Dossier

Entreprises  : de la prise de conscience au passage à l’acte

Dans L’Âge des low-tech, vers une civilisation techniquement soutenable, publié en 2014, l’ingénieur Philippe Bihouix prône le développement de technologies moins énergivores et moins consommatrices de ressources rares et popularise alors le concept de low-tech. Il est aujourd’hui directeur général de l’Agence d’architecture pluridisciplinaire (AREP).


Si vous aviez à résumer l’approche low-tech en deux phrases ?
Philippe Bihouix 

Ne pas croire aux sirènes du « ­techno- solutionnisme », qui nous entraîne vers une consommation accrue de ressources, nous éloigne de l’économie circulaire avec des produits plus durs à recycler, et provoque un effet rebond presque systématiquement. Faire preuve de techno-discernement, en utilisant les technologies à bon escient, en travaillant sur la sobriété, le juste besoin, une écoconception poussée…

Au quotidien, comment une entreprise comme l’AREP s’approprie-t-elle ce sujet  ?
P. B.

Il y a chez les architectes, les ingénieurs et les designers une proportion importante de gens convaincus par ces sujets, le terreau est donc fertile chez AREP ! Nous n’en sommes encore qu’au début de l’aventure. Concrètement, nous essayons d’appliquer à tous nos projets, qu’elle qu’en soit l’échelle, un questionnement sur l’énergie, le carbone, les ressources, la biodiversité, en composant avec les contraintes de programme, d’exploitation, de financement… Ce n’est pas toujours simple, mais c’est enthousiasmant !

Il y a huit ans paraissait L’Âge des low-tech… Quel chemin les idées de ce livre ont-elles parcouru depuis dans les entreprises ?
P.B.

Le contexte devient, me semble-t-il, plus propice à une discussion franche et sincère au sein d’entreprises et d’organisations toujours plus nombreuses. Certains sujets confidentiels – comme le besoin phénoménal d’extraction de métaux qui va être nécessaire pour le passage aux énergies renouvelables et pour l’électrification du parc automobile – sont désormais de notoriété publique ; d’autres concepts qui étaient un peu « tabous », comme la sobriété ou la frugalité, sont maintenant évoqués dans la plupart des scénarios officiels – et pas seulement par l’ADEME – et dans certaines réflexions prospectives. La crise sanitaire a aussi montré que parfois l’histoire peut accélérer les changements de comportement (pratique du vélo, télétravail…).

Quels sont les freins qui subsistent ?
P. B.

Il y a loin entre la prise de conscience, l’envie réelle de faire bouger les lignes, et le passage aux actes. Les situations sont diverses, selon la taille des entreprises, leur actionnariat, leurs modes de financement… Les (grandes) entreprises cotées restent prises dans la nasse de l’injonction à la croissance du chiffre d’affaires et de la rentabilité. Plus généralement, tout mouvement de fond dans un « écosystème » de clients, de concurrents, de fournisseurs, réclame un grand courage. L’être humain est un imitateur, avant d’être un innovateur. Soit tout le secteur s’y met, soit cela peut mettre une entreprise dans une situation compliquée : perte de compétitivité ou de parts de marché, etc. C’est pourquoi, je crois, le rôle de la puissance publique est si important : elle a la capacité de faire évoluer les règles du jeu pour tout le monde, de soutenir des filières en mutation par la commande, de contribuer à orienter les efforts d’innovation dans le bon sens.

Quel conseil donneriez-vous à un chef d’entreprise désireux d’entrer dans l’ère des low-tech ?
P.B.

Intégrer le fait que l’innovation comporte aussi des dimensions organisationnelles, sociales, comportementales, culturelles. Libérer la parole et être à l’écoute, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de son organisation. Toujours se demander ce qui est juste, ce qui est vertueux. Faire preuve de ténacité, et d’enthousiasme : nous allons en avoir besoin !