Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 en France, la production d’électricité renouvelable devra connaître un essor massif. Ce développement n’est pas sans conséquence sur la biodiversité, notamment sur la faune volante (oiseaux et chauves-souris1). La recherche peut aider à résoudre cette problématique.
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Pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les capacités installées de l’éolien terrestre devront atteindre environ 34 GW en 2028. À plus longue échéance, en 2050, et pour atteindre la neutralité carbone, la puissance éolienne terrestre installée pourrait connaître une multiplication par trois par rapport à 2024, selon les scénarios prospectifs du gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité (RTE) et de l’ADEME.
Néanmoins, les parcs éoliens terrestres peuvent générer certaines pressions sur les milieux naturels et affecter la faune volante. Au regard de la connaissance scientifique, plusieurs types d’impacts peuvent être engendrés :
• un risque d’altération, de dégradation voire de destruction des milieux naturels situés au droit des emprises du projet (aérogénérateurs et dispositifs connexes associés) ;
• un risque d’altération du cycle de vie et de la démographie d’espèces d’oiseaux ou de chauves-souris via des mortalités accrues, la perte et la fragmentation de leurs habitats et l’altération des migrations.
Autant les questions relatives aux emprises des projets sont communes à toutes les infrastructures, autant les impacts sur la faune volante sont spécifiques à l’éolien. Les mortalités directes par collision ou barotraumatisme (choc causé par le différentiel de pression généré par les pales en mouvement) sont documentées depuis de nombreuses années et font l’objet d’un suivi réglementaire dans chaque parc éolien. Les pertes d’habitats ont été mises en évidence plus récemment.
Afin d’approfondir la connaissance des incidences de l’éolien terrestre et des moyens de les atténuer, les recherches explorent plusieurs voies.
Mieux comprendre les comportements des chauves-souris et des oiseaux pour identifier les meilleures pratiques
Les éoliennes terrestres peuvent générer différentes réponses comportementales de la part des chauves-souris : de l’attraction (activité accrue à proximité de l’éolienne) ou de l’évitement (diminution de l’activité à proximité des éoliennes). Ces réponses comportementales d’attraction et d’évitement sont susceptibles d’engendrer des risques accrus de mortalité et des pertes d’utilisation des habitats. Pour mieux comprendre ces comportements, différents projets sont menés. Une approche consiste à analyser l’activité acoustique des chiroptères à hauteur des nacelles des éoliennes, plusieurs études mettant en effet en évidence un lien entre activité des chauves-souris au niveau de ces nacelles et risque de mortalité. Il serait alors possible de mettre en place des dispositifs d’arrêt des machines lors des périodes de forte activité des chauves-souris. Les chercheurs du Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO) au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) ont ainsi calculé qu’un bridage « multicritère » a une efficacité (rapport entre risque de collision et perte de production) supérieure (7 à 31 %, selon les espèces présentes) à celle d’un bridage « conventionnel » basé uniquement sur des seuils de vent et de température. Par ailleurs, Chiro-Eolum, piloté par le bureau d’étude Auddicé en partenariat avec le MNHN, vise à étudier si le balisage lumineux des éoliennes a un rôle sur l’activité des chiroptères. Les premiers résultats indiquent que les chauves-souris sont attirées par le balisage lumineux ; diminuer le temps d’éclairage par la mise en place de systèmes intelligents permettrait de réduire potentiellement les risques de collision.
Une autre approche consiste à analyser les données acoustiques recueillies par les naturalistes sur l’ensemble du territoire. Un comportement d’aversion a ainsi été récemment mis en évidence, notamment par le CESCO, pour plusieurs espèces de chauves-souris avec des effets détectables à plus d’un kilomètre des éoliennes. Cet effet serait lié à l’influence du sillage et des turbulences générés par les parcs éoliens qui font fuir les chauves-souris. Cet effet pourrait être ressenti à plus d’un kilomètre selon l’intensité des vents ; d’où l’importance de tenir compte de la présence d’habitats sous les vents dominants en aval des parcs éoliens.
Comme pour les chauves-souris, le dérangement des oiseaux en présence d’éoliennes est constaté dans de nombreuses études majoritairement européennes ou américaines. Les réponses comportementales observées varient entre espèces, avec une prépondérance de comportements d’aversion ou d’absence de réaction visible. La thèse, cofinancée par l’ADEME, de Jaad Besse au MNHN a pour but de mieux évaluer2 les effets de l’éolien sur la distribution spatiale des oiseaux en France, à partir des programmes de suivi à long terme des populations d’oiseaux communs animés par le MNHN et la LPO.
