Les sols, aussi précieux que l’air ou l’eau

Les sols rendent gratuitement de nombreux services, mais on en oublie trop souvent la valeur… jusqu’à ce qu’ils soient dégradés. Pour mieux les préserver, l’ADEME encourage le recyclage foncier, c’est-à-dire la reconversion de friches, déjà artificialisées.


Une ressource lente à se renouveler

Les sols mettent des centaines à des milliers d’années à se former. Or, ils sont à la base de fonctions vitales pour nos sociétés.

Support de l’agriculture, donc d’une grande partie de notre alimentation, ils jouent également un rôle essentiel dans le cycle de l’eau : en la filtrant et en la purifiant, ils participent à sa qualité et, en absorbant et en régulant les eaux pluviales, ils contribuent à limiter les inondations. Les sols abritent aussi près de 60 % des espèces vivantes connues, indispensables à la fertilité des terres. Et ils sont centraux dans la régulation du climat : ils stockent plusieurs milliards de tonnes de carbone et contribuent à la qualité de l’air. Toutes ces fonctions, les sols les assurent « gratuitement », à condition d’être vivants et en bon état. « Contrairement à l’air ou à l’eau, ils peinent cependant à être considérés comme des biens communs, regrette Pascal Schuermans, chef de projets Sites et sols pollués au sein du service SitéSol de l’ADEME. La protection des sols est ainsi arrivée tardivement dans l’agenda politique. Et certaines des mesures prises récemment sont déjà contestées. » L’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), par exemple, introduit par la loi Climat et Résilience de 2021, a été assoupli en 2023. Et il fait encore l’objet, cet automne, de plusieurs propositions portées par des parlementaires, certaines allant dans le sens d’un affaiblissement, d’autres visant au contraire à le conforter.

Les friches, une opportunité foncière

Comment répondre à la demande de logements, développer des infrastructures ou réindustrialiser la France sans empiéter sur des terres fertiles ?

En s’intéressant aux friches. Parce qu’elles sont déjà artificialisées, leur reconversion permet de s’inscrire dans une démarche de sobriété foncière, qui limite la consommation d’espaces naturels et agricoles. « Les territoires ont tout intérêt à intégrer le recyclage foncier dans leur planification, insiste Pascal Schuermans. Retirer une “verrue” du paysage redonne de l’attractivité au territoire. En l’aménageant, on peut éviter nombre d’inconvénients liés à l’étalement urbain : allongement des trajets domicile-travail, nouvelles infrastructures de transport, perte de biodiversité, dégradation de sols à fortes valeurs agronomiques, etc. » Cela vaut aussi pour la réhabilitation de friches polluées. Pour en convaincre les collectivités et les aménageurs, l’ADEME a développé plusieurs outils qui, libres d’accès, mesurent la mutabilité d’une friche et quantifient les bénéfices que l’on peut attendre de sa reconversion (lire p.18). Une aide financière publique peut par ailleurs être sollicitée, dans le cadre du Fonds vert, pour cofinancer la réhabilitation des friches.

Pollueur-payeur, un principe à renforcer

Lorsqu’un exploitant cesse son activité industrielle (usine, garage, pressing, etc.), il est tenu de dépolluer le site pour le sortir du régime des installations classées pour l’environnement (ICPE).

« Ce principe s’applique généralement bien, indique Pascal Schuermans. Mais, en cas de défaillance (une faillite, par exemple), les dépenses liées à la dépollution du site ne sont pas prioritaires. Après règlement des salaires et des fournisseurs, il ne reste souvent plus d’argent. » La friche reste donc polluée, et cela peut être un frein à sa reconversion.
Dans certains cas exceptionnels, lorsque les responsables sont défaillants et qu’il existe une menace grave pour la santé des populations et/ou l’environnement, l’ADEME peut être mandatée par le préfet pour mettre le site en sécurité, voire reloger les habitants exposés. Ces interventions peuvent coûter des centaines de milliers d’euros, financés sur fonds publics, donc in fine par les contribuables. « Il s’agit de supprimer la menace imminente, pas d’une remise en état complète du site », insiste Pascal Schuermans, avant d’ajouter : « Le principe du pollueur-payeur ne prend pas assez en compte les défaillances, y compris pour certains sites industriels d’envergure présentant des risques de pollution majeure en cas d’abandon. Il mériterait d’être renforcé : une remise en état systématique des sites industriels après la fin de leur activité (y compris en cas de défaillance) favoriserait la libération du foncier. »

Une expertise nourrie par la recherche

Les approches classiques de réhabilitation, comme le décapage des sols pollués et leur remplacement par de la terre en bonne santé, prélevée ailleurs, montrent aujourd’hui leurs limites.

Les sols sains se raréfient, tandis que les capacités de stockage des terres excavées, dans des installations de traitement de déchets, sont saturées. Dans ce contexte, la mise au point de solutions plus efficaces et adaptées s’impose.
C’est d’ailleurs l’une des missions de l’ADEME de soutenir la recherche, le développement et l’innovation en matière de gestion des sites et sols pollués. « Nous finançons des projets de recherche (via des appels à projets), tout comme des thèses de doctorat, sur des thématiques que nous identifions comme stratégiques, explique Jean-Marc Bonzom, coordinateur scientifique et technique au sein du service SitéSol. Cela contribue à produire des connaissances et des outils : caractérisation et mesures polluants, de polluants émergents (microplastiques, PFAS, etc.), compréhension du devenir de ces composés et des risques qu’ils représentent… Cela permet aussi de développer des techniques inédites de traitement qui éviteraient le déplacement massif de sols tout en conciliant sécurité sanitaire et environnementale, faisabilité économique et sobriété en ressources. »
Des solutions sont ainsi explorées pour le lavage des terres in situ, le confinement ou la stabilisation des polluants, et la reconstruction des sols. Néanmoins, malgré les avancées, « Il reste très difficile de retrouver 100 % des services écosystémiques qu’un sol rendait avant d’être artificialisé ou pollué », rappelle Jean-Marc Bonzom. La sobriété foncière doit rester la priorité.