Décryptage

“Le potentiel de décarbonation de notre production de chaleur est immense”

L’État vient d’accroître considérablement son effort en faveur de la production de chaleur renouvelable. C’est l’un des plus puissants leviers pour décarboner notre économie, tout en réduisant notre dépendance énergétique. En région, l’ADEME est prête à accompagner de nouveaux projets. Le point avec Bénédicte Genthon, directrice adjointe Bioéconomie et énergies renouvelables de l’ADEME.


Le Fonds Chaleur aide depuis plus de dix ans les collectivités et les entreprises à passer d’une production de chaleur fossile à une chaleur renouvelable : pourquoi est-il si important d’accélérer cette transition?
Bénédicte Genthon

Il y a urgence à agir face au double défi de la crise énergétique et du changement climatique. Nous devons donc utiliser dès aujourd’hui tous les leviers à notre disposition. Cela veut dire accélérer, bien sûr, la baisse de notre consommation d’énergie par les actions d’efficacité et de sobriété, mais également mobiliser au maximum le potentiel de toutes les énergies renouvelables pour décarboner notre production.
Dans ce domaine, on cite rarement la chaleur utilisée pour le chauffage des bâtiments et dans les processus industriels. Or, elle représente plus de 40 % de notre consommation nationale d’énergie et demeure produite majoritairement à partir d’énergies fossiles, du gaz principalement.
Le potentiel de progrès est donc immense. Depuis sa création, en 2009, le Fonds Chaleur soutient le développement de la production de chaleur renouvelable – bois, biogaz,géothermie, incinération des ordures ménagères, récupération de chaleur fatale dans l’industrie, solaire thermique – ainsi que des réseaux permettant de la distribuer. Cela concerne l’habitat collectif, le tertiaire, l’agriculture et l’industrie. En treize ans, il a généré, à partir de 2,6 milliards d’euros d’aides publiques, plus de 10 milliards d’euros d’investissements, ayant contribué à faire passer la part de chaleur renouvelable de 15 % en 2009 à près de 23 % en 2020, et à doubler la longueur des réseaux de chaleur, qui atteint 6 200 km. Il faudrait cependant progresser deux fois plus vite pour atteindre l’objectif fixé par la loi : 38 % en 2030.

La crise en Ukraine ne vient-elle pas de lui donner un coup d’accélérateur ?
B. G.

Après des hausses régulières depuis 2017, le plan de résilience consécutif à la crise ukrainienne a effectivement fait bondir le Fonds Chaleur de 370 à 520 millions d’euros pour 2022. Cela va nous permettre de déployer davantage de projets. À cette fin, nous avons exceptionnellement adapté certaines règles en milieu d’année, avec notamment une hausse des aides forfaitaires et le lancement d’un appel à projets « Une ville, un réseau », visant à prendre en charge une partie des études préalables au développement des réseaux de chaleur dans les villes de moins de 50 000 habitants. Ces réseaux jouent un rôle très important dans la décarbonation de la chaleur puisque 80 % des projets de production de chaleur renouvelable que nous soutenons transitent par eux. Or ils ne distribuent aujourd’hui que 4 % de notre consommation de chaleur. Ils constituent donc une priorité absolue.

Côté production, certaines technologies ont-elles votre préférence ?
B. G.

Le Fonds Chaleur aide toutes les technologies matures de production de chaleur renouvelable et de récupération, s’adaptant aux ressources et aux spécificités de chaque territoire. Cette année, nous souhaitons cependant mettre particulièrement en avant la géothermie profonde et superficielle. Elles présentent un potentiel très important et encore largement inexploité. Nous venons d’ailleurs de piloter avec tous les acteurs de la filière l’élaboration d’une feuille de route spécifique. La géothermie profonde est exploitée depuis les années 1980 notamment en Île-de-France, située sur un aquifère (une réserve d’eau souterraine) d’une température d’environ 70 °C, entre 1 500 et 1 800 mètres de profondeur. Le principal obstacle à sa généralisation réside dans le forage, coûteux et sans certitude de trouver une ressource suffisante. C’est pourquoi nous avons créé et récemment renforcé le « fonds de garantie géothermie », permettant de mutualiser le risque en assurant jusqu’à 90 % de remboursement des investissements en cas d’échec, pour l’étendre au-delà de l’Ile-de-France. Le Fonds Chaleur soutient également la géothermie de surface, adaptée aux bâtiments non raccordables à des réseaux. Elle permet, quasiment partout en France, en exploitant la stabilité de la température du sous-sol, autour de 12 °C, de produire efficacement de la chaleur l’hiver grâce à une pompe à chaleur géothermique, mais aussi du froid l’été. Avec le réchauffement climatique, ces installations vont gagner en pertinence, notamment dans le tertiaire.

Tout cela suffira-t-il pour provoquer une bascule ?
B. G.

D’autres aides publiques concourent à décarboner la chaleur. Des appels à projets ont ainsi été lancés dans le cadre des plans France Relance et France 2030, avec de l’ordre de 500 millions d’euros de budget sur trois ans (2020-2022) dédiés à la chaleur renouvelable dans l’industrie. Quant aux particuliers, ils sont soutenus par MaPrimeRénov’. C’est donc un effort significatif, qui portera ses fruits. Même s’il faudrait, pour atteindre nos objectifs à 2030, que le Fonds Chaleur atteigne 1 milliard d’euros d’ici à 2027…

42 %

de notre consommation d’énergie.
(source : Programmation pluriannuelle de l’énergie,
avril 2020, p. 62, chiffre 2017)

23 %

de cette chaleur est d’origine renouvelable ; ce chiffre était de 18 % en 2015 ; l’objectif est de 38 % en 2030.
(source : Panorama de la chaleur renouvelable et
de récupération 2021 et Loi du 17 août 2015 relative
à la transition énergétique pour la croissance verte)

80 %

des projets aidés par le Fonds Chaleur en 2021 ont été produits à partir de biomasse (presque à égalité entre bois et biogaz), 10 % par la géothermie, 7 % par l’incinération des ordures ménagères et 2 % par la récupération de chaleur fatale dans l’industrie.
(source : ADEME, Bilan du Fonds Chaleur 2021)