Portrait

« Notre sport est propre une fois les bateaux finis, mais tout ce qu’il y a en amont n’est pas très joli »

Homme de défis, Armel Tripon l’est assurément. Ce navigateur de 46 ans a remporté plusieurs courses mythiques. Aujourd’hui, il se lance dans la construction d’un voilier écoconçu, qui réutilise les déchets de l’aéronautique, avec l’ambition de proposer une filière navale plus vertueuse et durable.


Armel a tout juste 17 ans lorsqu’il met pour la toute première fois les pieds sur un voilier. Quelques copains de lycée ont retapé un petit bateau et lui ont proposé une sortie. « On est partis de nuit. Je me souviens des lumières qui s’éloignaient en quittant le port et d’un grand sentiment de liberté, raconte le marin. Ça a été un vrai choc. J’ai décidé d’en faire ma vie. » Il quitte alors sa campagne nantaise pour l’école de voile des Glénans, en Bretagne, « armé d’une motivation inébranlable ». Son amour de la nature, né d’heures passées à marcher en forêt, grandit au contact de la mer. « Aux Glénans, on apprenait à naviguer à l’ancienne, sans aide électronique. On était attentifs aux marées, aux courants, à l’observation du paysage… Cela a développé mon sens marin », se souvient le navigateur. À 26 ans, Armel Tripon se lance dans la compétition. Deux ans plus tard, il remporte sa première course, une transatlantique à bord d’un voilier de 6,5 mètres. Viendront ensuite les mythiques courses du Vendée Globe, la Transat Jacques Vabre, la Route du Rhum… et de nombreuses victoires. À 46 ans, cet habitué des podiums entend aujourd’hui se préparer à prendre le départ du prochain Vendée Globe, en 2024.

Un bateau en carbone recyclé

Mais le skipper s’est aussi lancé un autre défi : celui de mettre au point un bateau écoconçu, notamment en réutilisant des chutes de carbone issues de l’aéronautique, un projet soutenu par l’ADEME dans le cadre du plan France Relance. « J’ai commencé à prendre conscience des progrès à faire au contact des chantiers navals. Les produits utilisés pour fabriquer les bateaux sont très agressifs, nous produisons une grande quantité de déchets ; c’est un danger pour l’homme et la nature. À tel point que mon organisme est devenu intolérant à ces produits polluants utilisés dans la construction navale. Physiquement, je ne peux plus être au contact de ces produits, explique Armel Tripon. Notre sport est propre une fois les bateaux finis, mais tout ce qu’il y a en amont n’est pas très joli. »

Prise de conscience

Réduire le gaspillage des ressources, diminuer les étapes de fabrication, favoriser le recyclage et la réutilisation des matériaux, améliorer la réparabilité des pièces… sont autant d’objectifs que se sont fixés Armel Tripon et son associée Margaux Lejoubioux, via leur société Outre-Loire. Un prototype grand public pourrait voir le jour dès 2026, et Armel envisage même de prendre le départ du Vendée Globe 2024 avec un bateau de course conçu dans cette ambition écologique et durable. « À mon échelle, j’ai voulu proposer quelque chose de plus vertueux. Il y a une prise de conscience depuis plusieurs années dans le milieu de la voile, assure Armel Tripon. La période d’urgence que nous vivons est excitante. J’aime les challenges, me remettre en question en permanence, la stimulation. Il faut avoir conscience que rien n’est jamais acquis. » Pour ce père de trois enfants, le défi est aussi de transmettre ces valeurs. « Si on veut défendre la nature, il faut pouvoir la contempler, l’aimer, assure Armel Tripon. J’ai fait découvrir la voile à mes enfants, ce que c’est que d’être sur l’eau, et je m’efforce de leur montrer la beauté du monde. »