Décryptage

“ Bien traité, le photovoltaïque offre au monde agricole de réelles opportunités”

L’ADEME vient de réaliser une étude approfondie pour améliorer l’évaluation des projets photovoltaïques sur les terrains agricoles, qui ont une part à prendre dans la transition énergétique. Elle livre un outil qui place au centre de la décision l’analyse des synergies entre l’installation photovoltaïque et le système agricole. Décryptage de Céline Mehl, coordinatrice solaire photovoltaïque à l’ADEME.


Pourquoi une étude aussi approfondie pour caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles ?
Céline Mehl

Pour atteindre les objectifs de notre Programmation pluriannuelle de l’énergie, nous devrions installer chaque année plus de 4 GW de capacité photovoltaïque. C’est quatre fois plus que ce que nous parvenons à faire aujourd’hui. Les énergéticiens cherchent donc des solutions complémentaires aux friches et aux toitures du côté des terrains agricoles et de l’agrivoltaïsme. L’installation de tels systèmes peut, a priori, susciter aussi l’intérêt du monde agricole, mais celui-ci reste pour l’instant très mesuré, car leur impact sur le métier comme sur les revenus de l’agriculteur est encore mal appréhendé. En effet, il s’agit bien de partager la ressource foncière en installant des modules photovoltaïques sur des parcelles dévolues à la culture ou à l’élevage. Pour placer cette jeune filière sur la voie d’un déploiement à grande échelle, il faut aider ses parties prenantes à évaluer des situations extrêmement diverses, et pas seulement par les types de production et les conditions pédologiques et climatiques. C’est pourquoi, en plus des représentants des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, qui ont siégé au comité de pilotage, nous avons mobilisé une quarantaine d’experts de spécialités différentes pour éclairer nos parties prenantes. Cette forte concertation, tout au long des deux ans de l’étude, nous a permis de maintenir jusqu’au bout un consensus sur nos propositions, ce qui leur donne un poids certain.

Alors, quels projets doivent être poussés ou… repoussés ?
C. M. 

Désolée pour ceux qui espéraient une grille de critères et de seuils quantifiés qu’il aurait suffi d’appliquer mécaniquement : notre première conclusion est que l’étude des projets au cas par cas doit demeurer la règle. Cela posé, nous proposons un nouvel outil d’aide à la décision : le « gradient de qualification ». C’est une sorte d’arbre de décision, où sont examinés successivement trois critères pouvant mettre en évidence l’existence – ou l’absence – de synergies positives entre production agricole et production d’énergie. Ce sont, dans l’ordre, les services apportés par le projet à la production agricole, son incidence sur cette production et son incidence sur les revenus de l’exploitation. L’agrivoltaïsme désigne des installations en complète synergie avec l’activité agricole, apportant un service agronomique direct, sans diminution des revenus agricoles. C’est par exemple le cas quand des ombrières photovoltaïques améliorent la production agricole, en la protégeant des aléas climatiques, et apportent directement un revenu complémentaire à l’exploitant. D’autres types d’installations intermédiaires dites de « couplage d’intérêt pour l’agriculture » visent plutôt un équilibre entre les deux activités, acceptable pour l’agriculteur. Parmi la cinquantaine de réalisations que nous avons documentées, prenons l’exemple d’un maraîcher qui s’est équipé il y a quelques années d’une serre photovoltaïque. Ce projet lui a donné accès à du matériel technique supplémentaire – la serre – lui rendant un service que nous appelons indirect, car ce ne sont pas les panneaux photovoltaïques qui le lui apportent directement. Les rendements et la qualité des productions y sont légèrement inférieurs à ceux d’une serre voisine, classique. Cependant, le développement de la vente en circuit court, favorisé par la serre, a permis de maintenir les revenus de l’exploitation. D’autres types d’installation peuvent réduire de façon importante ou même supprimer la production agricole, ce qui devrait conduire à les écarter. C’est un subtil jeu d’équilibre.

L’exercice sera moins facile sur des projets innovants avec peu ou pas de retour d’expériences, et c’est pourtant là qu’il est attendu…
C. M.

C’est vrai. Aujourd’hui, il convient d’évaluer chaque critère a priori, sur la base d‘études bibliographiques ou d’expérimentations plus ou moins similaires. Mais si, comme nous le recommandons, chaque réalisation fait l’objet d’un retour d’expérience rigoureux sous la houlette d’un observatoire indépendant avec, notamment, la mise en place systématique d’un suivi agronomique sur une parcelle témoin, l’incertitude se réduira avec le temps.

Votre étude prend-elle en compte les risques qui dépassent le seul volet agricole des projets, comme l’atteinte aux paysages ?
C. M. 

Bien sûr, et c’est un point majeur. En plus du gradient de classification, dont nous avons parlé précédemment, nous avons dressé une liste de sept critères d’attention, associés à des questions précises, comme « le projet s’inscrit-il dans une dynamique territoriale ? » ou « le projet engendre-t-il une dégradation de la qualité des sols ? ». Ces critères permettent d’identifier les risques mais aussi les opportunités de chaque projet. Ils servent de grille d’analyse complémentaire et de questionnements, un peu comme des garde-fous pour écarter certains projets dont les enjeux n’auraient pas été étudiés de façon écosystémique. Enfin, il faut rappeler que notre étude est la première à l’échelle nationale sur ce sujet complexe : elle ne demande qu’à s’enrichir des retours d’expérience de ceux qui s’en empareront.

55 exploitations

agricoles enquêtées pendant l’étude

10 fiches techniques

récapitulatives rassemblant toutes les connaissances à date par typologie de projet photovoltaïque sur terrains agricoles

Près de 40 recommandations

à destination des pouvoirs publics et porteurs de projets