Les sols sont essentiels dans le cycle de l’eau : ils retiennent une partie des pluies, alimentent la végétation, filtrent les eaux souterraines… Autant de rôles qu’ils ne remplissent plus en cas d’artificialisation ou de pollution, et qui, une fois perdus, ne peuvent pas toujours être restaurés.
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En août, 80 des 96 départements de France métropolitaine ont été touchés par des alertes sécheresse et des restrictions d’eau. Dans plus de la moitié d’entre eux, même les prélèvements à des fins agricoles étaient interdits. C’était aussi le cas en 2022 et 2023. On ne peut donc plus parler de situation exceptionnelle. « Avec le changement climatique, la disponibilité de la ressource en eau se réduit, en été comme en hiver. Cela favorise les conflits d’usage car, à l’inverse, la demande augmente », explique Simon Ferrière, chef de projet Énergie et Climat chez France Stratégie, coauteur du rapport « L’eau en 2050 : graves tensions sur les écosystèmes et les usages », paru en juin 2025.
Vers plus de coopérations territoriales ?
Le manque de précipitations, associé à une plus grande évapotranspiration des plantes et des sols, conduit les agriculteurs à irriguer davantage. La réindustrialisation des territoires, souhaitable d’un point de vue de la décarbonation de l’économie, va s’accompagner de nouveaux prélèvements, tout comme la multiplication des data centers et le développement de la production d’hydrogène par électrolyse. Si rien n’est fait, les tensions d’usages vont s’aggraver.
Ce constat appelle à planifier dès aujourd’hui, et collectivement, la transformation de nos pratiques : à nous tourner vers l’agroécologie pour favoriser la rétention de l’eau dans les sols ; à végétaliser notre alimentation pour réduire les besoins en eau liés à la viande ; à mieux maîtriser nos consommations d’énergie pour ne pas avoir à construire trop de centrales de production ; à développer le recyclage des eaux usées… « Selon notre étude, même en prenant des mesures fortes, la consommation en eau va augmenter, surtout en été, ajoute Simon Ferrière. Mais pas autant que si l’on poursuit sur les tendances actuelles. Si tous les acteurs s’engagent à changer leurs pratiques, et coopèrent pour une meilleure gestion de l’eau, et si une solidarité s’installe pour que les territoires en aval ne soient pas pénalisés par d’importants prélèvements en amont, plus de besoins pourraient être comblés. Il y aurait moins de conflits. La situation hydrique pourrait même s’améliorer dans un quart des départements ! » À condition que la qualité des eaux ne se dégrade pas. Cela réduirait la disponibilité de cette ressource.
Qualité des sols et des eaux, même combat
« Nous n’avons pas étudié précisément la question de l’artificialisation des sols, précise Simon Ferrière. Mais il est clair que, si un sol est imperméabilisé, la pluie n’y pénètre plus. Elle ruisselle directement vers les cours d’eau, ou s’évapore, au lieu d’être filtrée et stockée dans la nappe phréatique, pour y constituer des réserves. » Quant à la pollution des sols, elle percole dans les eaux souterraines, qui peuvent alors devenir impropres à la consommation.
Quand l’ADEME intervient sur des sites industriels orphelins, elle traite la majorité de la pollution imprégnée dans les sols, puis dans la nappe. Mais « Cela peut avoir un coût démesuré. Si les contaminations sont profondes ou sous bâti, par exemple, d’autres solutions sont privilégiées, comme l’atténuation naturelle (dégradation, dilution…) ou les restrictions d’usage, explique Guillaume Masselot, coordinateur de ce type de chantiers à l’ADEME. Les moyens publics étant limités, nous ne pouvons agir que sur les nappes phréatiques considérées comme stratégiques, c’est-à-dire sur celles qui, par leur taille et leur situation, ont la capacité d’alimenter de grands bassins de population ou quand des risques sanitaires sont identifiés. Tout cela pour un résultat qui ne sera jamais parfait : il y aura toujours une pollution résiduelle ».
Nous savons traiter de nombreux polluants. Les techniques ne manquent pas : ajout de réactifs, stimulation de microorganismes, pompage/lavage… que l’on peut combiner en fonction du cocktail à détruire. Mais ces procédés ont un coût. Il est possible, par exemple, de piéger des PFAS avec du charbon actif, mais il en faut beaucoup : dès que celui-ci est chargé, il faut l’envoyer à l’incinération.
Innover dans le traitement de l’eau
Afin d’obtenir un jour de meilleurs résultats à moindre coût, et de faire face aux pollutions émergentes (microplastiques, PFAS, etc.), l’ADEME encourage la recherche de traitements innovants. Ainsi, tous les deux ans, elle lance l’appel à projets GESIPOL, visant une gestion intégrée des sites pollués, qui qui tient compte à la fois des sols et des nappes phréatiques. Parmi les lauréats 2023, le projet FADEAU consiste à développer de nouveaux matériaux à base de protéines de lait, coproduits de l’industrie laitière, en remplacement du charbon actif actuellement utilisé, pour extraire une large gamme de contaminants des eaux souterraines, à moindre coût.
sont consacrés à la protection des sols et des eaux souterraines en France en 2020.*
*Source : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
L’appel à projet Innov’Eau, lui, a été lancé en 2023, dans le cadre de France 2030. Doté de 100 millions d’euros, il vise à accompagner l’innovation dans la gestion et le traitement de l’eau. Parmi les lauréats, certains proposent des solutions permettant aux stations d’épuration de piéger une plus grande diversité de polluants. D’autres s’appliquent à mettre au point des procédés industriels plus sobres en eau, par exemple le développement par l’Union textile de Tourcoing Industries d’une nouvelle machine pour la teinturerie des fils sur bobine. D’autres encore ont pour objectif de prévenir les pollutions. C’est le cas du projet ATOLIX PFAS, qui cherche à dégrader les PFAS présents dans les lixiviats (liquides produits sous l’action conjuguée de l’eau de pluie et de la fermentation des déchets enfouis) des centres de stockage de déchets. Mais, là encore, « À partir du moment où il y a pollution, il sera toujours impossible de retrouver une eau « vierge » de toute contamination », insiste Guillaume Masselot. Le seul moyen de préserver la ressource reste d’éviter d’artificialiser et de polluer les espaces naturels.