Créé en 2024, l’Observatoire de la fiction – qui s’est d’abord appelé Observatoire des Imaginaires – vient de publier un baromètre de l’écologie dans la fiction audiovisuelle française. Rencontre avec Charles Ménard et Éléonore Gueit, cofondateurs de cette association dont l’ADEME est partenaire.
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On parle beaucoup de la nécessité de créer de nouveaux imaginaires, qui rendent la transition écologique désirable. De ce point de vue, les œuvres culturelles ont un rôle important à jouer, notamment celles qui touchent le plus grand nombre, comme les fictions diffusées à la télévision ou sur les plateformes. Mais, pour inciter les auteurs à intégrer plus d’écologie dans leurs récits, il nous fallait une base de discussion. Il n’y avait pas de chiffres pour objectiver l’impression d’une trop faible représentation de l’écologie à l’écran. C’est pourquoi nous avons lancé cette étude. Nous avons visionné 268 heures de fictions audiovisuelles françaises, tous genres confondus, soit près d’un quart de la production annuelle.
L’écologie est mentionnée plus souvent qu’on ne le pensait. Si les scénarios tournant entièrement autour de ce sujet sont rares (5 %), nous avons trouvé au moins une ligne de dialogue sur l’environnement ou le changement climatique dans plus de 60 % des programmes. Ce sont le plus souvent des interventions ponctuelles, mais ce n’est pas rien, d’autant que ces propos sont portés par une grande diversité de profils. En revanche, seuls 10 % des personnages expriment une attitude (positive ou négative) vis-à-vis de l’écologie. Il est rare de voir un métier de la transition écologique, un artisan qui fait des livraisons en vélo cargo, etc.
Les séries quotidiennes, qui ont pour vocation de se rapprocher de la vie réelle, montrent davantage la transition en actions. On y voit des gens s’occuper de leurs potagers, des garages à vélos… Dans la série « Ici, tout commence », par exemple, qui raconte chaque jour sur TF1 des intrigues au sein d’une école de cuisine, l’un des personnages est une cheffe végane et les étudiants doivent cuisiner de saison.
Par l’empathie. Si un personnage auquel nous nous identifions adopte une nouvelle habitude, cela fonctionne comme une préfiguration, un peu comme s’il faisait le premier pas à notre place.
Aux États-Unis, une étude a été réalisée autour d’un épisode de « And just like that », la suite de « Sex and the City ». L’une des protagonistes y commande un steak pour le déjeuner, puis se ravise pour un plat végétarien, sans que ce soit un sujet. Le fait d’avoir été exposé à cette scène contribuerait à changer nos normes et représentations.
La télé est un média qui se veut rassembleur. Il faut que toute la famille puisse se retrouver sur le même canapé. Les fictions ont donc tendance à éviter les positions clivantes : on n’y trouve pas plus d’écologistes que de climatosceptiques. Les auteurs, producteurs et diffuseurs craignent par ailleurs que le changement climatique soit un sujet trop anxiogène. C’est oublier tous les thrillers qu’ils proposent !
On nous demande souvent comment parvenir à construire des récits désirables de la transition écologique sans tomber dans l’utopie. Or, il y a toute une gamme de possibles entre le monde d’aujourd’hui et le rêve. Beaucoup voient la transition écologique comme une montagne, un changement radical de mode de vie, sans se rendre compte que beaucoup de gens autour d’eux ont déjà adopté de nouvelles habitudes. Montrer des gens qui n’ont pas besoin de prendre l’avion ou de faire les boutiques pour être heureux, c’est déjà bien !
Dans notre étude, nous leur montrons les angles morts, ce qu’on ne voit pas à l’écran. Nous aimerions également que les collectivités (régions, départements et villes notamment) s’emparent du sujet. Leurs bureaux d’accueil des tournages font beaucoup pour valoriser les territoires dans les fictions. Nous les encourageons à valoriser dans le même temps leurs initiatives et celles de leurs habitants. Ils peuvent par exemple proposer comme décor des avenues embellies par la transition écologique, avec de la végétation, des pistes cyclables et un tramway plutôt que de grandes avenues encombrées de voitures.
Pour aider les auteurs à construire leurs personnages, des collectifs de scénaristes, comme Nouvelle Séquence, proposent des outils qui aident à comprendre la réalité des différents secteurs professionnels et leurs actions pour le climat. L’ADEME propose également quelques pistes dans son étude « Des récits et des actes ».
Qu’en est-il au cinéma ?
Voilà quelques mois, l’Observatoire de la fiction s’était intéressé aux films présentés au Festival de Cannes. 30 % d’entre eux mentionnaient d’une manière ou d’une autre l’un des grands enjeux écologiques. Comme dans les séries, même si cela ne sous-tend pas le récit, les personnages vivent dans un monde où le changement climatique existe. Mais ils ont rarement de nouvelles façons d’habiter, de vivre ou de se déplacer. Il faut par ailleurs noter qu’un film labellisé Ecoprod, où les équipes ont fourni des efforts pour réduire leurs impacts, n’incarnent pas forcément plus la transition écologique à l’écran.