mal faire plein de choses.
Sur le volet plus technique, on peut faire la différence en améliorant les conditions de production et la logistique. C’est vraiment là que ça se joue. Par exemple, je milite pour la suppression de la clause d’exclusivité territoriale. Il s’agit d’un accord selon lequel un artiste programmé dans une zone géographique ne peut pas participer à d’autres événements sur le territoire pendant une période donnée. Cette clause vise à attirer un maximum de visiteurs au sein du festival. La durée et le rayon de l’exclusivité ainsi que les événements auxquels l’artiste ne peut pas participer sont négociés et définis dans le contrat. Pour moi, renoncer à cette clause serait un vrai pas en avant. Parce que ça éviterait à des artistes de venir de l’autre bout du monde pour un seul concert. Et le public n’aurait pas à prendre l’avion juste pour voir un show.
Ça, pour moi, c’est bien plus impactant que des gobelets réutilisables. Au lieu d’obliger des festivaliers à se déplacer en masse, c’est à l’artiste de multiplier les dates pour aller vers son public. Si on pousse la logique jusqu’au bout, il faudrait même pouvoir refuser certaines dates, qu’elles soient rentables ou pas, lorsqu’elles ne respectent pas de simples standards écologiques. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, notamment pour les artistes émergents.
Dans l’underground, oui. Le monde du club alternatif est plus réactif et plus libre. Je les trouve à l’avant-garde à ce niveau-là. La musique électro est composée d’artistes en solo, de petits crews, donc ça reste malléable. Les gros festivals sont encore à la traîne. Mais dès qu’on monte en échelle, ça se complique.
Les labels, un peu, mais leur marge de manœuvre est limitée, surtout avec le streaming. Ils peuvent soutenir, donner des outils, mais ce ne sont pas eux qui décident. Les producteurs de spectacles, en revanche, peuvent faire la différence. Ce sont eux qui négocient les clauses et qui peuvent essayer de faire évoluer la situation. Mon producteur, par exemple, est super impliqué. C’est lui qui bataille sur les contrats, souvent en mon nom. Et oui, parfois, ça pique un peu, mais c’est nécessaire.
Bien sûr. Mais je ne veux pas non plus tomber dans le blâme facile. Dans notre métier, quoi qu’on fasse, on pollue. C’est structurel. Donc pour moi, le greenwashing, c’est quand tu te contentes du discours sans rien changer derrière. Mais l’exemplarité pure, c’est aussi compliqué. Moi, je préfère les artistes qui avancent, qui testent et qui se questionnent. Ce n’est pas une compétition de pureté.
Foncez pour vous faire une place dans le milieu et gardez vos valeurs bien au chaud, dans un coin de la tête. Parce qu’au début, vous allez devoir faire des compromis. Et c’est OK, il ne faut pas culpabiliser. Mais le jour où vous commencerez à avoir du poids, utilisez-le car c’est là que ça compte. On a besoin d’artistes qui ont une vraie voix et qui sont écoutés pour faire bouger les lignes. Et pour ça, il faut être prêt à encaisser un peu au début.
On ne parlerait plus « d’industrie musicale », parce que c’est pour moi un non-sens. L’industrie, c’est la logique du profit. L’art, c’est l’inverse. Dans mon monde parfait, les festivals mettraient en avant les artistes locaux, plafonneraient leur jauge et maintiendraient un équilibre économique. Il n’y aurait plus de gros noms qui bloquent toute la programmation et qui conduisent le public à faire 800 km en avion. Et ce serait super de renforcer le soutien à la culture, et notamment aux petits festivals, sinon on risque de perdre un pan entier de notre diversité artistique.