En 2022, à la suite d’une proposition de loi de Sylvain Waserman, président-directeur de l’ADEME, alors député, le dispositif général de protection des lanceurs d’alerte a été renforcé. Deux ans plus tard, ils sont beaucoup plus nombreux à oser signaler des délits ou préjudices, y compris environnementaux. Explications avec Cécile Barrois de Sarigny, adjointe à la Défenseure des droits, en charge de leur accompagnement.
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Lanceur d’alerte n’est pas qu’une expression. C’est un statut, encadré par la loi, qui garantit l’accès à un ensemble de mécanismes de protection. Pour être reconnu comme tel, il faut être une personne physique qui signale ou divulgue, de bonne foi, et sans contrepartie financière directe, un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. Il faut aussi suivre un certain nombre de formalités, qui ne sont pas aussi contraignantes qu’elles en ont l’air (lire encadré ci-après).
Avant 2022, il y avait néanmoins un obstacle difficile à franchir pour les salariés souhaitant alerter sur des faits illégaux commis dans la sphère professionnelle : ils devaient saisir en premier lieu leur employeur. Même si la loi interdit depuis plus de 40 ans aux entreprises de licencier quelqu’un pour ce motif, la pratique peut perdurer. Des cas de harcèlements peuvent aussi survenir, tout comme le lancement de procédures baillons (plaintes, etc.). C’est cette obligation qu’à supprimée la loi Waserman du 21 mars 2022.
Depuis cette loi, le lanceur d’alerte peut s’adresser directement à l’une des 41 autorités externes désignées comme compétentes pour recueillir les signalements. Le texte a aussi renforcé les garanties de protection contre les représailles. Il est interdit à quiconque de prendre des mesures à l’encontre d’un lanceur d’alerte en lien avec son signalement, et ceux qui exercent de telles pressions encourent des sanctions financières. Par ailleurs, une aide à la réinsertion professionnelle peut être proposée.
Autorité indépendante créée en 2011 pour aider les citoyens à défendre leurs droits et libertés quand ceux-ci ne sont pas respectés, la Défenseure des Droits est le pivot du dispositif de protection des lanceurs d’alerte. Elle peut notamment, si l’un d’eux craint des représailles, certifier par un avis officiel qu’il remplit bien les conditions prévues par la loi pour bénéficier d’une protection. Elle peut aussi l’aider à contester des mesures de représailles, ou encore appuyer sa défense face à un tribunal administratif ou à un juge des Prud’hommes en cas de plainte.
Nous ne recevons pas toutes les alertes. Dans les entreprises qui ont mis en place des procédures solides pour faciliter les saisines et protéger les lanceurs d’alerte, le problème est traité en interne. Les autorités compétentes, comme l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) ou l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), peuvent être saisies directement sans passer par la Défenseure des droits. Nous recevons des demandes d’orientation de personnes qui ne savent pas vers quelle autorité se tourner pour alerter et nous recevons surtout les demandes d’accompagnement de lanceurs d’alerte craignant ou subissant des représailles. Mais, rien qu’à ce niveau-là, nous voyons une nette montée en puissance du dispositif : alors qu’il n’y avait eu que 89 sollicitations de ce type en 2021, nous en avons reçu 128 en 2022, 306 en 2023 puis près de 400 cette année. Certaines autorités compétentes pour traiter les signalements, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ou l’Agence française anticorruption (AFA), sont déjà bien identifiées par les lanceurs d’alerte et constatent une hausse similaire.
Comme dit précédemment, nous ne voyons pas passer tous les signalements. Mais, dans les dossiers de protection contre les représailles que nous traitons et qui portent sur des questions environnementales, les sujets sont très divers : pollutions de l’eau ou des sols, stockage ou dépôts d’amiante, mauvaise application de la réglementation en matière d’épandages aériens de pesticides… Les signalements peuvent concerner un risque professionnel (ex. : défaillance de masques de protection pour les ouvriers intervenant sur des sites amiantés), porter atteinte à tout un territoire (ex. : taux d’arsenic très supérieur à la normale dans un cours d’eau), ou menacer seulement quelques ménages (ex. : mésusage de produits phytosanitaires entraînant leur dispersion dans le voisinage).
Oui. Même s’il existe un dispositif de protection, il est très méconnu. La plupart des gens n’ont pas conscience de l’existence d’un cadre législatif. Certains pensent en premier lieu à s’adresser à la presse au lieu de saisir une autorité compétente. Ils ne peuvent alors pas être protégés des représailles, puisque la loi dispose que l’alerte ne doit pas être rendue publique, sauf – principalement – en cas de danger grave et imminent (face à des maltraitances dans un Ehpad, par exemple) ou si l’autorité externe compétente n’a rien fait dans les trois mois qui suivent la saisine.
Le public se fait une idée héroïque du lanceur d’alerte. Il s’agit pourtant, le plus souvent, de personnes ordinaires. Par ailleurs, cela aiderait si le dispositif de protection s’appliquait aussi aux associations. Celles-ci peuvent accompagner les lanceurs d’alerte, et faciliter les procédures. Comme les individus ne sont pas toujours prêts à s’engager, elles sont parfois contraintes d’agir seules, ce qui les expose aux représailles. En témoignent l’existence de procédures baillons à leur encontre. La Défenseure des droits recommande de faire évoluer la législation pour que les associations puissent bénéficier d’une protection en tant que lanceur d’alerte.
Comment signaler un délit, un crime ou une menace pour l’environnement ?
Afin de s’y retrouver dans les procédures à suivre pour lancer une alerte, le Défenseur des droits a publié le Guide du lanceur d’alerte. Celui-ci renseigne sur les droits et obligations des lanceurs d’alertes. On y trouve aussi la liste des 41 autorités compétentes vers lesquelles se tourner, en fonction de la thématique : l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)…