En France, pour attirer des financements privés dans les projets de la transition écologique, l’usage d’instruments financiers publics-privés de partage de risques semble une piste prometteuse. Pour cela, il faut mieux appréhender les risques climatiques.
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Le risque climatique constitue une nouvelle classe de risque, mise en avant par le gouverneur de la banque centrale du Royaume-Uni, Mark Carney, dans son discours de 2015 intitulé « Briser la tragédie des horizons ». Ce risque peut être physique (ex. : impact financier des catastrophes naturelles), juridique (ex. : procès intentés par les victimes du changement climatique) ou lié à la transition vers une économie bas carbone (ex. : dépréciation des actifs liés aux énergies fossiles). La prise en compte de ce risque climatique dans les stratégies d’adaptation ou d’atténuation du changement climatique permet de jeter un pont entre les intérêts de court et de long terme de la finance, aujourd’hui contradictoires.
Ainsi l’adaptation est souvent pressée par la prise en charge rapide de risques, souvent physiques (inondations, chaleur…) dont les conséquences sont déjà là. Elle doit néanmoins s’inscrire dans le temps long et peut donc couvrir des périodes allant jusqu’à la fin du siècle. La question de l’articulation des échelles de temps apparaît alors comme critique et ne peut pas opposer urgences de court terme et transformations de long terme. Les premiers résultats du projet Finadapter (I4CE et Ramboll) précisent les besoins territoriaux d’investissement dans un « panorama pédagogique des grands chantiers de l’adaptation en France ». Il s’agit d’intégrer les évolutions des conditions climatiques dans les démarches territoriales. L’analyse des conséquences d’une prise en compte effective de l’adaptation quant à la soutenabilité économique des politiques et des projets territoriaux doit se penser dans la durée, en articulant les échelles temporelles. Ce projet s’adresse autant aux institutions financières publiques elles-mêmes (ex. : la Banque des Territoires) qu’à ceux qui leur donnent mandat et à leurs contreparties (entreprises et collectivités mais aussi cofinanceurs potentiels).
Gestion du risque climatique, et plus particulièrement des risques de la transition
La matérialisation des risques climatiques sur les portefeuilles financiers devient plus sensible et fait l’objet d’une attention assidue de la part des superviseurs et régulateurs financiers (banques centrales). Ils développent de nouveaux modèles permettant de réaliser des scénarios intégrant les effets du changement climatique et de renforcer la stabilité du secteur financier compte tenu de cette nouvelle variable qu’est le risque climatique.
En particulier se pose la question de l’intégration de ces nouveaux modèles aux stress-tests, exercices périodiques visant à assurer la résilience individuelle des institutions et à prévenir les risques systémiques. Dans le cadre du projet LIFE Finance ClimAct, l’ADEME a publié un document de travail qui présente une revue de l’état de l’art sur la réalisation de tests de résistance climatique par les banques centrales, superviseurs et institutions internationales et sur la modélisation macroéconomique des scénarios climatiques qu’ils nécessitent.
Partant du constat qu’il n’existe pas d’outil clés en main répondant aux attentes du secteur financier, le projet SECRAET (CREST, CIRED et SMASH, en partenariat avec le Crédit Agricole) vise à développer une méthodologie standard d’intégration des données de scénarios de prospective sous contrainte carbone pour produire des outils d’analyse des risques associés au financement de projets des filières énergétiques. Les premiers résultats répondent à l’enjeu d’utiliser au mieux l’état de l’art existant et invitents les acteurs financiers à développer une capacité de modélisation propre de leurs risques, quitte à s’adosser à des acteurs académiques. Un acteur financier pourra ainsi, en fonction de ses besoins de modélisation, choisir le type nécessaire de scénario (extrême, ou qui sert d’ancrage aux analyses d’alignement, ou enfin de futurs plausibles). Il identifiera, à la fois, les informations utiles à cette modélisation (dont celles contenues dans les scénarios mais qui ne sont pas communiquées explicitement) et celles qui paramètrent les tests de sensibilité. Il lui faudra en outre extraire certaines de ces données de la description des secteurs et des filières.
L’utilisation par les acteurs financiers des scénarios cohérents avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) contenus dans l’accord de Paris, permet également de révéler les degrés d’incertitude qui sont l’information centrale pour eux. Le projet SECRAET finalise une méthodologie d’évaluation des risques des projets, qui prend en compte l’opportunité qu’il peut y avoir à attendre d’en savoir plus avant d’engager des coûts irréversibles (valeur d’option) pour ces projets. Le projet Risq-Trans (TSE, en partenariat avec GRDF) est centré sur cette évaluation des risques. Il part du principe que la trajectoire du prix du carbone, sans préjuger de la combinaison adéquate des mesures de politique environnementale, doit permettre aux pouvoirs publics et aux agents privés de sélectionner leurs investissements dans le sens de l’intérêt général. Cela suppose de pouvoir tenir compte des aléas, qu’ils soient climatiques ou technologiques, et du risque dans l’établissement de telles trajectoires, ce qui reste encore à perfectionner. Le projet développe en particulier des outils pour déterminer des taux d’actualisation (utilisés pour escompter un flux financier futur et calculer sa valeur actuelle équivalente) spécifiques à chaque projet, et suffisamment « simples » notamment pour les pouvoirs publics. Il s’attache aussi à estimer le gain social à utiliser de telles méthodes pour mieux tenir compte des risques dans l’évaluation des politiques publiques et des investissements publics et privés. Enfin, le projet aborde la question de la régulation prudentielle des institutions financières publiques afin de les aider à faire évoluer leurs modèles de valorisation du risque physique extrême pour mieux appréhender les investissements d’adaptation.
Enfin, il est essentiel de s’intéresser aux instruments (législatifs, informationnels, etc.) de financement qui peuvent faciliter la transition écologique. Des questions de recherche subsistent par exemple quant au potentiel de généralisation des instruments de partage de risque en fonction des organisations, des secteurs ou des échelons territoriaux. Les éventuelles distorsions introduites par les instruments, leurs coûts de transaction en lien avec les contraintes budgétaires ou juridiques de la puissance publique doivent être pris en compte. Enfin, la réglementation prudentielle et les instances réglementaires internationales ont également un rôle à jouer afin de lever les contraintes de financement de la transition écologique. Ces problématiques seront centrales dans la prochaine édition de l’APR (2022-2023).
FinClimLex (Université Paris Sorbonne) et le risque juridique
Le projet FinClimLex a pour objet d’améliorer la connaissance des risques juridiques et financiers pour les acteurs publics et privés engendrés par le changement climatique. La recherche a pour objet d’identifier les outils juridiques destinés à assurer la gestion du risque climatique et d’analyser leur degré de normativité ainsi que les nouveaux risques engendrés, notamment les risques de transition. Les résultats intermédiaires de la recherche font apparaître, aussi bien pour les acteurs publics que privés, une intégration insuffisante du risque climatique physique, une gestion marginale du risque de transition et une minoration du risque contentieux. Des recommandations à destination de ces acteurs économiques seront formulées au sein du rapport final.