Depuis des décennies, nos territoires sont conçus pour et autour de la voiture. Alors que les espaces urbains doivent être repensés au regard des nouvelles conditions liées au changement climatique (canicules, inondations…), intégrer la place des enfants dans l’espace public à cette réflexion est essentiel. Pourquoi ? Parce que s’intéresser aux enfants dans la conception et la gestion des espaces publics s’avère un excellent levier de transformation vers des territoires plus durables et inclusifs.
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Derrière l’urbanisme, un enjeu de santé publique
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 35 à 40 % seulement des enfants se rendent aujourd’hui à l’école à pied ou à vélo, contre 60 % il y a 30 ans.
- 1 enfant sur 2 est accompagné en voiture à l’école, même pour de courtes distances.
- 4 enfants sur 10, âgés de 3 à 10 ans, ne jouent jamais dehors pendant la semaine, d’après l’Institut National de Veille Sanitaire.
- La sédentarité touche 40 % des adultes et 80 % des enfants ne pratiquent pas suffisamment d’activité physique en France, selon l’OMS.
- 74 % des Français utilisent majoritairement la voiture pour se rendre au travail et cette part peut monter jusqu’à 90 % dès lors qu’on se situe en dehors des centres urbains et de leurs zones d’attraction.
Le saviez-vous ?
Aujourd’hui, seulement 10 à 20 % de la surface des villes françaises sont consacrés aux espaces qui créent du lien social (terrasses de cafés, parcs, squares, places…), le reste étant dédié aux usages « fonctionnels » : circulation des biens et des personnes, ramassage des ordures ménagères…
Faire la Taille : l’étude qui met l’urbanisme à hauteur d’enfant
« Faire la Taille – Pour des Territoires à Hauteur d’Enfants » est la première étude de l’ADEME qui se penche sur cette question. En 2023, une étude est confiée à Equal Saree, agence d’architecture et d’urbanisme, pour analyser 13 projets d’espaces publics. Il s’agit de projets de toutes tailles, implantés partout en France : Rouen, Paris, Aubervilliers, mais aussi Aubenas, Avignon, Juvignac… L’étude comprenait l’examen des documents de projet, des observations sur le terrain, des entretiens avec les parties prenantes… et la participation des enfants ! C’est d’ailleurs l’une des originalités de l’étude : elle a donné la parole aux écoliers et collégiens directement impliqués par les projets. Des ateliers ludiques ont été menés pour recueillir leurs points de vue sur leurs habitudes concernant l’espace analysé, leurs évaluations des forces et des faiblesses de l’espace, et des suggestions d’amélioration. Les adultes ont participé par le biais de questionnaires portant sur les habitudes d’utilisation, les évaluations de projet et les suggestions. Cette approche participative a garanti que la voix des enfants soit réellement prise en compte dans l’analyse. Alors, verdict ? L’étude des 13 projets couplée aux retours des habitants a permis d’identifier 6 leviers pour passer d’une ville fonctionnelle à un modèle résilient de ville relationnelle et conviviale.
1er levier : plus de diversité
Les projets réussis ont privilégié des espaces diversifiés alliant sport, détente, apprentissage, nature et contemplation. Le parc « Imagine Saint-Hubert » à Juvignac en est un bon exemple : il se distingue d’un parc classique par la diversité de ses espaces, qui invitent à des expériences variées. Contrairement à un parc traditionnel souvent limité à des pelouses et quelques jeux, celui-ci propose des zones thématiques uniques, comme « La cime des vents » (une butte sauvage fleurie) ou encore « La mare aux têtards » (une mare réaménagée en espace pédagogique pour sensibiliser à la biodiversité). Les activités sportives et ludiques « classiques » sont présentes dans « La butte glissée », qui combine un toboggan et un mur d’escalade… Enfin, d’autres espaces offrent des lieux de détente naturels, mêlant pergolas, bancs, et ombre fraîche sous les arbres.
2e levier : des espaces publics ET pédagogiques
Faire les territoires à hauteur d’enfants ne signifie pas simplement créer des espaces ludiques, mais concevoir la ville entière comme un support d’apprentissage – notamment de l’autonomie – pour favoriser le développement des enfants. En Ille-et-Vilaine, au cœur du bocage du Rheu, le « Jardin du Passe-Temps » est né d’une démarche participative entre habitants et paysagistes. Elle a abouti à un espace ludique et contemplatif en bordure du ruisseau du Lindon avec des pontons de bois, une cabane en saule tressée, des tubophones et instruments inspirés du bruit de la pluie… Cet aménagement frugal, intégré au paysage et sensibilisant aux caractéristiques naturelles et météorologiques du lieu, a été conçu pour la sensibilisation à l’environnement et pas seulement pour le divertissement.
3e levier : ne pas négliger le confort
Offrir des espaces confortables avec des assises adéquates, de l’ombre, des toilettes et des fontaines à eau accessibles est essentiel. À Brest, « Les Ateliers des Capucins » est un lieu multifonctionnel qui conjugue patrimoine, culture et loisirs sur un ancien site industriel. Pour les jeunes, la Place des Machines offre un vaste terrain de jeu avec 10 000 m² de béton ciré et une hauteur sous plafond allant jusqu’à 20 mètres pour les sports de glisse comme le skate, le roller, le vélo ou la trottinette. Des machines industrielles préservées, comme des grues ou des hélices, sont intégrées au décor, servant à la fois de supports pédagogiques et de jeux interactifs. Pour les enfants, la Fabrique citoyenne propose un espace ludique avec des assises adaptées, des zones d’affichage, et des coffres de rangement qui se transforment en sièges, favorisant à la fois la lecture, la détente et l’apprentissage. Pour les adultes, le site propose une médiathèque, le musée 70.8, un cinéma et une salle d’exposition pour découvrir l’art et l’histoire maritime de Brest, tandis que les espaces ouverts du second étage accueillent des activités libres comme le yoga, la danse ou le fitness. La vue panoramique depuis la mezzanine sur la place des machines accentue l’attrait de ce lieu.
