OpenStreetMap, Wikipédia… Vous connaissez probablement ces outils. Mais savez-vous comment naissent ces « communs » ? Qui les fait vivre au quotidien ? Nicolas Berthelot, responsable de la Fabrique des géocommuns à l’IGN, explique comment ces ressources partagées peuvent devenir de puissants moteurs pour la transition écologique – et pourquoi l’ADEME et ses partenaires les soutiennent via un appel à projets désormais incontournable.
Partager
Un commun désigne avant tout une ressource, qu’elle soit naturelle – comme une forêt – ou numérique, telle qu’une base de données ou un logiciel. Cette ressource est utilisée collectivement et souvent en libre accès. Les exemples les plus connus sont OpenStreetMap et Wikipédia. Mais ce qui distingue un commun d’une simple ressource ouverte, c’est l’existence d’une communauté active. Celle-ci est composée d’acteurs divers (collectivités, entreprises, citoyens, chercheurs…) qui contribuent à la ressource, la maintiennent et la font évoluer. Enfin, les communs fonctionnent sur la base de règles démocratiques et transparentes. Ces règles déterminent qui peut faire quoi avec la ressource, et visent à en assurer la pérennité. Par exemple, OpenStreetMap oblige tout utilisateur à partager les modifications apportées aux données. Cela empêche la privatisation de ressources construites collectivement. Ces trois piliers — ressource, communauté, gouvernance partagée — définissent un commun.
Oui, les communs existent à l’échelle mondiale. Historiquement anciens, leur résurrection contemporaine doit beaucoup au numérique. Les communs numériques sont plus faciles à mettre en place, car les ressources informationnelles (code, données, documentation) sont peu coûteuses à partager. Internet et le web, conçus par des chercheurs dans une logique de partage, ont naturellement favorisé cette culture. En Europe, la logique des communs est aussi une réponse à la difficulté à faire émerger de grands acteurs privés du numérique. Les États européens misent donc sur des infrastructures ouvertes, interopérables et collectivement entretenues (comme des alternatives souveraines à Google Docs ou Excel).
Dès qu’on parle d’optimiser les mobilités, de mieux gérer les ressources, d’identifier les espaces de fraîcheur ou les potentiels d’aménagement, on touche à des données géographiques. Et la donnée, dans un commun, est ouverte, évolutive, accessible à tous. Cela permet à des acteurs très différents – collectivités, chercheurs, start-ups – de travailler à partir d’une même base. Aujourd’hui, OpenStreetMap est utilisé dans des outils de simulation de mobilité comme AequilibraE, il aide à planifier des déplacements moins carbonés. Autre cas : la cartographie des haies agricoles. En harmonisant les données remontées par les agriculteurs, on crée une base commune utile à la fois aux financeurs publics, aux gestionnaires de biodiversité, et aux chercheurs. C’est le travail que nous réalisons actuellement à l’IGN.
C’est un appel à projets ouvert à un large éventail d’acteurs : associations, collectivités, entreprises, coopératives… L’objectif est de soutenir des initiatives qui produisent des ressources libres – logiciels, données, standards – autour des enjeux de la transition écologique : alimentation, mobilités, recyclage… Mais la clé, c’est la logique de commun : ouvrir la ressource, penser la gouvernance et inviter à la contribution.
L’édition actuelle renforce les liens entre acteurs du numérique et de l’environnement. Elle met aussi davantage l’accent sur les usages territoriaux et la capacité des projets à être répliqués ailleurs. À l’IGN, on intervient pour soutenir les projets qui manipulent de la donnée géographique. On les aide à identifier les meilleures sources, à structurer leurs jeux de données, ou encore à ouvrir leurs contributions.
Nos missions sont complémentaires. L’ADEME est un acteur moteur de la transition écologique, nous sommes les experts de la cartographie et de l’information géographique. Depuis la création de notre incubateur, la Fabrique des géocommuns, nous explorons comment produire ces ressources à plusieurs. L’appel à communs nous permet d’aller à la rencontre de porteurs de projets qui enrichissent aussi notre vision de la donnée territoriale.
On retrouve trois grandes formes : les logiciels libres, les bases de données collaboratives, et les schémas de données (par exemple, les standards pour décrire des arbres en ville). Tous ces formats permettent à différents acteurs de mutualiser leurs efforts. La richesse vient de la diversité des usages possibles à partir d’une même ressource.
Le projet Panoramax est un bon exemple. C’est une alternative libre à Google Street View, née d’un besoin exprimé par la communauté OpenStreetMap. Grâce à des caméras 360° posées sur des véhicules, des collectivités, des associations ou des citoyens capturent des vues terrain qu’ils partagent sur un serveur commun. Aujourd’hui, plus de 60 millions d’images sont en ligne et des pays comme la Belgique, l’Argentine ou les Philippines s’y intéressent. C’est un outil précieux pour observer, planifier et intervenir sur le territoire.
Le manque de financement est le principal obstacle. Les projets sont souvent portés par des structures modestes. Or, même dans une logique ouverte, produire, documenter, maintenir une ressource demande du temps et de l’argent. C’est pourquoi l’appel à communs de l’ADEME est précieux : il donne de la visibilité et un soutien concret à des dynamiques utiles mais peu connues.
On est clairement dans une phase de croissance. Il y a un vrai mouvement en Europe, notamment pour retrouver une autonomie numérique. De nouveaux outils émergent, comme Docs ou Grist, qui sont les alternatives libres à Google Docs et Sheets. Le « libre » est un outil de souveraineté. On sent que l’État, les collectivités, les chercheurs, les entrepreneurs veulent des ressources qu’ils contrôlent, qu’ils peuvent améliorer ensemble. Les communs répondent exactement à ce besoin.
Je pense à Geovelo. C’est une entreprise qui cartographie les itinéraires cyclables sur OpenStreetMap et développe son modèle économique en vendant des analyses ou des prestations aux collectivités. Géovelo montre qu’on peut allier contribution à un commun et activité rentable. C’est une belle preuve que ce modèle peut fonctionner et qu’il a de l’avenir.