Haut-Jura : rendez-vous dans un territoire qui ose

Ce mercredi d’août, Thibaud Rebour, lunettes de soleil polarisées et casque sur la tête, grimpe à vélo la colline en direction du belvédère de la Roche au Dade qui domine la vallée de Morez, dans le Jura. L’homme de 53 ans, photographe naturaliste de profession, réalise son ascension avec un vélo à assistance électrique.


« Le vélo électrique me permet d’effectuer les trajets difficiles et longs que j’avais l’habitude de faire auparavant avec ma voiture, et que je ne pouvais pas faire avec mon VTT ». Alors, il utilise désormais le deux-roues pour aller faire ses courses, se rendre à la médiathèque ou à un spectacle de musique classique, et même se présenter à des rendez-vous médicaux à Lons-le-Saunier, à 60 kilomètres de Morez, où il réside. Pour lui, le vélo n’est plus seulement un sport, il est devenu un moyen de transport. C’est par conviction écologique que le cycliste a choisi d’opérer des changements dans ses modes de déplacements. « Mais c’est aussi pour moi », ajoute-t-il. « Je fais partie de ces gens qui prennent soin de leur santé. Le vélo me fait faire de l’activité physique. Et puis, c’est un plaisir. Quand on se tient droit sur la selle, on a une vision sphérique sur le paysage, sans avoir l’encombrement ni le bruit d’une moto. Le luxe, ce ne sont pas les voitures de sport. Le luxe, c’est le vélo », termine-t-il, le sourire aux lèvres.

Son vélo à assistance électrique, Thibaud Rebour le loue via l’Office de tourisme de sa communauté de communes pour une durée d’un mois, au tarif unique de 30 euros. Un moyen économique de le tester, avant d’en faire peut-être plus tard l’acquisition. Depuis l’été 2021, la communauté de communes Haut-Jura Arcade, dont la ville de Morez fait partie, a mis en place un service de location de longue durée de vélos à assistance électrique. Douze sont aujourd’hui à disposition. Elle a aussi créé de nouvelles places de stationnement via l’installation d’arceaux et de consignes sécurisées en divers points stratégiques du territoire (gare, place de la mairie…). Ces initiatives ont été développées grâce au programme « Lyvia – Mobilité agile du Haut-Jura », soutenu par le parc naturel régional du Haut-Jura. Déployé à l’échelle du bassin de vie du Haut-Jura (70 000 habitants, environ), il vise à offrir des solutions de mobilité alternatives à la voiture individuelle. Il a été soutenu par l’ADEME grâce à l’appel à projets TENMOD qui favorise la mise en œuvre de projets de mobilités quotidiennes et durables dans les territoires peu denses, ruraux et de montagnes. « C’est l’un des dispositifs exemplaires de l’appel à projets qui montre que, même dans des territoires de moyenne montagne, on peut se déplacer autrement qu’en voiture », souligne Pauline Rigoni, référente mobilité active à l’ADEME Bourgogne-Franche-Comté.

Thibaud Rebour à vélo sur la route
Thibaud Rebour, photographe naturaliste, a laissé sa voiture de côté pour effectuer tous ses déplacements à vélo électrique.

L’autoréparation, une action d’éducation à l’environnement à visée sociale

Pour compléter l’offre de location de vélos électriques, le programme comprend des ateliers d’autoréparation itinérants, regroupés sous le nom de « Biclouterie jurassienne ». Animée par le centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) du Haut-Jura, basé aux Coteaux du Lizon, la Biclouterie se présente sous la forme d’une remorque mobile se déplaçant dans les événements grand public, les écoles, les missions locales, les structures d’insertion par l’activité économique, ou encore les quartiers politiques de la ville. Équipée d’outils et de fournitures en tout genre – de l’arrache-pédales aux patins de freins en passant par le centreur de roue – elle a pour vocation de former les usagers aux petites réparations courantes.

Atelier itinérant d'auto-réparation de vélos.
La Biclouterie jurassienne au service de nouvelles formes de mobilité et de lien social.

« L’idée n’est pas de changer une chambre à air ou de régler un dérailleur à leur place, mais de leur transmettre les compétences nécessaires pour qu’ils puissent le faire eux-mêmes. Cela évite qu’ils interrompent leur pratique du vélo, et aide parfois, à redonner vie à des vélos qui sont délaissés depuis des années dans les garages ou sur les balcons d’immeubles », précise Jérôme Fortier, qui travaille au CPIE depuis près de vingt-six ans.

Les ateliers d’autoréparation ont également une vocation sociale. « Quand on intervient auprès de jeunes en rupture sociale, on les remet en selle dans les deux sens du terme. Participer à un atelier les place dans une dynamique de projet, et les dote d’un nouveau mode de déplacement dans le cadre d’une recherche d’emploi. Aujourd’hui, on en voit certains dans le centre-ville de Saint-Claude qui se servent du vélo pour aller au travail, ou pour effectuer des démarches administratives auprès de France travail. Quelques-uns se sont même lancés dans des formations en CAP mécanique ! », raconte l’éducateur à l’environnement, désormais référent « vélo » au CPIE.

À l’échelle d’un territoire, c’est donc un ensemble d’outils complémentaires alliant animation, location, réparation, et stationnement qui a été déployé pour favoriser et étendre l’utilisation du vélo dans les déplacements du quotidien.

Consignes à vélo sécurisées
Déploiement des solutions de mobilité actives près des gares pour faciliter les alternatives à la voiture.

