Décarboner l’économie : les grands enjeux

En lançant en 2021 le programme d’investissement France 2030, l’État avait une double ambition : accélérer la décarbonation de l’économie tout en accompagnant la réindustrialisation du pays. Rien de contradictoire là-dedans, comme le montrent les projets déjà financés.


Décarbonation de l’économie : de quoi parle-t-on ?

Il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités économiques du pays, tous secteurs confondus (10 thématiques sont déployées par l’ADEME, dans le cadre de France 2030).

Réduire les émissions d’une activité, ce n’est pas seulement en revoir les process de production et les sources d’énergie : c’est aussi réfléchir à l’origine des matières premières, au transport et à la fin de vie des produits, au déplacement des collaborateurs… La neutralité carbone ne pourra être atteinte sans l’engagement de secteurs très énergivores, particulièrement de l’industrie. C’est pourquoi l’État souhaite que, sur les 7,3 milliards d’euros confiés à l’ADEME dans le cadre de France 2030, la majorité soit allouée à des projets de décarbonation de l’industrie. Les crédits restants seront investis dans l’émergence d’innovations visant à accélérer cette transition écologique : hydrogène décarboné, matériaux biosourcés, transport maritime bas carbone…

Un enjeu économique autant qu’environnemental

La décarbonation, si elle est engagée dès aujourd’hui, peut donner un avantage concurrentiel non négligeable aux entreprises françaises.

« En recourant à des énergies locales ou à des matières recyclées, les industries gagnent en souveraineté. Elles deviennent moins dépendantes de ressources produites à l’étranger, donc moins sensibles à leur raréfaction et à la volatilité de leurs prix », affirme Régis Le Bars, directeur adjoint Entreprises et transitions industrielles de l’ADEME. « Elles gagnent également bien souvent en compétitivité. » Prendre le temps de réfléchir à son impact donne par ailleurs l’opportunité de s’ouvrir à de nouveaux marchés, et de proposer de nouveaux services, pour anticiper une prévisible baisse des ventes sur son activité principale. Un constructeur de plates-formes pétrolières peut ainsi saisir l’opportunité de réorienter une partie de son savoir-faire au service de l’éolien offshore. À travers France 2030, l’ADEME accompagne autant des grandes entreprises dans leurs stratégies de décarbonation (Arcelor Mittal, Michelin, Ciment Calcia…) que des startups et des PME ainsi que des associations dans le développement d’innovations de rupture (Flowatt et sa ferme pilote hydrolienne, Emmaüs Connect et son système d’effacement de données visant à favoriser les dons d’appareils numériques…). Dans les deux cas, l’objectif est le même : aider les entreprises et les acteurs français à prendre de l’avance sur les marchés de la transition écologique, afin de créer de la valeur et de l’emploi dans ses territoires.

Innovations technologiques et organisationnelles

La décarbonation de l’économie repose sur la combinaison de plusieurs leviers.

L’un d’eux est technologique. Il s’agit d’abandonner charbon, pétrole et gaz pour des énergies renouvelables, et d’améliorer l’efficacité énergétique de ses équipements et/ou d’écoconcevoir ses produits. Mais l’innovation peut aussi être organisationnelle : « Plusieurs industriels d’un même territoire peuvent s’entendre sur une stratégie commune de décarbonation, dans laquelle la chaleur fatale et les déchets des uns deviennent utiles aux autres. Cela permet de mieux capitaliser sur des ressources locales », explique, par exemple, Sophie Aubert, directrice Entreprises et transitions industrielles de l’ADEME. L’appel à projet Zones industrielles bas carbone (ZIBaC), lancé en 2022, visait à encourager ce type de coopération. Onze dossiers ont été retenus. Parmi eux, la zone portuaire de Fos-sur-Mer – Marseille et son projet SYRIUS, qui réunit une quarantaine d’industries et collectivités prêtes à investir dans des solutions partagées : récupération de chaleur, hub hydrogène, capture et séquestration du CO₂, etc.

Autre levier indispensable à la décarbonation : la transition vers des modes de vie plus sobres. Celle-ci ne peut résulter de la seule volonté des citoyens. Pour que les gens changent durablement leurs habitudes, il faut qu’ils aient accès à une offre de produits qui, en plus d’être séduisants, soient financièrement abordables. C’est tout l’intérêt de l’eXtrême Défi, lancé par l’ADEME et soutenu par France 2030 : concevoir des véhicules intermédiaires, dix fois moins chers et moins énergivores qu’une voiture électrique, mais plus adaptés qu’un vélo à certains besoins de mobilité. En effet, parcourir chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres à vélo sur des routes de campagne n’est pas une option viable pour tout le monde.

Des freins financiers levés grâce à France 2030

La décarbonation représente parfois des coûts colossaux, pour un retour sur investissement qui n’est pas immédiat.

« La décarbonation prend du temps. Il faut construire des infrastructures, mobiliser des compétences, développer des savoir-faire, expérimenter… Il peut être difficile de convaincre les financeurs privés d’investir plusieurs millions ou milliards d’euros dans ce type de projets, bien que ces derniers s’annoncent décisifs pour l’avenir, explique Sophie Aubert. C’est là qu’intervient France 2030. Sans ce genre de planification gérée à l’échelle nationale, il serait difficile pour de nombreuses filières d’avancer vers la neutralité carbone. » Le soutien apporté dans le cadre de France 2030, opéré par l’ADEME, constitue un gage de sérieux qui aide à convaincre les banques et actionnaires.

Patience et vision à long terme

Le programme France 2030 accompagne des projets à différents niveaux de maturité.

D’un côté, on trouve des innovations encore en phase de développement. C’est le cas, par exemple, du projet Bluemapping, qui vise à développer une solution de modélisation à grande échelle du ruissellement, de manière à mieux prévenir les coulées de boue en cas de fortes précipitations. De l’autre, France 2030 soutient des projets qui ont déjà démontré leurs performances. Certains projets entrent grâce à cette aide en phase d’industrialisation : recyclage des aimants permanents pour l’électronique, renaissance d’une filière française du vélo, etc. Pour répondre à l’urgence climatique, le plan vise par ailleurs à accélérer le déploiement auprès d’entreprises de solutions matures, qui peuvent donner des résultats dès aujourd’hui : bornes de recharge pour les véhicules électriques, électrification d’une chaudière qui fonctionnait précédemment au gaz, etc.