Dossier

Transition écologique : les pauvres ont des choses à dire

L’association ATD Quart Monde a demandé à huit de ses membres, des personnes vivant ou ayant vécu dans la grande pauvreté, de se projeter dans les scénarios Transition(s) 2050, envisagés par l’ADEME pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le point avec Joëlle Weydert, militante ATD-Quart Monde et Sarah Thiriot, sociologue à la direction Prospective et Recherche de l’ADEME.


Qu’avez-vous pensé de ces scénarios, au regard de la réalité des plus précaires ?
Joëlle Weydert 

Pour cet atelier du Labo d’idées d’ATD Quart Monde, nous nous sommes réunis à trois reprises. Dès le début, nous avons écarté le quatrième scénario «Pari réparateur» : il semble avoir pour but de sauver le capitalisme plus que la planète. Le troisième scénario «Technologies vertes» mise sur le progrès. Il laisse peu de pouvoir d’agir aux citoyens. Avec le premier scénario «Génération frugale», on se rend compte qu’on peut et doit chacun agir à notre niveau. Mais la plupart des mesures envisagées ne pourraient être appliquées sans contrainte : elles demandent que les industriels et les plus riches changent de modèle. Au final, c’est le deuxième scénario – «Coopérations territoriales» – qui, parce qu’il mobilise et écoute tous les acteurs, paraît le plus démocratique et désirable pour tous.

Pourquoi les personnes en situation de précarité devraient aussi s’intéresser à l’écologie ?
J. W.

Cela ne semble pas être pour elles une priorité au quotidien, mais c’en est une. Les pauvres sont les premières victimes du changement climatique. En outre, contraints financièrement, ils font déjà des économies d’eau et d’énergie, développent l’économie circulaire, etc. Ils ont une expertise en la matière qui mériterait d’être écoutée. Et ils peuvent témoigner que la sobriété, quand elle est basée sur le partage, peut être joyeuse.

En quoi ce travail mené par ATD Quart Monde est-il essentiel ?
Sarah Thiriot 

Avec Transition(s) 2050, l’ADEME souhaitait offrir la possibilité à chacun de s’emparer du sujet de la transition écologique et de débattre de la faisabilité des différents scénarios. Nous les avions d’ailleurs présentés dans le cadre d’une étude sociologique à des Françaises et Français, pour comprendre comment ils peuvent s’y projeter, ainsi que leurs contraintes, craintes et aspirations vis-à-vis de ces futurs possibles. Le travail d’ATD Quart Monde poursuit la même logique, mais en donnant la parole aux plus précaires. Tout ceci contribue à éclairer certains angles morts de nos travaux. Dans les discours comme dans les outils de modélisation utilisés, nous avons tendance à nous exprimer avec des moyennes. Or les pauvres prennent très peu l’avion, consomment beaucoup moins de viande et vivent dans des logements beaucoup moins grands que les riches. Il leur paraît injuste qu’on demande à tous de faire les mêmes efforts.

Et maintenant ?
S. T.

Nous allons chercher à mieux prendre en compte et représenter la diversité des populations, leurs marges de manœuvre, qui sont très inégales, et ainsi à proposer des transitions qui soient plus justes. Par ailleurs, les membres d’ATD souhaiteraient que nous insistions davantage sur les objectifs à atteindre par les entreprises car elles ont plus d’impact sur l’environnement et plus de moyens d’agir. Elles peuvent faire exister concrètement la transition, en développant par exemple des offres de mobilité ou de logement plus accessibles.