« La spécificité de ce programme, c’est qu’il est coordonné par le parc naturel régional du Haut-Jura. Il a accompagné les EPCI dans le déploiement de leurs offres de mobilités durables, et a mis en cohérence la réflexion, les moyens d’action et la communication tout en s’adaptant à la spécificité des territoires », détaille Carole Zakin, chargée de mission Climat-Energie au parc naturel régional du Haut-Jura.

L’usage de la voiture incontournable mais repensé

La voiture figure aussi parmi les solutions de mobilité proposées par le programme Lyvia. Mais, à 100 % électrique et en autopartage. La communauté de communes Haut-Jura Saint-Claude en propose une à la location. Stationnée dans le centre-ville, sur la place du 9-avril-1944, c’est là que Siloé Pétillat, 38 ans, la récupère habituellement le matin, après l’avoir réservée en amont sur le site de Citiz, un réseau national d’autopartage. Médiatrice culturelle à Prémanon, 30 kilomètres la séparent de son lieu de travail.

Siloé Pétillat, au volant d’une voiture électrique en autopartage.
Siloé Pétillat, au volant d’une voiture électrique en autopartage.

« C’est une aberration que chacun ait sa propre voiture. L’impact sur le réchauffement de la planète est immense. Avec la Citiz, c’est sûr que les habitudes changent. On ne trouve pas sa voiture devant chez soi le matin, on ne peut pas y laisser ses affaires personnelles le soir quand on la ramène à son emplacement, on doit la réserver parfois plusieurs semaines à l’avance… Mais au moins, elle ne génère pas de gaz d’échappement. Et comme elle est automatique, la conduite est plus fluide sur les reliefs montagneux ! ».

Lorsque la voiture de location n’est pas disponible, c’est à des amis que Siloé emprunte une voiture, ou encore à des utilisateurs d’une application de location de voitures entre particuliers. Le reste de ses déplacements, elle les effectue avec le vélo à assistance électrique qu’elle a acquis il y a un an, après avoir testé celui du programme Lyvia. La dynamique autour du partage de voitures se traduit aussi par la volonté d’encourager et d’encadrer la pratique de l’autostop. Des arrêts spécifiques sécurisés ont ainsi été installés, comme dans la communauté de communes de la Grandvallière. Enfin, à partir de l’autonome, des citoyens ambassadeurs de la mobilité seront formés pour sensibiliser la population aux offres de mobilité existantes.

L’aménagement du territoire, nécessaire, mais progressif

Pour répondre aux enjeux de mobilité active, il reste à résoudre l’épineuse question de l’aménagement du territoire. A fortiori dans une région où la voiture reste au cœur des déplacements de la population, compte tenu des reliefs accidentés, du climat montagnard, du manque de transports collectifs et de l’importance des travailleurs frontaliers qui se rendent tous les jours en Suisse. « Ici, la voiture est sacro-sainte. Alors, il faut y aller progressivement. Sinon, on crée des clivages, on met dos à dos les automobilistes et les cyclistes. Il faut commencer par sensibiliser, inciter, et rassurer. Expérimenter plutôt qu’imposer, pour convaincre. Plus les automobilistes se mettront au vélo, plus ils comprendront la nécessité d’aménager des zones dédiées aux deux-roues, et de partager la route avec eux de manière plus sécuritaire », confie Laurent Petit, maire de Morez et président de la communauté de communes Haut-Jura Arcade.

Panneau pour aire d'autostop
Installation d’aires d’autostop

Alors, à titre expérimental, des aménagements mixtes de type « chaucidous » (chaussée pour les circulations douces) ont été testés, comme dans la commune de Bellefontaine. Et puis, au travers d’un « Plan Vélo », soutenu par l’ADEME via l’appel à projets « AVELO2 », ainsi que par l’Europe et la Région Bourgogne-Franche-Comté, la communauté de communes Haut-Jura Arcade a fini par réaliser un schéma directeur. Il prévoit un ensemble plus étendu d’itinéraires cyclables sécurisés : six kilomètres de pistes, une quinzaine de kilomètres de « chaucidous » supplémentaires, et 80 kilomètres de jalonnement à vocation utilitaire et touristique (essentiellement signalisation verticale). Des aménagements qui montrent que la dynamique est déjà bien lancée, sur un territoire que l’on considérait comme peu apte à la pratique du vélo.

Rue de Bellefontaine, avec marquage vélo au sol
Dans un territoire pourtant escarpé, des infrastructures cyclables ont été développées.

« Assurer une transformation des pratiques pérenne et visible. »

Pauline Rigoni, référente mobilité active à l’ADEME Bourgogne-Franche-Comté

Portrait de Pauline Rigoni

« C’est par l’intermédiaire d’un appel à projets que l’ADEME a accompagné cinq communautés de communes du Haut-Jura pour développer et diversifier leurs offres de mobilité active. Le pilotage du projet par le parc naturel régional nous a semblé particulièrement pertinent. Il a permis d’expérimenter un programme sur un territoire plus large qu’une ville, de mutualiser le déploiement des équipements, et d’homogénéiser la communication autour du projet grâce à une marque commune, Lyvia. Ainsi, un habitant de la communauté de communes Haut-Jura Arcade, par exemple, peut dorénavant bénéficier de la même offre de services sur une autre communauté de communes de son bassin de vie.
Nous voulions accompagner ce passage à l’échelle supraterritoriale pour assurer une transformation des pratiques pérenne et visible. Et puis, la coordination du projet par un parc naturel régional insuffle le changement des pratiques tant dans les déplacements du quotidien que dans le cadre des activités de loisirs. »