4e levier : favoriser le contact avec la nature
Favoriser le contact avec la nature dès le plus jeune âge a des effets positifs indéniables sur l’éducation et la sensibilisation écologique. En effet, on ne peut protéger ce que l’on ne connaît pas. Des pays comme le Danemark et la Suisse illustrent cette approche avec leurs programmes « d’école dehors », qui montrent des améliorations notables en termes de comportement et en résultats scolaires. En France, bien que l’enseignement en plein air se développe, il reste souvent isolé. Dans le Doubs, Elise Mancenans a mis en place un jour de classe dans la forêt par semaine pour ses élèves en primaire. D’autres initiatives émergent également afin de favoriser l’intégration de la nature dans la conception d’espaces – par le biais d’espaces verts, de plantes indigènes et de matériaux durables –. À Poitiers, « Le Canapé Forestier », structure modulable en forme d’amphithéâtre a été construite avec du bois de récupération. Installée dans un parc, elle offre un espace généreux apprécié par les enfants.
5e levier : penser la proximité et les facilités d’accès
Penser des territoires à hauteur d’enfants invite à connecter les différents espaces de la vie quotidienne. Ainsi, les projets situés à proximité d’écoles ou de centres communautaires ont été plus facilement adoptés. À Avignon, le projet « Monclar à Hauteur d’Enfants » a réussi à relier l’école Marcel Perrin, le théâtre le Totem et son square, la mairie et le centre social du quartier. L’intégration de pistes cyclables et de voies piétonnes adaptées aux enfants a amélioré l’accessibilité et l’autonomie.
6e levier : concevoir l’espace AVEC les enfants
Impliquer les enfants dans le processus de conception s’est révélé essentiel pour le succès des projets. À Montreuil, « Un Tramway Nommé Désir » en est l’illustration. Une friche urbaine initialement gelée pour l’arrivée du tramway T1 a été nettoyée et aménagée pour devenir un espace vert ouvert aux habitants, où se tiennent divers événements. Le point central de cet aménagement est une tyrolienne, reliant deux structures en bois, agrémentée d’une tour d’observation au toit coloré. La friche accueille également une scène, des cabanes et des œuvres réalisées avec des matériaux recyclés. Enfin, des plantations aromatiques redonnent couleur et vie à cet espace fréquenté par les jeunes.
L’appropriation d’un espace par les enfants est un excellent signal d’aménagement réussi car il répondrait à de nombreux enjeux de conception et de gestion des espaces urbains, en termes de sécurité, de signalétique, d’accessibilité, d’abaissement des vitesses, de santé, de nature en ville, d’espace de rencontre…
Tout le monde y gagne
Les aménagements pensés pour les enfants profitent en réalité à tous. Les « rues aux écoles » réduisent la pollution, le bruit et les accidents en limitant le passage des voitures et en diminuant la vitesse autorisée. Cela en fait des quartiers plus sûrs pour les piétons et les cyclistes. Renaturer les espaces urbains permet d’améliorer la résilience face au changement climatique, tout en favorisant la biodiversité. Ces aménagements renforcent aussi la convivialité. Ils améliorent la santé publique en diminuant la sédentarité des jeunes. Co-construire la ville avec les enfants garantit des espaces accessibles, sécurisés et inclusifs, bénéfiques à tous les citoyens, notamment les plus vulnérables.
Prendre en considération les plus vulnérables, que ce soient les enfants, les seniors ou les personnes en situation de handicap, devrait constituer la norme de l’aménagement.
Les villes s’y mettent… petit à petit
Entre 2022 et 2023, dans le cadre de la concertation autour du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), Grand Besançon Métropole a lancé un défi aux jeunes de ses territoires : imaginer les villes et villages de demain. 700 jeunes y ont participé ! Leurs projets ont été présentés en mai 2023, identifiant des besoins et enjeux très spécifiques, allant des espaces sportifs à la récupération d’eau de pluie en passant par le développement de l’agriculture biologique. Le projet définitif devrait être approuvé en 2025.
À Marseille, on commence à s’intéresser au sujet aussi. Le programme « Rues des enfants », initié par la Ville, vise à sécuriser les abords des établissements scolaires, des crèches et des Maisons pour tous en interdisant la circulation motorisée sur les voies qui les entourent.
En 2024, Montpellier est devenue la première ville française à rejoindre officiellement le réseau international « Ville des enfants ». Composé de plus de 200 villes dans 16 pays, ce réseau appelle à un changement de paradigme en ce qui concerne la place de l’enfant dans l’espace urbain. Montpellier a aussi lancé son laboratoire « Ville à hauteur d’enfants », un espace participatif qui associe enfants, experts et acteurs locaux pour intégrer les besoins et propositions des plus jeunes dans la gouvernance urbaine. À travers des projets concrets — sécurisation des parvis scolaires, accès au sport et à la culture, ou encore création de jeux dans l’espace public — Montpellier ambitionne de devenir un modèle de ville inclusive et bienveillante.
Si notre ville se pense à hauteur d’enfants, alors on la pense pour tous ses habitants.