Notre alimentation contribue à 25 % des émissions de gaz à effet de serre, avec des effets variables sur les sols et l’érosion de la biodiversité selon les modes de production agricoles. Mais d’autres problématiques sont également en jeu, comme la santé des personnes et la lutte contre la précarité. Une autre approche s’impose.
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Si la récente crise sanitaire n’a pas généré de pénuries, elle a révélé les tensions de notre système alimentaire mondial : inégalités territoriales, précarité de nombreux travailleurs du secteur, ultra-transformation des produits, dépendance à l’import pour l’alimentation animale notamment… Sans oublier la distance toujours plus grande entre les humains et leur nourriture. Une distanciation multiforme, précise Nicolas Bricas, chercheur au Cirad : « Elle est géographique, avec l’éloignement entre lieux de production et de consommation ; économique, via la multiplication des intermédiaires ; cognitive, car les consommateurs ne savent plus comment on produit ou transforme les aliments ; sociale et politique, enfin, avec un système qui échappe aux citoyens. » Mais d’autres enjeux, tout aussi cruciaux, se dessinent.
“Pour nourrir 10 milliards d’habitants, il faudra changer nos modes de production et de consommation.”
Au niveau mondial, les experts déplorent l’épuisement des sols et des ressources, la déforestation, la surexploitation de la mer et la saturation des milieux en pollutions diverses.
Santé et sécurité
Entre alimentation, forêt, urbanisation, réseaux… la concurrence pour l’occupation des terres pourrait également s’avérer préoccupante. « Au total, 95 % de notre alimentation provient des sols », rappelle Sarah Martin, ingénieure en charge de l’alimentation au sein du service Forêt, alimentation et bioéconomie de l’ADEME. La qualité des produits et les habitudes de consommation impactent la santé des citoyens. Ultra-transformée, pauvre en nutriments, trop riche en gras, en sel ou en sucre, comportant des résidus de pesticides, des antibiotiques ou des perturbateurs endocriniens, l’alimentation peut devenir un facteur de risques pour les maladies cardiovasculaires, le diabète, les cancers, la résistance microbienne, voire des pathologies virales nouvelles comme la Covid-19. « L’obésité augmente partout, en Europe comme en Amérique latine et en Afrique », constate Nicolas Bricas. Or, si toutes les qualités de produits existent sur le marché, tout le monde n’a pas forcément accès aux meilleurs, par manque de connaissances et de moyens. L’insécurité alimentaire concernerait aujourd’hui 4 à 8 millions de Français. À cela s’ajoutent l’instabilité des prix et la hausse de la population, doublées d’une certaine opacité dans le pilotage politique du système. « La difficulté, c’est que tous ces enjeux sont liés, remarque Sarah Martin. Chaque maillon de la chaîne impacte les autres de manière transverse et, en permanence, à des échelles différentes : planétaire, nationale, territoriale, individuelle… ».
Diagnostic bas carbone pour jeunes agriculteurs
Réduire les émissions de gaz à effet de serre, stocker le carbone, s’adapter au changement climatique… les enjeux de l’agriculture sont multiples, mais des solutions existent. Lancé par l’ADEME en décembre 2020 sous l’égide du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, l’appel à projets « Bon diagnostic carbone » vise à inciter les jeunes agriculteurs installés depuis moins de cinq ans à partir sur de bonnes bases, en établissant le diagnostic de leurs émissions et en rédigeant un plan d’action. Doté de 10 millions d’euros, cet outil du plan de relance s’adresse aux structures susceptibles d’accompagner des opérations groupées : chambres d’agriculture, coopératives, instituts techniques, interprofession… Leurs projets contribueront à l’acquisition et au transfert de connaissances, ainsi qu’au déploiement du Label bas carbone dans ce secteur. Objectif : environ 4 000 diagnostics en deux ans.
Préserver nos écosystèmes
Dans ce contexte, comment favoriser une alimentation plus durable ? Comment encourager la transition vers des modèles agricoles qui diversifient les cultures, développent l’agroforesterie et l’agroécologie, respectent la saisonnalité et la qualité des sols ou encore stockent le carbone ? Les collectivités locales, par exemple, ont un rôle à jouer, notamment via l’animation de projets alimentaires territoriaux, de nouvelles politiques d’achat pour les cantines ou la préservation du foncier agricole. Travaillant sur ce sujet depuis une décennie, l’ADEME et l’organisme de recherche français INRAE disposent d’outils adaptés comme l’outil de diagnostic énergie-gaz à effet de serre Climagri ou la base de données environnementales Agribalyse. « Cette dynamique implique de revoir la rémunération des agriculteurs et d’orienter davantage les aides publiques vers ceux qui préservent nos écosystèmes », souligne Sarah Martin. Le plan de relance français consacre 346 millions d’euros à la transition agroécologique, via les conversions vers le bio et la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) en particulier.
Moins de viande dans nos assiette
Un autre levier consiste à composer son assiette avec des produits à plus faible impact environnemental, avec plus de céréales et de légumineuses et moins de viande mais de meilleure qualité. « Les produits de l’élevage représentent 70 % des émissions de gaz à effet de serre de la consommation alimentaire. Ils nécessitent plus de ressources, de terres ou d’énergie que les autres », explique Sarah Martin. Ce changement d’habitudes alimentaires implique un accompagnement fort des citoyens. Enfin, la lutte contre le gaspillage reste incontournable puisqu’il concerne, en France, 30 % de la production, sur toute la chaîne alimentaire. La sensibilisation et les actions s’amplifient, mais les efforts doivent se poursuivre.
Les ateliers La Fresque Agri’Alim
La transition vers un système agri-alimentaire durable est une thématique aussi compliquée que clivante pour le public. Astrid Tarteret et Céline Monthéard, deux actrices de cette transition, se sont donné pour objectif d’aider chacun à prendre conscience de ces enjeux tout en suscitant la transformation des pratiques, des producteurs aux consommateurs. Comment ? En favorisant un dialogue entre tous, dans le cadre d’ateliers de sensibilisation participatifs, baptisés « La Fresque Agri’Alim ». En présentiel ou en ligne, animées par des « facilitateurs », ces interventions permettent de retrouver les liens de cause à effet, par équipes, via des cartes à jouer reliées entre elles sur un plateau. Les contenus – pointus – ont été élaborés avec l’aide d’experts, de l’ADEME notamment.
En savoir plus : http://fresqueagrialim.org