Décryptage

« Il est temps que l’épargnant utilise son pouvoir ! »

À l’intention des particuliers et des professionnels, l’ADEME publie son premier guide sur la finance durable. Son objectif ? Permettre aux épargnants d’exprimer de façon éclairée leurs préférences environnementales ou sociales dans leurs choix de placements. C’est ce que nous présente ici Mathieu Garnero, Directeur du projet Life Finance ClimAct à l’ADEME.


Pourquoi l’ADEME publie-t-elle un guide sur la finance durable, si souvent accusée de greenwashing ?
Mathieu Garnero

La finance durable s’appuie sur des politiques publiques en faveur de la transition écologique déployées depuis 2015, dans la continuité de la COP21 et de l’Accord de Paris. L’État français a ainsi créé les obligations vertes ainsi que les labels Greenfin et ISR pour distinguer certains placements. L’Union européenne lui a emboîté le pas en 2018 en consacrant un volet de son Green Deal à la finance verte. Pourquoi cet intérêt ? Parce que l’économie réelle est financée par des flux immenses. Il suffirait qu’une part de ceux-ci, même mineure, soit réorientée vers des investissements favorables au climat pour que l’impact soit considérable. En France, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) estime que les investissements favorables au climat se sont élevés à 87 milliards d’euros en 2022, mais qu’ils devraient atteindre 117 milliards pour remplir nos objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Si l’on compare ces sommes aux 6 000 milliards d’épargne des Français, on voit bien que l’objectif est atteignable. D’autant que le projet européen Finance ClimAct développe depuis 2019 des outils et des méthodologies permettant aux acteurs publics et privés (épargnants, institutions financières…) d’intégrer les objectifs environnementaux dans leurs décisions de placements ou d’investissements. Du point de vue de l’ADEME, la finance durable est un levier à ne pas négliger, quitte à batailler « de l’intérieur » pour l’améliorer.

Quel est l’objectif de ce guide ?
M.G. 

Informer les particuliers du rôle qu’ils peuvent jouer dans la transition écologique et sociale en choisissant un placement plutôt qu’un autre et, du même coup, aiguiser leur regard critique sur ce qui leur est proposé. N’oublions pas que, depuis août 2022, la loi impose qu’ils soient formellement interrogés par leur conseiller bancaire ou en gestion de patrimoine sur leurs préférences dans ce domaine. Il est donc essentiel qu’ils fassent la différence entre la finance verte, qui favorise la transition écologique, la finance solidaire, qui favorise l’inclusion et la cohésion sociale, et la finance responsable, qui respecte simplement certains critères de la responsabilité sociétale des entreprises. Globalement, cette distinction recouvre les trois principaux labels en vigueur en France : Greenfin, Finansol et ISR. L’Europe, de son côté, classe les fonds en trois catégories : les « article 9 » qui, comme les labels Greenfin et Finansol, ont un objectif de développement durable ; les « article 8 » qui, comme le label ISR, prennent en compte des critères sociaux et environnementaux ; et les « article 6 », qui n’ont aucun objectif particulier. Comme on le voit, ce n’est pas si facile de s’y retrouver, même pour les professionnels de la finance. Notre guide s’adresse d’ailleurs également à eux puisque nous avons aussi besoin qu’ils fassent évoluer, dans le bon sens, leurs offres de produits financiers et leur façon de conseiller les clients.

Vous dites que vous bataillez pour améliorer le système : comment ?
M.G. 

En priorité, nous essayons de rendre les labels plus exigeants afin qu’ils inspirent davantage confiance. L’ADEME est membre du comité du label Greenfin, qui travaille actuellement à l’intégration de la taxonomie durable dans son référentiel. Nous avons aussi activement participé aux travaux sur la refonte de l’ISR, pour lequel un nouveau référentiel ambitieux sur les exclusions fossiles et l’exigence de plans de transition alignés à l’Accord de Paris vient d’être annoncé par le ministère des Finances. Il est important que les labels obligent progressivement les sociétés de gestion des fonds à entretenir un dialogue actif avec les entreprises, avec des exclusions à la clé en cas de non-respect de leurs engagements. L’idéal pour compléter le dispositif serait un écolabel européen pour tirer les pratiques vers le haut à l’échelle de l’Union, mais l’éreintante négociation politique sur la taxonomie verte a gelé le projet, de peur de rouvrir la boîte de Pandore.

Aujourd’hui, que peut faire l’épargnant engagé  ?
M.G. 

Pour imparfait qu’il soit, le cadre actuel lui donne de premiers critères de choix. Il lui garantit, par exemple, qu’il ne trouvera pas d’entreprise pétrolière dans un fonds Greenfin et qu’il soutiendra l’économie sociale et solidaire dans un fonds Finansol. Pour aller plus loin, il faut se renseigner et choisir parmi les établissements financiers les plus conformes à ses aspirations. Certaines associations et ONG les scrutent sans concession, ce qui fait bouger ceux qui sont soucieux de leur image. Les polémiques autour du greenwashing financier sont le signe que les mentalités évoluent. Achevons de retourner les rôles et mettons la pression sur nos banquiers afin qu’ils mettent notre argent au service de la transition !

6 000  Mds€

d’épargne en France en 2022

30 à 60 Mds€

de financements climat supplémentaires sont annuellement nécessaire

50  %

environ des sommes investies dans des fonds sont couvertes par un label en finance durable

3 %

de ces sommes seulement sont couvertes par les labels Greenfin et Finansol