Décryptage

« Il est temps de parler d’autre chose que d’acceptabilité sociale »

Et si la notion d’« acceptabilité sociale », qui fait pourtant florès, n’était pas la plus indiquée pour qualifier la réception publique des projets liés à la transition écologique ? Selon l’ADEME, elle traduit une vision réductrice des projets, cloisonnée des enjeux et hiérarchisée de l’espace social. Explications avec Patrick Jolivet, directeur des études socio-économiques à l’ADEME.


Pourquoi et depuis quand l’ADEME s’intéresse-t-elle à la notion d’acceptabilité sociale des politiques, dispositifs ou projets de transition écologique ?
Patrick Jolivet 

L’ADEME finance des études et recherches sur ce sujet depuis le début des années 1990. À l’époque, il s’agissait de déconstruire le fameux syndrome « NIMBY » – « Not In My Back Yard » ou « Pas derrière chez moi » – qui empêchait la création de nouvelles installations d’incinération d’ordures ménagères, en substitution à des solutions pourtant bien moins vertueuses. Ces dernières années, nous avons lancé le programme de recherche TEES (Transitions écologiques, économiques et sociales), qui mobilise différentes sciences sociales pour mieux comprendre les leviers et les freins à la transition écologique. L’objectif final est d’apporter méthodes et outils aux porteurs de projet comme aux décideurs publics ou privés pour gérer de front dynamiques technico-économiques et dynamiques sociales. Toutes ces recherches ont en effet montré que les deux étaient indissociables et devaient être enclenchées ensemble pour mener plus sûrement les projets à bonne fin.

Dès lors, pourquoi appelez-vous à éviter ce terme  ?
P.J.

L’« acceptabilité sociale » est devenue une sorte de mantra, qui revient sans cesse dans le débat public. Or, comme tous les mots-valises, il recouvre des questions très diverses qu’il finit par faire oublier, réduisant la décision à un positionnement binaire entre « pour » et « contre ». Prenons le cas, exemplaire, de l’éolien. La taille des mâts, leur emprise au sol, le mode de gouvernance des parcs ou leur niveau de retombées économiques locales peuvent avoir une grande incidence sur la réception des projets. Rester dans le « pour » ou « contre », c’est se priver d’une multitude de leviers qui peuvent non seulement permettre de réaliser les projets, mais aussi de les optimiser, du point de vue de leur utilité sociale. Pour chaque projet, il faut donc analyser plus en détail sa -nature, ses enjeux et parties prenantes, afin d’éviter des simplifications contre-productives.

Vous lui reprochez aussi de cloisonner et de hiérarchiser des enjeux qu’il faudrait rapprocher…
P.J.

Cela renvoie au cloisonnement traditionnel des rôles entre ingénieurs et usagers : les premiers évolueraient dans l’univers de la rationalité technico-économique, ayant pour mission sociale de fournir aux seconds les solutions « objectivement » les meilleures. Quitte à en forcer l’usage si l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous ! Mais qui définit ce qui est optimal, dans quel contexte, à quelles conditions ? L’épistémologie comme la sociologie des sciences ont depuis longtemps remis en question cette approche cloisonnée des relations entre science et société, qui se double d’une vision très hiérarchisée de l’espace social. Par ailleurs, non seulement l’implication des usagers en amont permet d’imaginer des dispositifs plus adaptés à leurs besoins et à leurs contraintes, mais elle favorise leur adhésion.

Pourtant, l’urgence écologique n’appelle-t-elle pas une nouvelle planification « par le haut » ?
P. J. 

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, nous devons effectivement mettre en œuvre dès à présent des choix structurants. Mais la planification n’exclut pas la participation. Comme la participation n’induit pas la paralysie. Les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat n’ont-ils pas su se mettre d’accord sur une mesure aussi clivante que la limitation de la vitesse sur autoroute, pourtant spontanément rejetée par une large majorité de Français ? Cela signifie qu’avec un processus de délibération collective bien informé nous pouvons faire des choix dépassant nos intérêts immédiats au nom du bien commun, défini démocratiquement.

Quel mot faudrait-il donc employer ?
P. J.

Pour ne pas remplacer une simplification par une autre, nous proposons de substituer à « acceptabilité sociale » le triptyque « désirabilité, faisabilité et conditions de réalisation ». Ensemble, ces trois mots renvoient à un champ très ouvert, incluant les valeurs et les intérêts, les contraintes individuelles et collectives ou encore les facteurs pouvant conduire à une meilleure adéquation des projets à la société. Si, comme nous le souhaitons, cette réflexion s’engage, d’autres mots seront peut-être proposés. L’important, c’est d’éviter les simplifications qui appauvrissent les débats.