Marie Pouponneau est Ingénieure Transport de marchandises et Logistique Urbaine à l’ADEME. Lors du Grand Défi Écologique, elle a accompagné des participants qui ont suivi des livreurs à vélo cargo au Havre. Le 31 mai, l’ADEME sera partenaire du congrès national de l’association Boîtes à Vélo France. Elle nous parle aujourd’hui de l’essor de la cyclologistique en France !
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Il n’existe pas de définition officielle. Dans le cadre d’une étude menée avec les Boîtes à Vélo France, nous avons donc proposé notre définition. La cyclologistique, c’est l’organisation et la réalisation du transport de marchandises pour le compte d’autrui à vélo ou vélo cargo. Mais ce n’est pas juste le fait de transporter ! Elle englobe tous les métiers liés à la logistique plus classique, comme le stockage des marchandises, l’organisation des tournées, les échanges avec les donneurs d’ordres… C’est vraiment de la logistique à vélo !
Aujourd’hui, la France compte environ 200 entreprises de cyclologistique réparties dans 74 villes. Depuis un an ou deux, le secteur est en phase de stabilisation. Il faut arriver à pérenniser les entreprises qui existent, car certaines ont encore des modèles économiques fragiles. Globalement, elles rencontrent les mêmes problématiques que le secteur du transport de marchandises, avec un coût par colis transporté qui est très bas. Il leur faut donc du volume pour être compétitives !
C’est simple, pour développer la cyclologistique, il faut des infrastructures cyclables. Toutes les collectivités qui ont réfléchi à la problématique vélo pour le transport de personnes et qui ont les infrastructures cyclables adaptées au cargo sont déjà exemplaires. Par ailleurs, si l’on veut vraiment stimuler l’essor de la cyclologistique, les collectivités doivent mettre en place des restrictions de circulation pour les autres modes de transport (camionnette, voiture, poids lourd…) afin d’encourager la cyclologistique, qui est une vraie alternative aux véhicules motorisés.
Nous avons organisé une balade à vélo cargo qui a rassemblé une bonne trentaine de participants : élus, entreprises, collectivités… L’objectif était de leur faire découvrir de façon pratique, en suivant le parcours des marchandises de l’entrepôt aux tournées livreurs à vélo. Les participants ont été divisés en plusieurs groupes et ont pu à tour de rôle assister aux livraisons et reprises de magazines, collecte de déchets, livraison de colis. Le gérant de Tout en vélo le Havre a aussi dévoilé les coulisses d’une livraison : réception des marchandises, stockage, préparation des tournées, réparation des vélos, etc.
Un cyclologisticien peut être un livreur à vélo mais il n’est pas que ça ! Il est avant tout un logisticien. Il a la responsabilité de la gestion globale des flux donc cela passe par de la programmation, de l’entreposage, du transport, du traitement d’informations… Le livreur à vélo, quant à lui, a la responsabilité du transport et de la livraison de la marchandise. Si on exclut les livreurs à vélo affiliés à des plateformes de livraison de repas et les activités courrier de la Poste, une enquête réalisée par les Boîtes à Vélo montre que les contrats salariés représentent 86 % des emplois et 14 % sont des contrats de sous-traitance ou de mise à disposition (intérimaires, auto-entrepreneurs). Le livreur à vélo ne peut pas être réduit au livreur de repas ubérisé !
Oui ! Cette fédération a été lancée en novembre 2022, signe que la filière se professionnalise pour s’imposer sur la livraison du dernier kilomètre. La cyclologistique doit démontrer ses capacités, son professionnalisme, ses outils et son savoir-faire. La fédération est aussi importante pour permettre aux cyclologisticiens de faire connaissance, nouer des partenariats et parler d’une seule voix aux pouvoirs publics et aux acteurs de la filière.
Il faut qu’elle atteigne des volumes de marchandises suffisants pour que le coût de la livraison à vélo soit compétitif. Le programme CEE « Colis Activ » participe à cela. La question du foncier est également centrale, car tout cyclologisticien a besoin d’un local en centre-ville qui ne soit pas très cher. La cyclologistique doit être au plus près de ses clients finaux. La fédération va devoir manifester ce besoin auprès des collectivités afin qu’elles activent le levier de la réserve de foncier via les documents de planification. Il faut aussi faire connaître les besoins des cyclologisticiens auprès des acteurs de l’immobilier. L’autre gros défi, c’est le recrutement. Le transport de marchandises souffre d’une pénurie de chauffeurs livreurs et cela pourrait bientôt concerner la cyclologistique si les projections de progression se confirment. Aujourd’hui, les coursiers livreurs sont assez engagés d’un point de vue environnemental et plutôt diplômés. Quand la cyclologistique sera à son maximum, avec beaucoup de flux à gérer, il faudra recruter massivement et aller vers d’autres profils. C’est un métier physique, il y a donc un enjeu de recrutement, de pérennisation et de possibilités d’évolution au sein de la filière.
Pour nous, le soutien passe notamment par le programme CEE « EVE » que nous pilotons et qui permet aux transporteurs d’avoir un engagement volontaire de report de marchandises vers la cyclologistique. Dans certaines régions, l’ADEME aide à l’acquisition de vélos cargos via le dispositif TREMPLIN. Nous accompagnons aussi la filière en développant et partageant la connaissance, avec le Panorama de la cyclologistique. Dans la même idée, nous sommes partenaire du Congrès des Boîtes à Vélo. Enfin, nous soutenons des projets de R&D et d’innovation à travers différents appels à projets dont Logistique 4.0 que nous opérons pour France 2030. L’aventure ne fait que commencer !