Mieux connaître la distribution des populations, leurs couloirs de migration et leur utilisation de l’espace
Les voies empruntées par les chauves-souris pour réaliser leur migration en Europe demeurent encore largement inconnues. Pour y remédier, le projet Bat migration routes in Europe, conduit par le MNHN, cofinancé par l’OFB, mise sur la participation de milliers de chiroptérologues via les sciences participatives pour développer des cartes de migration à l’aide d’enregistrements acoustiques de trois espèces migratrices communes, tout au long de l’année : la pipistrelle de Nathusius (Pipistrellus nathusii), la noctule commune (Nyctalus noctula) et la noctule de Leisler (Nyctalus leisleri). La première étape de ce projet – qui visait à développer une méthode scientifique permettant de créer des cartes de migration – est validée, et les cartes ont été générées en France pour chacune des trois espèces. Cette méthode sera étendue à l’Europe et appliquée aux autres espèces non migratrices. D’autres projets financés par l’ADEME poursuivent ces travaux. Le projet CartoChiro, « Cartographies d’enjeux et de vulnérabilités des chiroptères pour la planification des énergies renouvelables », souhaite intégrer ces données dans une méthodologie de prise en compte des enjeux de préservation des chauves-souris lors de la planification territoriale des énergies renouvelables.
Une autre thèse financée par l’ADEME, Risk4DRaptors, est en cours au CNRS pour mieux comprendre l’utilisation de l’espace (en 3 dimensions et dans le temps) par les grands rapaces, en particulier l’aigle royal. L’objectif de ce projet est de développer des modèles pour prédire quels sont les secteurs présentant un risque fort d’impact négatif sur ces populations lors de la création de nouvelles infrastructures. Les résultats de ce modèle seront en libre accès sous forme de cartographies et pourront être consultés en amont de l’élaboration des projets éoliens.
Évaluer et améliorer les systèmes d’arrêt et d’effarouchement
Des dispositifs automatiques d’arrêt des éoliennes et d’effarouchement (visuel ou acoustique) commencent à se développer pour réduire les risques de collision et les mortalités associées. Face au coût de ceux-ci, l’enjeu est aujourd’hui d’être en mesure d’évaluer leur efficacité en toutes conditions, pour aider les développeurs éoliens mais aussi les services de l’État dans le choix de ces dispositifs et leurs modalités de mise en oeuvre. Par exemple lorsque les éoliennes sont bridées pour des vitesses de vent inférieures à 5 m/s, l’efficacité atteindrait environ 60 % de réduction de la mortalité des chauves-souris. L’efficacité des dispositifs ciblant les oiseaux reste quant à elle à documenter scientifiquement.
À ce titre, le projet de recherche multiacteur « Réduction de la mortalité aviaire dans les parcs éoliens en exploitation » (MAPE), cofinancé par l’ADEME, s’est intéressé aux systèmes de détection classification-réaction automatiques (SDA). Ceux-ci ambitionnent de détecter et classifier, notamment à l’aide de l’intelligence artificielle (IA), les oiseaux en approche pendant la journée, et de déclencher une réaction d’effarouchement et/ ou d’arrêt. Leur objectif est ainsi d’assurer une surveillance en continu de l’avifaune diurne afin de limiter le risque de collision, tout en optimisant la production d’énergie. Le projet MAPE a permis de publier dans une revue scientifique un protocole d’évaluation de la performance des SDA allant de l’étape de détection à celle de réaction. La prochaine étape pour l’ADEME et l’OFB est de développer avec les professionnels un processus d’évaluation et de certification volontaire des technologies mises sur le marché.
Dans le cadre de ce projet MAPE, la thèse financée par l’ADEME de Constance Blary3 étudie la perception visuelle des oiseaux. Elle a montré que ceux-ci étaient généralement peu sensibles aux contrastes achromatiques. Cela leur permet donc mal de distinguer les éoliennes du ciel. Ce travail se poursuit avec le projet de recherche P4Birds « Perception par les oiseaux de la rotation de pales peintes avec un patron de coloration » qui vise, via une expérimentation en laboratoire, à tester si des patrons de coloration noir et blanc appliqués sur des pales en rotation amélioreraient leur perception par les oiseaux et favoriseraient donc des comportements d’évitement.
1 Les chauves-souris sont aussi appelées les chiroptères.
2 Évaluation des impacts cumulés des éoliennes sur l’état de conservation des chiroptères et l’avifaune MNHN, laboratoire CESCO.
3 Perception visuelle des éoliennes par les oiseaux, CNRS, laboratoire CEFE.